Le premier tour des élections territoriales en Polynésie aura lieu ce dimanche 16 avril, et le scrutin, majeur dans la vie politique de la Collectivité d’Outre-mer, s’annonce disputé et indécis, entre un parti majoritaire affaibli par la crise sanitaire et les oppositions, indépendantistes en tête, revigorées par les législatives de 2022.
Rarement un scrutin territorial n’avait été aussi incertain. Et ce dimanche, le premier tour des territoriales en Polynésie, qui appellera aux urnes quelques 209 000 électeurs répartis sur une surface grande comme l'Europe, promet d’être très disputé entre deux voire trois partis politiques, sur les sept en lice pour le renouvellement de l’Assemblée locale, qui va ensuite élire le nouveau président de la Collectivité d’Outre-mer.
Président sortant (depuis 2014) et candidat pour un troisième mandat, Édouard Fritch et son parti le Tapura Huira’atira sortent de trois années difficiles politiquement et économiquement, entre la crise sanitaire, la guerre en Ukraine et l’inflation générale qui en découle. Miné par des décisions politiques -comme l’instauration d’une nouvelle taxe sociale- qui ont donné lieu à des défections, et par la gestion de la crise sanitaire, le parti, qui communique peu sur ses liens avec le parti présidentiel Renaissance, mise toutefois sur son bilan économique, la forte présence de maires sur ses listes et un vote de raison pour convaincre l’électorat polynésien.
Édouard Fritch et son parti ont, en outre, profité de la division du camp autonomiste pour tenter de recentrer le débat politique sur le traditionnel clivage indépendance contre autonomie. Un pari risqué : les thèmes de campagne font essentiellement écho aux thèmes d’actualité que sont la vie chère et l’inflation, la fiscalité, le foncier ou encore l’emploi. Le Tapura Huira’atira peut, soit profiter du nombre important d’oppositions pour se maintenir en tête au soir du premier tour, soit pâtir de la division des partis autonomistes, et du fort sentiment de « dégagisme » qui s’est déjà exprimé lors des scrutins de 2022.
En face, le parti indépendantiste Tavini Huira’atira d’Oscar Temaru apparaît comme le principal adversaire politique, à même de proposer une alternance sérieuse -ayant déjà été au pouvoir à plusieurs reprises entre 2004 et 2013-, et requinqué par sa victoire historique lors des dernières législatives. Toutefois, et malgré l’annonce du député Moetai Brotherson qui entend briguer la présidence du Pays en cas de victoire, le début de campagne s’est avéré compliqué pour le parti bleu ciel, accusé de népotisme en raison des liens de famille avérés entre colistiers. L’éviction surprise de l’élue Eliane Tevahitua, pourtant appréciée au-delà de la base militante, a également suscité l’incompréhension.
Pour se rattraper, le parti a annoncé la nomination de cette dernière au poste de Vice-présidente de la Polynésie en cas de victoire indépendantiste. Une nomination qui pourrait faire d’Eliane Tevahitua la première femme à accéder à cette fonction, répondant en même temps à une critique sur le manque de représentativité des femmes au sein du parti. Dans ce même registre, Moetai Brotherson a également annoncé un gouvernement au minimum paritaire, toujours en cas de victoire. Le parti a aussi élargi son programme en sortant de son thème de prédilection pour séduire un plus grand nombre d’électeurs. Et la personnalité de Moetai Brotherson, moins clivante, peut permettre au parti de surfer sur sa victoire aux Législatives.
La surprise de ce scrutin pourrait venir du parti autonomiste A Here Ia Porinetia, fondé par Nicole Sanquer et Nuihau Laurey -tête de liste-, tous deux anciens cadres du parti d’Édouard Fritch. Arrivé troisième en nombre de voix sur l’ensemble de la Polynésie lors des législatives, le parti compte sur des listes composées d’anciens élus proches d’Édouard Fritch ou Gaston Flosse et de personnalités de la société civile pour se démarquer des grands partis. Ils pourraient aussi bénéficier d'un mouvement de fond dans l'électorat polynésien, celui de la 3ème voix, rejetant le parti autonomiste majoritaire au pouvoir sans pour autant voter pour un parti indépendantiste.
Nuihau Laurey et Nicole Sanquer ont, en outre, obtenu le soutien du représentant local du Rassemblement national. Un soutien non négligeable puisque Marine Le Pen a enregistré près de 40 000 voix lors de la Présidentielle. Mais un soutien à revers pour le parti. D’une part, les voix portées vers la candidature de Marine Le Pen au second tour de la Présidentielle traduisent principalement un vote contestataire à l’égard d’Emmanuel Macron et de son allié local, Édouard Fritch. D’autre part, ce soutien alimente les accusations en populisme parfois formulées à l’encontre du parti et des mesures présentées. Certains observateurs déplorent également l’absence de programme détaillé du parti, hormis une publication Facebook de 21 mesures en guise de profession de foi.
Parmi les autres partis ayant une chance de passer le seuil des 5% nécessaire pour espérer une fusion avec les listes qui se sont maintenues, on retrouve le Ia Ora Te Nunaa du sénateur Teva Rohfritsch et de l’ancienne ministre Nicole Bouteau, tous deux également anciens cadres d’Édouard Fritch, et le Amuitahira’a (ex-Tahoera’a Huira’atira) de Gaston Flosse, dont la liste est menée cette année par Bruno Sandras. Le parti du « Vieux Lion » a connu plusieurs vagues de départs depuis 2014 et a du mal à renouer avec les victoires électorales. Derniers partis en lice dimanche : le Hau Ma’ohi de Tauhiti Nena -qui avait soutenu Éric Zemmour en 2022, et Heiura Les Verts, dont la liste est menée par l’écologiste Jacky Bryant.
Sur place, la campagne bat son plein depuis le mois de mars, et le dépôt officiel des listes des partis. Entre les réunions publiques dans les quartiers et les îles, les meetings et les levers de drapeaux aux couleurs des partis, l’essentiel de la campagne passe par les réseaux sociaux, inondés de photos, d’images et de vidéos relayés par les états-majors des partis. Face à la place importante de cette communication échappant au filtre informationnel des journalistes, les médias locaux ont multiplié les émissions et produits audiovisuels neufs pour couvrir la mère des élections en Polynésie.
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Reste à savoir si l’apparent engouement local pour la campagne se traduira dans la mobilisation des électeurs. En effet, le scrutin a connu une nette baisse de participation au premier tour entre 2013 et 2018 : 67,46% et 61,51%. Une baisse observée aux seconds tours de ces mêmes années : 72,79 % en 2013 contre 66,82% en 2018. Mais l’incertitude qui plane sur ces territoriales et le contexte post-crise peut donner lieu à un regain de participation. D’autant que les partis compteront sur chacune de leurs voix, tant les scrutins de ce dimanche et du dimanche 30 avril apparaissent disputés et indécis.
Rappelons qu'après les 16 et 30 avril, un troisième tour aura lieu à l'Assemblée territoriale pour élire le président de la Collectivité d'Outre-mer, le 10 mai. Autre rappel : une liste doit faire plus de 12,5% des voix pour être qualifié au second tour, et plus de 5% pour espérer fusionner sa liste. Une marche haute accessible surtout aux partis bien implantés dans les nombreuses îles de Polynésie française.