Le tourisme est responsable d’environ 8 % du total des émissions de gaz à effet de serre de l’humanité, dont les trois quarts pour les seuls transports. Pour se rendre dans les îles ultramarines, l’avion reste le mode de transport le plus privilégié. Mais son usage est-il compatible avec un tourisme durable ? Pour Julien Buot, directeur de l'association et du label Agir pour un tourisme responsable (ATR), il faut voyager moins souvent, plus longtemps et de manière plus qualitative.
Par Marion Durand
L'association Agir pour un tourisme responsable (ATR) fête cette année ses 20 ans d’existence. L’organisation met en réseau les acteurs qui agissent pour un tourisme responsable et accompagne les professionnels à travers un référentiel de labellisation. L’association compte aujourd’hui 80 membres, parmi eux des tour-opérateurs, des agences de voyages, des offices du tourisme et divers professionnels qui produisent, accueillent et vendent des services touristiques.
Julien Buot en est le directeur et le porte-parole depuis dix ans. Pour Outremers360 il revient sur la problématique des transports et sur l’usage de l’avion.
Marion Durand : Les initiatives se multiplient pour que le tourisme ne se fasse plus au détriment de l’environnement. Le tourisme durable est-il en voie de progression ?
Julien Buot : Cela dépend des indicateurs qu’on utilise, on n’a pas de baromètre très fiable pour le savoir mais il est certain que le tourisme durable prend une place de plus en plus importante. Dans la période post-covid, on a réellement observé un réveil des consciences chez les professionnels mais du côté des voyageurs c’est un peu plus lent. Les touristes disent vouloir voyager de manière responsable et on perçoit une évolution de la demande vers des pratiques plus durables.
Avec 1,5 milliard de déplacements internationaux en 2019, auxquels il faut ajouter les centaines de millions de touristes se déplaçant à l’intérieur de leurs frontières, le tourisme a des impacts très importants en matière de développement durable. Peut-on selon vous sincèrement allier tourisme et protection de l’environnement ?
Oui bien sûr. Le tourisme peut être un très bel outil de conservation de la nature, quand il est bien fait, c’est-à-dire mené de façon responsable. Un des débats actuels porte sur la manière dont les habitants et leurs souhaits sont intégrés à ce tourisme. Si tout le monde travaille ensemble et qu’on aménage de manière durable les sites touristiques, les pratiques peuvent être durables. N’opposons pas le tourisme de masse, le volume, avec le tourisme durable car tout dépend des équipements, des gens engagés, de la qualité de l’accueil et de la participation de la population.
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Qu’est-ce qu’un tourisme responsable pour vous ?
Dans notre association, on distingue deux formes : des offres de tourisme responsable très alternatives, avec un fort lien à la nature, un séjour chez l’habitant, des activités proches de l’environnement. Mais aussi une forme plus conventionnelle de pratique touristique avec des croisières, des sorties en mer, des séjours à l’hôtel mais qui devient plus responsable. Ce sont deux manières différentes de voir le tourisme durable. Qu’on soit sur une offre alternative responsable ou conventionnelle, ce qui nous intéresse c’est que tout le monde prenne une direction plus respectueuse de l’environnement. On milite pour que le voyage redevienne exceptionnel, c’est-à-dire plus rare mais plus qualitatif, c’est ce qui nous permet justement d’aller voir nos beaux territoires d’Outre-mer.
C’est-à-dire ?
La position de notre association n’est pas de dire qu’il faut arrêter de prendre l’avion sinon beaucoup de destinations deviendraient quasiment inaccessibles, et c’est le cas pour les Outre-mer. On pense que la solution est de prendre l’avion plus rarement mais pour en faire quelque chose d’utile sur place. Ça passe, par exemple, par une considération de la nature et des richesses locales qu’offrent nos territoires ultramarins. Ces territoires sont très fragiles, remarquables et attirent justement car ils sont différents de ce que connaissent les touristes. Aller à la rencontre de ces écosystèmes extraordinaires est le meilleur moyen de les découvrir et d’avoir envie de les protéger. On peut penser que c’est contradictoire car prendre l’avion est une activité très carbonée mais on est persuadé que la solution n’est pas d’arrêter de voyager.
