La Nouvelle-Calédonie s'est imposée ces jours-ci comme un nouveau champ d'affrontement entre l'extrême droite et la droite: Marine Le Pen (RN) et François-Xavier Bellamy (LR) ont mené des visites très contrastées dans l'archipel, révélant des lignes de fracture sur la sortie du processus de décolonisation.
Venue avec une importante délégation, la cheffe de file du Rassemblement national a dénoncé une classe politique locale "sans projet" et un exécutif national "aveuglé" par l'obsession institutionnelle. Marine Le Pen a listé, selon elle, les erreurs manifestes d'Emmanuel Macron et de l'ex-ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, à l'origine de la situation actuelle et notamment la nomination de la loyaliste Sonia Backès comme secrétaire d'Etat ou le passage en force sur le dégel du corps électoral, à l'origine des troubles de 2024.
La patronne des députés RN à l'Assemblée s'est également indignée du chantage exercé par l'exécutif sur la Nouvelle-Calédonie concernant le prêt de 1,2 milliard d'euros, accusant Emmanuel Macron d'avoir "creusé de 1.000 milliards la dette de la France". Si elle accède à l'Élysée en 2027, a-t-elle affirmé, elle restera l'"avocate d'une Calédonie française".
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Marine Le Pen a aussi pris ses distances avec les partis loyalistes, qu'elle estime figés dans des "postures". Elle considère que le triple non aux référendums d'autodétermination de 2018, 2019 et 2021 ne constitue pas un projet et prévient qu'un refus du dialogue pourrait conduire à la guerre civile.
"On ne peut pas envisager l'avenir en vivant derrière des barbelés, protégés par des gendarmes, des armes à la main, pour tenir à distance une partie de la population", a-t-elle lancé. Le Rassemblement national propose un moratoire institutionnel de quarante ans, couplé à un plan Marshall pour redresser l'archipel, avant une nouvelle consultation en 2065.
Ses propos ont suscité des réactions hostiles lors de deux réunions publiques. Des invectives sont venues de militants loyalistes et de collaborateurs proches de Sonia Backès, la cheffe de file des non-indépendantistes les plus durs, fermement opposés à une nouvelle consultation. Ils ont rejeté des propos jugés déconnectés des réalités locales.
"Arrogance"
Deux jours plus tôt, François-Xavier Bellamy, vice-président des Républicains, avait défendu une position inverse.
Accueilli par les figures du camp loyaliste, il a salué le refus des élus non-indépendantistes de signer l'accord de sortie de crise proposé par le ministre des Outre-mer Manuel Valls début mai, un "quatrième non" et une "trahison démocratique" pour M. Bellamy.
Le contraste n'a pas manqué de faire réagir localement. Nicolas Metzdorf, député macroniste, a salué le discours de M. Bellamy, estimant que "la droite est à droite", une ligne qu'il revendique. À l'inverse, plusieurs figures loyalistes ont exprimé leur gêne face au ton de Marine Le Pen.
Philippe Blaise, vice-président de la province Sud et soutien ponctuel de Marine Le Pen, a dénoncé un passage "marqué par une absence d'empathie envers ceux qui ont résisté aux violences du 13 mai" 2024, date du début des troubles en Nouvelle-Calédonie qui ont fait 14 morts et plus de 2 milliards d'euros de dégâts.
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Même tonalité chez Françoise Suve, présidente du groupe Les Loyalistes au Congrès. "Après Manuel Valls, certains députés de LFI, et désormais Marine Le Pen, tous viennent avec la même arrogance réclamer une place autour de la table", a-t-elle écrit, dénonçant une "vision de la France qui n'est pas la nôtre".
Malgré son score élevé à la présidentielle de 2022 (40% au premier tour), le RN reste peu implanté localement. Guy-Olivier Cuénot est son seul élu au Congrès, bien qu'il siège au sein du groupe LR alors même qu'il ne réside plus sur le territoire.
Les fractures internes à la droite calédonienne ont souvent été alimentées par les positions de la droite et de l'extrême droite dans l'Hexagone et les tensions avec les indépendantistes. Dans les années 1980, la création du Front national calédonien marquait une rupture avec le RPCR de Jacques Lafleur, jugé trop conciliant à l'égard de Paris comme des indépendantistes. Une ironie, quand on sait que le projet aujourd'hui porté par Marine Le Pen est très proche du pacte cinquantenaire de Jacques Lafleur à la fin de sa carrière.
Loin de clarifier les perspectives, cette surenchère de la droite et de l'extrême droite en Nouvelle-Calédonie pourrait ajouter à la confusion.
Avec AFP