[DOSSIER] Moruroa et Fangataufa, des atolls à haut risque (2/5)

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[DOSSIER] Moruroa et Fangataufa, des atolls à haut risque (2/5)

À partir de 1975, les essais souterrains ont remplacé les tirs aériens en Polynésie. Jusqu’en 1996, le Centre d’expérimentation du Pacifique a mené 147 tirs dans les roches de la couronne corallienne ou sous le lagon de Moruroa ou Fangataufa, fragilisant durablement la géologie de ces atolls.

 

Un dossier réalisé par Marion Durand.

Le temps s’est arrêté en 1996 à Moruroa et Fangataufa. Même si, près de 28 ans après le dernier essai nucléaire français, la nature a quelque peu repris ses droits, ces deux atolls sont toujours tristement abandonnés. Inaccessibles au public, ces îles de l’archipel des Tuamotu sont classées « terrain militaire ». À Moruroa, l’atoll est occupé par quelques légionnaires ayant pour mission d’empêcher tout débarquement non autorisé.

De 1966 à 1996, la France effectue 193 essais nucléaires sur ces deux atolls. À partir de 1975, les tirs souterrains remplacent les essais atmosphériques. Si le type d’explosion change, les sites restent les mêmes. La structure géologique des atolls de Moruroa et Fangataufa permet, selon les études menées à l’époque, de réaliser des essais souterrains « dans des conditions de sécurité optimales ».

En onze ans, 137 tirs sont effectués sous Moruroa et 10 sous Fangataufa. Très vite, les conséquences géomécaniques et les risques d’effondrement des pans extérieurs de l’atoll suite à deux tirs souterrains de faible puissance poussent les autorités à renoncer aux expériences sous la couronne de Fangataufa et à transférer ces essais dans l’atoll voisin. À Moruroa, les tirs sont effectués dans les roches de la couronne corallienne et sous le lagon.

« L’engin nucléaire était placé dans un conteneur, d’une longueur de 15 à 20 mètres. Le conteneur était descendu dans des puits creusés au sein des formations basaltiques, à une profondeur variant de 500 à 1100 mètres de profondeur selon l’énergie de l’explosion », décrit l’historien du nucléaire Dominique Mongin dans le livre Des bombes en Polynésie.

À Moruroa, une surveillance du sous-sol de l’atoll

Ces essais ont particulièrement ébranlé les structures des atolls. « Les témoignages des travailleurs polynésiens et des militaires attestent les affaissements de terrain, et même la formation de failles, au point qu’il fallait régulièrement rehausser les routes d’accès aux chantiers de forages », peut-on lire sur le site de l’Assemblée de Polynésie.

Aujourd’hui, Moruroa et Fangataufa sont surveillés de très près. Les mouvements du sol-sol sont scrutés nuit et jour pour prévenir une éventuelle chute d’un bloc de récif corallien, comme celle qui s’est produit en juillet 1979 après l’essai souterrain Tydée. L’effondrement d’une partie de la falaise avait provoqué un tsunami, blessant trois travailleurs.

La surveillance radiologique et géologique des deux atolls repose sur un système automatique de télésurveillance, baptisé Telsite 2, pouvant détecter l’effondrement éventuel de pans de la falaise récifale. Grâce à des capteurs installés en profondeur et à la surface de l’atoll de Moruroa, le Commissariat à l'Energie Atomique et aux énergies alternatives (CEA) peut suivre l’évolution géomécanique des atolls et déclencher une alerte en cas de nécessité. Toutes les données sont transmises en temps réel au Centre du CEA de Bruyères-le-Châtel (région parisienne). Le système a été rénové en 2018 pour des « questions de modernisation », indique le ministère des armées qui n’a pas souhaité nous répondre par téléphone.

© Vice-rectorat de Polynésie

L’atoll peut-il s’effondrer ?

En février 2011, le ministère de la Défense a reconnu la possibilité d’un glissement de terrain et ainsi d’un effondrement d’une partie de Moruroa. Le dernier bilan en date (2021), indique que « que l’activité microsismique de la zone nord-est de Moruroa est d’un niveau très faible, tant en termes de nombre d'évènements que de magnitudes, dans la continuité des précédentes années. »

Pour Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements, le risque est réel. « La probabilité d’un effondrement est forte mais c’est impossible à prévoir car il peut y avoir d’autres éléments qui renforcent cette fragilité, comme le changement climatique ou des événements extrêmes ».