En effet, le tourisme durable dans ces territoires ultramarins se heurte à un gros point noir : le transport. Comment découvrir ces destinations rêvées malgré le poids carbone important d’un déplacement en avion ?
Je pense qu’il faut trouver un juste milieu qui soit raisonnable et acceptable. Un vol transatlantique consomme 2,5 tonnes d’émission de gaz à effet de serre, ce chiffre reste problématique car pour respecter les accords de Paris, il faudrait que chaque citoyen émette maximum deux tonnes par an. Sur un an, le quota carbone est en effet dépassé avec un aller-retour vers les Antilles. Mais si on voit plus loin et qu’on multiplie ce chiffre par 10 (pour 10 ans), on peut se dire qu’on a le droit à un voyage dans les Outre-mer en 10 ans, voire deux. C’est ainsi que le voyage devient plus rare mais encore plus exceptionnel.
Quand on parle de bilan carbone, il faut aussi prendre en compte de nouveaux indicateurs à notre disposition aujourd’hui : le taux de remplissage historique de la ligne (un avion rempli émet moins de gaz à effet de serre par passager), la classe choisie (si tout le monde voyageait en économique on aurait plus de place dans les avions donc moins d’appareils en circulation), le type d’avion, les escales… En prenant en compte tous ces paramètres on peut donner la possibilité aux gens de faire des choix plus responsables.
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Pour vous, on peut continuer à prendre l’avion mais moins souvent ?
Exactement, on peut réserver l’avion à des destinations lointaines, comme pour se rendre dans les Outre-mer. Il faut impérativement arrêter de prendre l’avion pour des courtes distances et pour les voyages où d’autres types de transports sont possibles.
Selon notre association, il faut aussi prendre en compte l’indication « d’ombre climatique » qui prend en compte l'influence du comportement d'une personne en ce qui concerne le changement climatique. Elle relativise l’empreinte carbone du déplacement selon les raisons pour lesquelles on voyage. Par exemple, un voyageur qui part à l’autre bout du monde pour faire du shopping alors qu’il pourrait faire la même chose chez lui, ce n’est pas pareil qu’un touriste qui prend l’avion pour se rendre six mois aux États-Unis pour découvrir le pays et rencontrer la population. Il faut prendre en compte la contribution à l’économie locale et le temps de voyage, ce sont des éléments très importants. Certains voyages méritent d’être fait même s’ils sont carbonés. Nous pensons qu’il faut voyager moins souvent, plus longtemps et de manière plus qualitative.
L’empreinte carbone du voyage et particulièrement de l’avion est-elle une préoccupation d’une partie des voyageurs aujourd’hui ?
Oui, ça devient une préoccupation majeure des voyageurs. Après le choix de la militante écologiste Greta Thunberg d’arrêter de prendre l’avion vers la fin des années 2010, on a observé ce phénomène de flight-shaming (honte de prendre l’avion). Sa prise de position a démocratisé une prise de conscience et poussé à se calmer sur nos modes de consommations du transport aérien.
Aujourd’hui il est clair que les gens se posent des questions sur leurs départs en vacances.
On commence à voir des voyageurs qui n’assument plus de prendre l’avion. On voit ainsi des Ultramarins qui ralentissent leur fréquence de retour dans leur pays ou île d’origine mais ce n’est pas facile car ce choix implique souvent de vivre loin de sa famille.
Que se passera-t-il si, dans dix ou vingt ans, les voyages lointains diminuent drastiquement car les citoyens ne veulent plus prendre l’avion ?
La première conséquence c’est qu’il y aura moins de vols donc moins d’émissions de CO2 dans l’atmosphère et ce serait une très bonne nouvelle ! Peut-être que le tourisme de proximité en sortirait favorisé, les gens voyageraient dans leur pays. Cette délocalisation de la destination des vacances est importante, on n’a pas besoin d’aller très loin pour profiter d’un voyage extraordinaire. Ça vaut pour un Martiniquais comme pour un Normand.
Dans les Antilles, la Guadeloupe et la Martinique bénéficieraient peut-être d’un rebond de leur économie locale car aujourd’hui, beaucoup d’Antillais ne connaissent pas les Antilles. Je pense qu’il faut réinventer ces pratiques.