EXPERTISE. Europe et PTOM : La Nouvelle-Calédonie, un archipel si loin et si proche

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EXPERTISE. Europe et PTOM : La Nouvelle-Calédonie, un archipel si loin et si proche

Les élections européennes auront lieu le dimanche 9 juin 2024. Par dérogation, le vote aura lieu le samedi 8 juin 2024 en Polynésie française, en Guyane, en Guadeloupe, en Martinique, à Saint-Barthélémy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Ces dernières semaines, l'actualité a été largement dominée par la crise calédonienne, qui a percuté de plein fouet la campagne des européennes. Dans ce contexte exceptionnel et pour partager un regard sur le territoire en lien, Outremers360 vous propose une expertise de Joël Destom, Membre du Comité économique et social européen. 

 

RUP, PTOM et ACP. De quoi parlons-nous?

S'il existe une «Europe ultramarine», elle s'étend sur des latitudes très différentes. La volonté politique de 1957 a dominé l'évidence géographique d'une Europe qui aurait pu se définir comme une entité continentale : fiction pour certains, réalité pour d'autres, l'Europe continue au-delà des mers. Lorsque les Etats-Unis d'Amérique revendiquent la plus vaste zone économique exclusive (ZEE) du monde avec 12 millions de km2, les ZEE de tous les Etats de l'Union européenne (UE) représentent un domaine maritime près de deux fois plus grand avec plus de 20 millions de km2.

Pour une approche simple, il convient de visualiser trois cercles concentriques définis par des liens d'intensité décroissante : les Outre-mer dans l'Europe, ce sont les régions ultrapériphériques (RUP); les Outre-mer hors de l'Europe, ce sont les pays et territoires d'outre-mer (PTOM); les anciens Outre-mer désormais indépendants, ce sont les pays africains caraïbes et pacifiques (ACP). 

Les 79 membres et 7900 millions d'habitants des États ACP ne sont absolument pas concernés par les élections européennes. Tout au plus, rappellent-elles à ces populations l'héritage du projet colonial dans l'ombre de la tradition d'échanges installée par les conventions internationales (Yaoundé en 1963, Lomé en 1975, Cotonou en 2000, post-Cotonou en 2020). Tout au plus, rappellent-elles à ces pays que l'UE souhaite logiquement conserver une sphère d'influence sur le 10ème de la population mondiale avec des relations d'association. N'oublions pas que dans leurs bassins géographiques, RUP et PTOM sont proches de nombreux pays ACP (Dominique, Haïti, Fidji, Vanuatu, etc.)

Les RUP, elles, sont soumises à une appartenance de principe au territoire communautaire. Reconnues pour la première fois dans une déclaration annexée au traité de Maastricht (1992), elles sont régies par l'article 349 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Les RUP sont «intégrées à l'UE» tout en bénéficiant de certaines adaptations pour faire face aux contraintes liées à leur situation. Dès lors, les élections européennes concernent pleinement ces 9 territoires : 6 sont des départements, régions ou collectivités françaises (Guadeloupe, Guyane, La Réunion, Martinique, Mayotte, Saint-Martin); 2 sont des régions autonomes portugaises  (Açores, Madère); la dernière est la communauté espagnole des Canaries. 

Par comparaison, les PTOM ne sont pas intégrées mais «associées à l'UE».

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Les PTOM ne font pas partie de l'Union européenne!

Depuis le Brexit et le départ des 12 territoires britanniques, l'UE compte 13 PTOM : 6 sont français (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre-et-Miquelon, Terres australes et antarctiques française, Wallis-et-Futuna); 6 sont néerlandais (Aruba, Bonaire, Curaçao, Saba, Saint-Eustache, Sint-Marteen); le dernier est le territoire danois du Groenland. Définis par les articles 198 à 204 du TFUE, les PTOM ne font pas partie de l'UE et le droit dérivé ne s'y appliquent pas directement. 

Les 13 PTOM au sein de l'Union européenne © OCTA

Ces territoires «non européens» sont à mi-chemin entre les Etats membres et les pays tiers. Dès lors, ils ne bénéficient pas des fonds structurels de la politique de cohésion auxquels accèdent les RUP. 

Cependant, en tant que territoires associés à l'UE, ils peuvent répondre aux appels à projets des programmes européens en gestion directe et indirecte. C'est par exemple, le financement par le programme Horizon Europe du projet FALAH (Family farming, lifestyle and health) en Nouvelle-Calédonie. Ils peuvent également bénéficier des 76 millions d’euros dédiés à la coopération régionale (36 millions pour le bassin Pacifique, 21 millions pour le bassin Caraïbes, 4 millions pour le bassin Océan Indien et 15 millions pour la coopération intrarégionale).

