Ce lundi s'ouvrira à Nouméa la 1ère édition de l'Oceania Geospatial Symposium, conjointement organisée par la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et la Polynésie. Le but : insuffler une coopération régionale avec les États insulaires du Pacifique pour valoriser la donnée géographique au service de la gestion durable des territoires et des ressources.
280 participants, dont 220 en présentiel à Nouméa et 60 en ligne, venant de Nouvelle-Calédonie, de Wallis et Futuna, de Polynésie, d'Australie, de Nouvelle-Zélande, de France hexagonale, des Fidji, de Papouasie-Nouvelle-Guinée, du Vanuatu, des Samoa, des Tonga, des Kiribati, des îles Salomon ou encore de Micronésie, représentants des acteurs publics (gouvernements, organisations régionales), privés (entreprises), des étudiants ou encore des chercheurs, scientifiques et universitaires. Pour une première édition, le pari du rassemblement du plus grand nombre semble réussi.
Vaimu'a Muliava, membre du gouvernement en charge des relations avec les territoires du Pacifique, et Jean Massenet, représentant de l'ART GeoDEV NC, tous deux artisans de l'événement, ont aussi réussi à faire venir Yana Gervogyan, directrice du Group on Earth Observation (GEO), une organisation internationale et intergouvernementale qui, en 2019, s'est lancé dans une démarche de rapprochement avec les États insulaires du Pacifique, à travers le Pacific island advisory group (PIAG) visant à renforcer les liens entre cette communauté internationale et les pays de la région.
Avant toute chose, il convient d'expliquer la matière qui sera au cœur des échanges à partir de ce lundi : le géospatial et la géomatique. Jean Massenet, qui animera le symposium, explique : « Le Géospatial fait référence à la donnée géographique. Il faut savoir que chaque donnée ont en elles différentes informations, dont une information géographique, une composante géographique. Ce qui permet d'avoir un système de référencement. Par exemple, un compte en banque est domicilié quelque part, un compteur a une adresse géographique. 90% des données ont une composante géographique. Donc le géospatial, c'est le fait d'avoir attrait à cette composante géographique de la donnée ».
Il poursuit : « La géomatique, c'est la contraction de la géographie par informatique. C'est une science qui permet de manipuler, de travailler les données à composante géographique. Ce qu'on connaît le mieux en général ce sont les Systèmes d'information géographiques (SIG). On peut aussi parler de l'observation de la terre, car en cette matière, on peut utiliser des images satellites, des images d'avion, on peut aller sur le terrain avec des données GPS ou le géomètre ».
« Le principe du géospatial, c'est que toutes ces données ont cette valeur de coordination. On va être capable de les valoriser en les croisant les unes avec les autres. Et c'est par ce croisement qu'on va créer des indicateurs, des outils d'aide à la décision pour les gestionnaires » ajoute Jean Massenet. Un exemple très concret : l'utilisation des images satellites pour détecter les surfaces brûlées par un incendie. « La première étape sera de recaler l'image satellite pour s'assurer qu'on soit dans les bonnes coordonnées. Ensuite on va pouvoir détecter, toujours grâce à l'image satellite mais à des niveaux invisibles à l'œil des nu, des choses particulières : des espèces de plantes ou de l'activité chlorophyllienne. Une fois qu'on a détecté cette surface brûlée, c'est une information mais dont on ne peut rien faire ».
Alors là où la donnée devient intéressante, c'est lorsqu'elle est croisée à d'autres données : « avec une donnée environnementale pour savoir qu'est-ce qui a brûlé ; une donnée cadastrale pour savoir à qui appartiennent ces zones brûlées ou s'il y a des habitations à proximité ; avec une donnée des réseaux d'eau qu'utilisent les pompiers pour savoir les moyens d'intervention,... ». « Quand on comprend que toute donnée à une composante géographique, on comprend que tout peut être lié. Et c'est ce qu'on essaye de faire : créer, utiliser, valoriser toutes les données dans le but, en ce qui nous concerne, d'adresser des objectifs de développement durable, de gestion durable des territoires et des ressources » aux décideurs, institutionnels, gestionnaires de ces territoires.
Une autre notion importante, et qui sera aussi débattue lors de cette semaine géospatiale, c'est la souveraineté de la donnée, « richesse des territoires ». Jean Massenet souligne une dualité en la matière : « on veut créer de plus en plus de données, mais plus on en crée, plus on est fragile face à la récupération des données par autrui ». Une problématique se dessine : Comment avoir des données intrinsèques à chaque territoire -notamment Polynésie, Wallis et Futuna et Nouvelle-Calédonie-, en dériver ou créer pour les partager, les diffuser entre les territoires pour les valoriser et derrière, mieux collaborer entre ces trois territoires ? Le tout, naturellement, en protégeant la donnée.
