Le 9 mai, c'est la Journée ou la Fête de l'Europe. Pour l’occasion, Outremers360 vous propose la tribune de Joël Destom, Membre du Comité économique et social européen.
Les élections européennes auront lieu le dimanche 9 juin 2024. Par dérogation, le vote aura lieu le samedi 8 juin 2024 en Polynésie française, en Guyane, en Guadeloupe, en Martinique, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Pendant un mois, retrouvez ses tribunes et expertises sur l'Europe et les Outre-mer.
Qu'avons-nous à célébrer dans les régions ultrapériphériques françaises (Guyane, Guadeloupe, Saint-Martin, Martinique, La Réunion, Mayotte) ?
Un lointain souvenir ? Lequel ? Celui d'une déclaration prononcée le 9 mai 1950 par Robert Schuman pour donner naissance à l'Union européenne, celui d'un acte politique majeur qui a changé le cours de l'histoire ? … Les mémoires collectives ne seront jamais synchrones !
Sur le continent des guerres, il y a au moins une évidence indiscutable : la paix est une véritable rupture dans le récit historique de pays qui en étaient incapables. Dès lors, célébrer pourrait participer à une prise de conscience des sursauts indispensables pour reconstruire après les crises majeures. Cela permettrait également de souligner que la noblesse des dirigeants est de proposer une vision et des perspectives en prenant le risque de l'opinion.
Mais loin du continent, l'après-guerre a été durablement marqué par le rejet du système colonial et les désillusions nées de la départementalisation. En 1950 : le nouveau salaire minimum interprofessionnel garanti n'est pas appliqué dans les anciennes colonies ; les fonctionnaires font grève pour une égalité de traitement avec ceux qui viennent de l'hexagone ; Aimé Césaire exprime avec virulence le sentiment d'une « confiance trahie » dans le « Discours sur le colonialisme ».
La date du 9 mai ne semble pas être majeure dans l'histoire des régions devenues ultrapériphériques (RUP). La mise en commun de la production de charbon et d'acier n'a pas changé la trajectoire économique de ces territoires qui, en l'absence de toute forme d'industrie, ont conservé société de plantation puis économie de comptoir comme socle d'un développement suppléé par une politique sociale anesthésiante.
Un ressenti bien présent ? Lequel ? Celui des vécus complexes d'appartenance multiples, celui des interactions mal comprises entre les niveaux supranationaux, nationaux, locaux ? … Les sentiments contrastés sont partagés et largement amplifiés !
Robert Schuman est porteur d'une identité plurielle. Né au Luxembourg, étudiant en Allemagne puis en France, naturalisé au lendemain du premier conflit mondial, il est à cheval sur plusieurs frontières géographiques et idéologiques. Dès lors, célébrer pourrait consister à reconnaître que l'identité européenne est celle que l'on choisit pour défendre ses valeurs, pour mettre en évidence la puissance d'une diversité revendiquée.
Mais comme sur le continent, l'idée et la construction européennes sont souvent rendues floues par la façon dont l'espace public est occupé par les représentants du peuple, par leurs partis. Dès la première élection au suffrage universel du Parlement européen, en 1979, les comportements politiques qui s’expriment desservent l'enjeu prioritaire. Les intérêts nationaux sont survalorisés et les débats servent les luttes politiciennes. La participation est faible dans tous les pays, 60.8% pour la France.
Au fil des 9 scrutins successifs, les taux de participation se dégradent avec des niveaux extrêmement bas dans les RUP. En 2009, la part de français votant est de 40.6% et la participation dégringole à 21% dans les RUP. En 2014, elle est de 42.43% au niveau national avec un nouveau record ultramarin de 17%, la Guadeloupe affichant 9.26% de participation. En 2019, 50.12% des votants se rendent aux urnes contre 19.55% dans les RUP avec une participation de 13.4% en Guyane.
Un pari sur l'avenir ? Lequel ? Celui des réalisations concrètes pour une solidarité de fait, celui de la responsabilité dont chaque citoyen peut s'emparer ? … Les régions ultrapériphériques ont les moyens d'être pragmatiques !
La date choisie fait référence à la construction d'une organisation européenne qui s'est élargie à 7 reprises, en triplant sa population. Dès lors, célébrer pourrait être l'occasion d'interroger une forme de succès géopolitique. Certains États, loin de leurs sphères traditionnelles de rayonnement, organisent maintenant des opérations d'influence sur les régions ultrapériphériques. Dès lors, célébrer pourrait contribuer à faire preuve d'une grande lucidité, d'une vigilance renforcée.
Plus que sur le continent, il y a des impatiences, des incompréhensions et des colères souvent légitimes. Plus que sur le continent, de nouvelles formes de contestations qui s'adressent d'abord au gouvernement national s'en prennent par erreur à l'Europe. Plus que sur le continent, il reste à convaincre que les valeurs universelles héritées d'histoires locales douloureuses sont en résonance avec celle d'un projet partagé par près de 450 millions de citoyens.
Pendant un mois, jusqu'aux 8 et 9 juin, chaque citoyen peut être pragmatique et s'emparer d'éléments concrets sur les moyens considérables mis à disposition des RUP. Chacun peut se faire une opinion sur l'usage de ces moyens, sur l'efficacité des politiques publiques européennes. Quelles que soient les opinions politiques nourries, le vote constructif et objectif est toujours préférable à une abstention de protestation ! Soyons pragmatiques, votons !
Joël Destom, Membre du Comité économique et social européen