Une personne a été tuée par balle dans la nuit de mardi à mercredi lors d'une deuxième nuit consécutive d'émeutes en Nouvelle-Calédonie, alors que les députés votaient à Paris la révision constitutionnelle du corps électoral à l'origine de la colère du camp indépendantiste. Sur place, le représentant de l’État évoque une « situation insurrectionnelle ».
Selon le représentant de l'État dans l'archipel du Pacifique Sud, cette personne, touchée par des tirs avec deux autres personnes, est décédée des suites de ses blessures à l'hôpital de Nouméa. Le Haut-commissaire de la République, Louis Le Franc, a précisé devant la presse que la victime n'avait pas été victime « d'un tir de la police ou de la gendarmerie, mais de quelqu'un qui a certainement voulu se défendre ». Plus tard, le représentant de l’État a confirmé le décès d’une seconde personne
Malgré le couvre-feu mis en place dans la principale ville du territoire dès 18h locales mardi (9h à Paris), les graves violences qui ont débuté lundi dans l'archipel ont repris dès la nuit tombée, marquée par de nombreux incendies, pillages et échanges de tirs, y compris contre les forces de l'ordre. Plusieurs bâtiments publics de Nouméa ont brûlé dans la nuit, a constaté un correspondant de l'AFP. De nombreux commerces sont également partis en fumée.
Des voitures accidentées ou calcinées étaient également visibles un peu partout dans les rues, alors que des camions transportant des gendarmes mobiles, entre autres forces de l'ordre, sillonnaient la ville. « On est dans une situation que je qualifierais d'insurrectionnelle », a déploré Louis Le Franc. « L'heure doit être à l'apaisement (...) l'appel au calme est impératif », a-t-il insisté. « Je vous laisse imaginer ce qui va se passer si des milices se mettaient à tirer sur des gens armés ». Alors que la nuit tombe actuellement sur la Nouvelle-Calédonie, de nouvelles émeutes sont redoutées.
Vote à l'Assemblée
Le Haut-commissaire a fait état de plusieurs « échanges de tirs de chevrotine entre les émeutiers et les groupes de défense civile à Nouméa et Païta » et d'une « tentative d'intrusion à la brigade (de gendarmerie) de Saint-Michel ». Les forces de l'ordre ont procédé à un total de 140 interpellations dans la seule agglomération de Nouméa, selon un nouveau bilan dressé par Louis Le Franc.
Dans l’Hexagone, l'Assemblée nationale a adopté dans la nuit de mardi à mercredi par 351 voix contre 153 le texte qui élargit le corps électoral. La réforme devra encore réunir les trois cinquièmes des voix des parlementaires réunis en Congrès à Versailles. Dans un courrier adressé mercredi aux représentants calédoniens condamnant des violences « indigne(s) » et appelant au « calme », Emmanuel Macron a précisé que le Congrès se réunirait « avant la fin juin », à moins qu'indépendantistes et loyalistes ne se mettent d'accord d'ici là sur un texte plus global.
Le projet de loi constitutionnelle vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales dans l'archipel. Les partisans de l'indépendance jugent que ce dégel risque de « minoriser encore plus le peuple autochtone kanak ». Devant la presse, le président indépendantiste du gouvernement du territoire, Louis Mapou, a « pris acte » mercredi de la réforme votée à Paris mais a déploré une « démarche qui impacte lourdement notre capacité à mener les affaires de la Nouvelle-Calédonie ».
« Appel au calme » et demande « d’état d’urgence »
« Nous lançons un appel au calme », a poursuivi Louis Mapou. « Les mobilisations doivent se passer dans un cadre », a enchaîné le président du sénat coutumier Victor Gogny. « Depuis deux jours on est sorti de ce cadre et le pays est en feu. Il faut revenir dans ce cadre et que tout se calme ».
Dans un courrier adressé au chef de l'État, la principale figure du camp non-indépendantiste, l'ex-secrétaire d'État Sonia Backès, a demandé de son côté de déclarer l'état d'urgence, « notamment en engageant l'armée aux côtés des forces de police et de gendarmerie ». « Nous sommes en état de guerre civile », a-t-elle déploré. Une demande également faite par le député loyaliste Nicolas Metzdorf (Renaissance) et le sénateur LR, Georges Naturel. « Nous sommes à l'aube d'une nuit de tous les dangers » ont-ils estimé, laissant craindre une nuit prochaine tout aussi violente que les nuits de lundi et mardi.
La droite hexagonale, à l’instar du chef des Républicains à l’Assemblée nationale, Olivier Marleix, demande, elle aussi, l’état d’urgence. « Ça permettra des assignations à résidence des gens les plus identifiés comme étant les plus dangereux, de limiter la circulation de ces personnages » a-t-il expliqué. Ce mercredi matin, le président de la République aurait convoqué un conseil de défense à l'Élysée.
Quartiers filtrés
Mercredi matin, faute d'approvisionnement des commerces, les pénuries alimentaires ont provoqué de très longues files d'attente devant les magasins. Certains à Nouméa étaient pris d'assaut, d'autres étaient quasiment vides, n'ayant plus de pain ni de riz à vendre.
Dans les quartiers, la débrouille s'organise et sur Facebook, des « milices » d’habitants se mettent en place. « Nous nous sommes organisés spontanément », a expliqué à l'AFP David, un habitant du quartier de Ouema qui a souhaité garder l'anonymat. « Hier en fin de journée, des gens ont essayé de faire entrer quatre barils d'essence. Nous filtrons la circulation la journée », a-t-il indiqué, alors que certains habitants se sont « armés » de clubs de golf ou de cannes de croquet.
A Tuband, un autre quartier de Nouméa, des habitants patrouillaient armés de bâtons ou de battes de baseball, encagoulés ou casqués. « Nous sommes là depuis hier pour protéger la ville », a affirmé Sébastien, 42 ans, habitant la Vallée des Colons, près de Tuband. « Les flics sont débordés alors on essaye de se protéger et dès que ça chauffe, nous prévenons les flics pour qu'ils viennent nous aider. On essaye de faire en sorte que chaque quartier ait sa milice », a-t-il expliqué à l'AFP.
Renforts
Dans un bilan provisoire rendu public mardi, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a fait état de « plus de 70 policiers et gendarmes blessés » dans les violences. Et « 80 chefs d'entreprises ont vu leur outil de production brûlé ou détruit », a-t-il précisé devant l'Assemblée mardi. Les premières altercations entre manifestants et forces de l'ordre ont commencé dans la journée de lundi, en marge d'une mobilisation indépendantiste contre la réforme constitutionnelle.
Dans la crainte d'un enlisement, des éléments du GIGN, du RAID (son équivalent pour la police), quatre escadrons de gendarmes mobiles et deux sections de la CRS 8, une unité spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines, ont été mobilisés. D'autres renforts étaient en cours d'acheminement dans l'archipel, selon Gérald Darmanin. Cinquante membres du GIGN vont être envoyés en Nouvelle-Calédonie d'ici la fin de la semaine, a précisé une source proche du dossier à l'AFP, ce qui portera à une centaine les effectifs de l'unité d'élite de la gendarmerie dans l'archipel.
L'aéroport de Nouméa est fermé depuis lundi jusqu'à nouvel ordre. Le Haut-commissaire a indiqué mercredi qu'il avait demandé le renfort de l'armée pour le protéger. « On est entré dans une spirale mortelle. Si l'appel au calme n'est pas entendu par tous, il va y avoir beaucoup de morts ».
Avec AFP