De son côté, le biologiste Bernard Salvat, fondateur du Criobe (Centre de recherche insulaire et observatoire de l’environnement) à Moorea, estime qu’un effondrement est « peu probable » : « Si on se place dans une échelle géologique qui porte sur des centaines de milliers d’années, il y a un risque car les choses évoluent. Mais dans l’immédiat je ne vois pas ce qui déclencherait une chute des loupes de sédiment, puisqu’il n’y plus d’essais. »

L’effondrement d’une partie de l’atoll de Moruroa pourrait avoir de graves conséquences sanitaires et environnementales. Dans un document publié en 2018, le ministère des armées indique qu’un glissement de terrain entraînerait la formation d’une vague de 2 mètres de haut. « Entre le moment où ces vibrations sont enregistrées et celui où une vague pourrait déferler sur le platier, il s’écoule au moins 90 secondes, temps durant lequel les personnes non protégées par le mur « océan » doivent se mettre à l’abri en hauteur ».

Dans le cas d’une évolution géomécanique anormale de l’atoll, soit un glissement de terrain bien plus important du massif en zone Nord de Moruroa, (d’un volume de 670 millions de m3 de roches), la vague pourrait atteindre 20 mètres et nécessiterait l’évacuation de Moruroa. L’atoll de Tureia serait également touché.

Base de vie pour accueillir les personnels du chantier Telsite © Ouest-France/Lignes de Défense

Des atolls très contaminés

Si la crainte d’une vague gigantesque est présente chez les populations, les habitants des Tuamotu, et plus largement les Polynésiens, redoutent une dilution d’une grande quantité de matière radioactive dans l’océan en cas d’effondrement d’une partie de l’atoll.

Car Moruroa renferme une grande quantité de plutonium dans ses sols, au fond des puits d’expérimentation, à la surface de l’atoll et dans les sédiments du lagon. Les déchets radioactifs y ont été enfouis dans 27 têtes de puits d’expérimentation. Un rapport du Conseil économique social environnemental et culturel de la Polynésie française, publié en 2005, s’inquiète « des risques dus à des effondrements à Moruroa et Fangataufa et à des rejets de produits radioactifs ». Des fissures ont été relevées dans les parties coralliennes des deux atolls.

« Certaines cavités de tir peuvent s’ouvrir suite à un effondrement ou un accident climatique, provoquant ainsi la diffusion de matières nucléaires dans l’environnement », indique-t-on sur le site de l’Assemblée. « Les sous-sols de Moruroa et de Fangataufa contiendraient près de 500 kg de plutonium, si l’on ne tient compte que de cette matière nucléaire à très longue durée de vie ».

Des voix s’élèvent pour demander, encore aujourd’hui, le classement de ces deux atolls comme Installation nucléaire de base (IBN). « L'activité totale des déchets accumulés dans les sous-sols des atolls atteint 13 729 TBq (térabecquerel) à Moruroa et 3 482 TBq à Fangataufa, précise la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité) dans une lettre ouverte adressée au Président en 2006. Ces valeurs sont respectivement 371 fois et 94 fois supérieures au seuil de classement comme INB, catégorie qui regroupe les installations les plus importantes : centrales nucléaires, usines de retraitement et principaux centres de stockage de substances radioactives. »

Pour Bruno Chareyron directeur du laboratoire de la CRIIRAD, le classement de ces deux atolls comme INB serait « une reconnaissance par l’État français du niveau de contamination élevé », ce qui permettrait « d’améliorer le traitement et le confinement des déchets radioactifs sur place ». L’ingénieur en physique nucléaire rappelle qu’il « ne faut pas oublier Hao », « il est urgent de mener une décontamination de la piste Vautour où se trouve encore du plutonium ».

Aujourd’hui, les atolls de Moruroa et Fangataufa sont toujours interdits au public. Une manière d’éviter, selon un rapport du ministère des armées en 2011, « toute action qui risquerait de remettre en mouvement les sédiments du lagon et le plutonium résiduel fixé sur la dalle corallienne du motu Colette et qui libérerait des particules de plutonium ».

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