« L'enjeu est de pouvoir collaborer à l'échelle régionale, de mener des projets régionaux, sans porter atteinte à des données qui pourraient être sensibles » explique Jean Massenet. « Par exemple, quand on a une donnée sur un bateau, on a sa position, son identité, son propriétaire, ce qu'il était en train de faire. Cela fait beaucoup d'informations, et en fonction de qui j'ai en face, je ne vais pas forcément donner accès à toute l'information ». Autre enjeu de cette problématique de souveraineté : le stockage. « Aujourd'hui, on stocke localement et plus on va avoir d'information, plus on va stocker. Et on n'a pas forcément envie de stocker cela chez les GAFAM, sur des sujets sensibles et pour autant, on n'a pas les moyens de s'acheter des serveurs comme le feraient les États-Unis, l'Australie,... ».
En outre, les territoires français du Pacifique n'ont pas les moyens, des moyens qui leur appartiennent, pour répondre à tous ces besoins de création, de croisement, de diffusion, de protection ou de stockage de la donnée. « On se rend compte qu'on arrive à bout et qu'il faut trouver des solutions ». Et l'une d'elle serait probablement la mutualisation, « tout en garantissant la souveraineté de la donnée. Et la souveraineté c'est la capacité de gérer les flux de données qui sortent : ce n'est pas parce qu'on monte un projet entre les trois territoires français du Pacifique que les pêcheurs calédoniens vont savoir où les pêcheurs tahitiens vont chercher leur poisson, et vice-versa ».
Mutualiser tout en garantissant à chaque propriétaire de la donnée une maîtrise et une restriction de la diffusion, tout en ouvrant pour l'ouverture, le partage de la donnée pour intégrer des programmes et des projets régionaux : un défi que souhaitent relever les organisateurs de l'Oceania Geospatial Symposium. Il s'agit aussi pour ces derniers d'arriver, au bout de la semaine, avec des résultats très concrets, c'est-à-dire, une liste de six projets opérationnels à mener conjointement entre les territoires français du Pacifique et les voisins insulaires.
« On veut montrer qu'on est capable de travailler ensemble dans la région Pacifique, en sortant de là avec des projets opérationnels, des projets collaboratifs. Dès le premier jour, on mettra tout le monde autour de la table et on pourra choisir ce qu'on voudra faire. L'enjeu c'est de pouvoir tous décider ensemble », explique Jean Massenet. « En fin de séminaire, on remet tous les décideurs autour de la table et chacun choisira où il veut se placer », parmi ces six projets, « à échelle régionale, qui répondent aux enjeux de nos territoires ». Pour baliser le terrain, trois thématiques ont été priorisées : la connaissance du territoire, que ce soit la terre ou la mer, la connaissance et la gestion des ressources en eau, et les zones humides. On veut sortir deux projets sur chacune de ces thématiques.
À cet objectif très opérationnel s'ajoute un objectif plus symbolique : Initier le rapprochement des territoires français du Pacifique en termes de géospatial « parce qu'on est au centre et on encadre une région très convoitée. On a un nombre d'atouts inimaginables qu'on arrive pas à valoriser parce qu'on reste dans nos silos ». C'est d'ailleurs pour ce besoin de transversalité que cette première édition a été placée sous le signe du Tauha, la Croix du Sud en langue polynésienne, pour dire l'importance des trois territoires ultramarins du Pacifique dans l'organisation de cet événement. « C'est un événement des collectivités françaises du Pacifique pour la région », insiste Jean Massenet. « Nous, les territoires français du Pacifique, on est capable de se mettre ensemble pour collaborer (…). Ce sont des îliens qui prennent l'initiative d'appeler d'autres îliens pour collaborer ».
Vaimu'a Muliava conclut : « à l’heure où notre région fait l’objet d’une lutte d’influences entre les grands pays, il est important que nous, collectivités du Pacifique, nous nous fédérons pour apprendre à travailler ensemble, d’abord dans l’intérêt de nos pays et pour que le génie français ou européen en matière d’observation spatiale s’exercent dans l’intérêt de nos collectivités, pour définir des politiques publiques éclairées en termes d’occupation des sols, gestion de l’eau, gestion des risques, de surveillance de nos eaux contre la pêche illégale… L’autre intérêt est de travailler avec nos voisins car nous vivons dans le même environnement géographique, culturel et humain. Seul on va certainement plus vite mais ensemble nous irons beaucoup plus loin ».