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Bien plus, ils disposent d’une dotation budgétaire dans le cadre de la «décision d’association des outre-mer y compris le Groenland» (DAOG) qui finance des politiques de développement par territoires ou par bassins. C'est un appui budgétaire direct par le financement d’actions définies. Pour la période allant de 2021 à 2027, l’enveloppe totale dédiée aux 13 PTOM s’élève à 500 millions d’euros. Les 6 PTOM français bénéficient de 111,9 millions d’euros répartis de la façon suivante : 30,9 millions pour la Nouvelle-Calédonie (avec priorité à la transition énergétique); 31,1 millions pour la Polynésie Française  (avec priorité à l’eau et à l’assainissement); 27 millions pour Saint-Pierre-et-Miquelon (avec priorité au tourisme durable); 20,4 millions pour Wallis & Futuna (avec priorité au tourisme durable) ; 2,5 millions pour Saint-Barthélemy (avec priorité à la prévention des risques naturels et sanitaires).

Ils ne font pas partie de l'Union européenne, pour autant les citoyens des PTOM sont concernés par les élections européennes. La Cour de Justice de l'Union européenne a depuis longtemps estimé que la citoyenneté européenne complétait la citoyenneté nationale. Elle a considéré qu'une personne résidant ou domiciliée dans un PTOM pouvait voter et être représentée au Parlement européen.

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La crise calédonienne nous rappelle que, sur ce territoire, coexistent donc 2 types de cartes électorales : 1 carte électorale pour voter aux scrutins nationaux (présidentielles, législatives, municipales, européennes, référendum nationaux) délivrée à tout électeur inscrit sur la liste électorale générale; 1 carte électorale spéciale pour voter à l’élection des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (élections provinciales) délivrée à tout électeur inscrit sur la liste électorale spéciale. Dans le contexte actuel, constitutionnalistes et politologues, s'interrogent sur l'impact des éventuelles difficultés à tenir les élections européennes sur ce territoire qui ne fait pas partie de l'UE.

La Nouvelle-Calédonie, bien plus qu'un "Caillou".

Les battements du cœur le plus célèbre au monde, le cœur de Voh (Vook en langue kanak) se sont emballés parce que les regards divergent, sont en opposition, sans pour autant être inexacts. Une forme d'expression ultime de la diversité des Outre-mer régies par une surimposition nationale et européenne de statuts. Un rappel de la complexité d'histoires uniques qui se jouent toujours loin du vieux continent … 17.000 kilomètres pour la Nouvelle-Calédonie.

© OCTA

Comment expliquer à des européens (allemands, polonais, roumains, suédois, etc.) que l'environnement d'un peu plus de 200.000 électeurs français pourrait perturber la publication des résultats à l'échelle nationale? Impossible et l'Etat a pris des engagements pour que ces élections européennes se tiennent sur l'ensemble du territoire. 17.000 kilomètres c'est loin mais cela peut devenir proche si de nombreux bureaux de vote restent fermés, si la sincérité du scrutin est mise en doute.

Comment partager avec des calédoniens, préoccupés par tout autre chose, l'intérêt que tout français devrait porter à l'UE? Dire que le statut de PTOM est un moyen de financer des actions particulières? Dire que l'UE est un outil de solidarité et le cadre d'un dialogue aux allures internationales? A la vérité, il y a entre l'Europe et la Nouvelle-Calédonie plusieurs translations qui rappellent que ce territoire est bien plus qu'un «Caillou».

Tout d'abord, après une histoire complexe et en mutation quasi permanente, les composantes de plusieurs sociétés ont sur le vieux continent comme sur l'archipel pu renaître et se rapprocher, faisant fi des blessures du passé. 

Ensuite, tous ici et là savent qu'une communauté de destin ne se décrète pas mais se fonde sur un acte de vie, sur un acte de cœur. Tous ici et là doivent ressentir intérieurement l'impératif de sauvegarder des identités multiples pour se préserver du chaos et de la destruction.

Enfin, la devise européenne caractérise la manière dont les européens se sont rassemblés, en créant l'UE, pour œuvrer en faveur de la paix et de la prospérité, s'enrichissant ainsi des diverses cultures, traditions et langues. 17.000 kilomètres c'est loin mais cela peut devenir proche si l'on se met à croire, à espérer, à rêver que la communauté calédonienne de destin empruntera à la communauté européenne sa devise : « Unie dans la diversité ».

Joël Destom, Membre du Comité économique et social européen