Concilier tourisme et protection de l’environnement est un enjeu de taille pour les territoires d’Outre-mer. De nombreuses voies d’actions sont possibles : aménagement ou assainissement des infrastructures d’accueil, transports plus verts, énergies renouvelables, sensibilisation des touristes. Premier volet de notre dossier spécial consacré au tourisme durable.
Par Marion Durand.
Avec près de trois millions de visiteurs par an, le tourisme est crucial pour les économies ultramarines. Selon un rapport du Sénat publié en juillet 2020, il représente en moyenne 10 % du PIB des territoires d’Outre-mer. Mais il existe une grande diversité de situations entre les territoires : le rapport rappelle que le tourisme constitue l'activité économique principale de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin et il occupe une place prépondérante dans l'économie polynésienne. « Bien que plus modéré, le poids du tourisme reste important à La Réunion et aux Antilles », indique les sénateurs. En Nouvelle-Calédonie, « le secteur du tourisme, bien qu'il constitue un axe de développement à fort potentiel, est encore relativement modeste avec un poids estimé à 4 % du PIB ». En Guyane, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Wallis-et-Futuna, le tourisme reste limité même s’il continue de se développer.
Mais à l’heure du changement climatique, dont les effets se font déjà largement ressentir dans les territoires d’Outre-mer (érosion côtière, montée des eaux, submersion marine, réchauffement et acidification des océans…), le tourisme doit se transformer pour être plus durable, il en va de la survie du secteur. Car l’industrie touristique n’est pas sans conséquences sur l’environnement dans les Outre-mer. Une étude commandée par le gouvernement polynésien et Tahiti Tourisme révèle que le tourisme représente 15 % du total des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire. Un chiffre auquel il faut ajouter l’empreinte carbone du transport aérien. Un touriste arrivant en avion génère ainsi 5,2 tonnes d’équivalent CO2 pour son voyage, et près d’une tonne supplémentaire pour un séjour de quelques jours.
Les Outre-mer en marche vers un tourisme durable
L’Organisation mondiale du tourisme (OMT) définit le tourisme durable comme un tourisme « qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l'environnement et des communautés d’accueil. »
Pour Julien Buot, directeur de l’association et du label Agir pour un tourisme responsable (ATR), les Outre-mer sont loin d’être en retard dans le domaine, ils en sont même les précurseurs en France : « Les Outre-mer n’ont pas attendu pour s’engager dans une voie plus responsable. Ces territoires ne sont pas à la traîne dans la transition vers un tourisme durable, au contraire, ils comptent parmi les premiers acteurs de l’écotourisme en France. Les Antilles, La Réunion, les îles du Pacifique ont rapidement compris que le tourisme devait être durable pour valoriser la nature. »
Un avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE), publié en 2020, confirme que ce type de tourisme « s’est peu à peu développé dans les Outre-mer, à la fois par l’émergence d’une offre nouvelle, parallèle aux grands complexes hôteliers, et par une transition de l’offre classique vers un modèle plus respectueux de la préservation des ressources, des populations et des cultures ». Selon son autrice, Inès Bouchaut-Choisy, il faut toutefois aller plus vite et « reformer le modèle actuel ».
Plusieurs actions pour un tourisme durable
Mais comment relever le défi d’allier protection de l’environnement et tourisme ? Tout d’abord, « en réduisant la pression sur les écosystèmes » répond Michel Porcher, expert du Groupe Outre-mer au Comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). « Pour le faire, on travaille depuis de nombreuses années sur des projets de sensibilisation à la fois des populations mais aussi des organismes administratifs, des bureaux d’études, de façon à leur donner des moyens et des solutions pour éviter de dégrader l’environnement lorsqu’ils mènent des projets de constructions par exemple. »
Dans le cadre du programme Ifrecor (Initiative Française pour les Récifs Coralliens), les experts livrent aux professionnels du tourisme des recommandations avant le début de travaux d’aménagement, que ce soit pour la construction d’un hôtel, d’une route, d’un aéroport ou de tous types d’infrastructures. « On fait l’inventaire des contraintes et des dégradations observées sur les milieux pour définir les schémas d’aménagement », précise Michel Porcher. « Notre objectif est à la fois de protéger les milieux et d’aider les hôtels car des travaux mal conçus impactent l’économie locale et les dégradations apportent des éléments polluants dans les milieux marins. »
Quand on parle de tourisme durable, de nombreuses possibilités d’action s’offrent aux professionnels : l’aménagement ou l’assainissement des infrastructures d’accueil, proposer des transports plus verts, opter pour des énergies renouvelables, réduction des déchets, protéger la faune et la flore, sensibiliser les touristes au respect de l’environnement…
Pour ce dernier point, Michel Porcher propose par exemple de mettre en place des sentiers sous-marins, les baigneurs suivent ainsi les bouées et ont accès à des explications tout au long du parcours. C’est une manière de pas abîmer certains coraux fragiles, de ne pas déranger les espèces et de sensibiliser sur les fonds marins. « On peut aussi informer les touristes sur le danger des crèmes solaires pour les espèces, certaines sont très polluantes, elles participent à l’acidification des coraux. Si les touristes en sont conscients, peut-être qu’ils opteront pour une crème moins polluante ? »
En Nouvelle-Calédonie, Aurélien Lalanne gérant de WE écotourisme NC a choisi de sensibiliser les touristes en leur montrant les richesses locales. « À chaque activité que je fais, que ce soit des visites guidées, des sorties en bateaux, des plongées, des randonnées… Tout est bâti autour de la biodiversité. » Avec les associations locales et nationales, il a créé une charte écotourisme, une sorte de guide de bonne conduite pour les clients. « On doit montrer l’exemple, sur les journées touristiques je propose des repas avec seulement des aliments en circuits courts (du poisson, des rillettes de thon, des fruits et légumes locaux) pour favoriser le savoir-faire local. »
Pour ce professionnel, il est important de faire collaborer le monde associatif local et le développement touristique économique. « Nous, prestataires touristiques, on peut compter sur les associations environnementales locales qui sont là pour nous aider et sensibiliser. »
Des aides financière pour le tourisme durable
La transition énergétique est une voie d’adaptation essentielle pour ces territoires. Depuis 2021, un Fonds spécial pour le tourisme durable a été déployé par l’Agence de la transition écologique (Ademe) partout en France. Ce aide financière accompagne les professionnels du tourisme (hôteliers, campings, restaurateurs) dans la mise en place de projets, d’investissements ou d’études visant à réduire leur impact environnemental ou pour sensibiliser la clientèle et les employés. L’Ademe finance à hauteur de 60 % ces investissements dans les Outre-mer (contre 40 % dans l’Hexagone).
« En Guyane, on accompagne des professionnels dans l’installation de panneaux solaires photovoltaïques dans des sites isolés qui fonctionnaient autrefois avec des groupes électrogènes, très consommateurs d’énergies fossiles », explique Pauline Roque, chargée de mission à l’Ademe pour la Guyane et les Antilles. Le Fonds a aussi permis de financer des dispositifs d’économie d’eau, de rénovation énergétique ou de créer des zones d’ombrage.
Dans les Antilles, le Fonds tourisme durable de l’Ademe a financé des projets de récupération d’eau de pluie ou l’installation de panneaux solaires photovoltaïques. L’Ademe lance aussi régulièrement des appels à projets, auxquels des entreprises peuvent candidater pour favoriser une aide financière à la mise en place de projet écotouristiques ou pour la mise en avant du slow-tourisme.
Créé en 1964 par la fédération française des Stations vertes et des Villages de Neige, le label touristique Station Verte distingue les communes qui œuvrent pour un tourisme responsable et propose aux vacanciers un séjour respectueux de l’environnement. Dans les Outre-mer, quelques communes ont obtenu ce précieux label, vieux de 60 ans : Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane), Entre-Deux et Salazie (à La Réunion) et cinq communes néo-calédoniennes : Bourail, Farino, Koumac, La Foi et Moindou.
Des touristes demandeurs d’une expérience plus écolo
Pour Pauline Roche, ce virage responsable est aujourd’hui « incontournable », « si les professionnels du tourisme ne prennent pas le virage de la transition écologique, ils ne tiendront pas ! » Depuis la mise en place du fond, il y a près de 4 ans, les dossiers se sont multipliés, preuve que l’intérêt des professionnels est bien là. « Il y a aussi une prise de conscience générale, on sait à présent que si l’on veut préserver notre biodiversité ultramarine et si on veut que nos enfants grandissent dans un monde correct, chacun doit donner sa part », ajoute-t-elle.
Selon Michel Porcher, « les touristes sont de plus en plus sensibilisés à la question environnementale, il y a une réelle prise de conscience depuis plusieurs années ».
Les voyageurs recherchent une expérience plus authentique et plus proche de la nature. « En Polynésie, les éco-lodges, des petits bungalows en bois au sein de petites structures sont très demandés. Certes, nous avons de très grands hôtels de luxe en Polynésie mais le tourisme nature prend de plus en plus d’importance. »
Autre enjeu essentiel que rappelle Inès Bouchaut-Choisy, dans l’avis du Conseil économique, social et environnemental : « le tourisme dans les Outre-mer ne peut être durable et se développer que s’il emporte l’adhésion et la participation des populations de ces territoires. »
La transition ne peut se faire sans les communautés locales, qui doivent, elles-aussi être sensibiliser aux enjeux du tourisme durable et être davantage prises en considération dans le développement de ce secteur d’activité. « D’un point de vue social, la faible insertion des communautés locales et la contribution limitée du tourisme à l’amélioration des conditions de vie de la population ressortent du diagnostic de certains territoires ultramarins », regrette le rapport. Le CESE préconise donc d’organiser des sessions d’information pédagogique pour les populations, les élus des intercommunalités et les professionnels du tourisme.