Les maires des îles Sous-le-Vent échangent depuis de longs mois sur leur volonté de gagner en autonomie politique et financière vis-à-vis du Pays. Une réflexion qui a passé un cap : la sénatrice Lana Tetuanui a proposé aux élus un projet de courrier destiné au ministre des Outre-mer Manuel Valls, demandant l’ouverture de discussions sur la création d’une collectivité territoriale propre à l’archipel. L’idée serait pour ces cinq îles d’être plus autonomes, en matière économique notamment, et de profiter davantage de la manne touristique grâce à une fiscalité propre. Ce qui rejoint l’idée de « communauté d’archipel » défendue depuis plusieurs années par les maires des Marquises. Explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
Les îles Sous-le-Vent vont-elles faire bande à part ? L’idée a en tout cas fait son chemin chez les tavana (maires, ndlr), comme en témoigne un projet de courrier, rédigé la semaine dernière par Lana Tetuanui pour être étudié par les sept maires des Raromata’i, et qui a été transmis anonymement aux médias ce mardi. La sénatrice, en plus de dénoncer cette fuite prématurée, précise qu’il ne s’agit là que d’un « document de travail », proposé après « plusieurs mois » de discussions avec les élus de l’archipel… Et qui n’a jamais été envoyé à son destinataire, le ministre des Outre-mer Manuel Valls.
Si ce projet de missive était validé, les maires feraient part à l’ancien Premier ministre, qui a visité en juin quatre archipels de Polynésie mais pas les Raromata’i (nom de ces cinq îles en tahitien, ndlr), de leur « profond désir » de voir les îles Sous-le-Vent (Huahine, Raiatea, Tahaa, Bora Bora et Maupiti) « transformées en une collectivité territoriale constituée à l’intérieur de la collectivité d’outre-mer de Polynésie française ». Ou en tout cas d’ouvrir « un dialogue constructif » sur le sujet.
Compétences propres en matière de développement économique, de tourisme ou de pêche
L’objectif est bien sûr de gagner en autonomie politique et financière sur Tahiti. Une volonté pas neuve dans cet archipel, qui pèse lourd économiquement grâce à Bora Bora. Mais elle ne s’était jusqu’à présent jamais exprimée sous la forme d’une revendication statutaire. L’accession du parti indépendantiste au pouvoir en 2023 a visiblement accéléré la réflexion chez les élus des Raromata’i. De même que les accrocs avec le Pays sur la question des transferts de compétences et de la révision de l’article 43-2.
Pas question, a priori de « remettre en cause l’unité de l’espace géographique et politique » actuel de la Polynésie : ces tavana, tous autonomistes, souhaitent d’après le projet de courrier, « qu’elle continue à s’exprimer et à se vivre dans les limites territoriales et maritimes actuelles ». Mais dans une Polynésie « simplement déconcentrée », les communes « ne constituent pas l’espace le plus adéquat pour la mise en œuvre de certaines compétences » comme « le développement économique et touristique ».
Et la création d’un nouvel échelon de collectivité, en cohérence avec les « aires culturelles et linguistiques* » permettrait d’apporter du « dynamisme pour l’ensemble des secteurs tels que l’agriculture ou la pêche » grâce à des politiques définies « au plus près des acteurs économiques ».
Marquises, Raromata’i, même combat ?
Car le courrier, centré sur la demande des îles Sous-le-Vent, semble aussi ouvrir la porte à la création d’autres collectivités. Ce qui pourrait entraîner une union des luttes avec les Marquises, dont les hakaiki (maires en Marquisien) ont mis sur la table depuis près de 10 ans leur projet de « communauté d’archipel ».
Ces derniers n’ont jamais reçu un soutien franc de la part des autres élus polynésiens -y compris des maires autonomistes des Raromata’i- et ont plusieurs fois soutenu directement leur demande auprès de Paris. En 2023, un rapport sénatorial, jusque-là resté lettre morte, avait même proposé d’expérimenter un établissement public de coopération communale à statut dérogatoire aux Marquises, pour tester une autonomie renforcée au sein de la Polynésie.
Aujourd’hui, les archipels ne sont reliés que par des divisions administratives propres au Pays ou à l’État, et éventuellement par des communautés de communes, auxquelles les municipalités délèguent une partie de leurs compétences. C’est le cas de la Codim aux Marquises, et de Hava’i, qui rassemble toutes les communes des Raromatai à l’exception de Bora Bora.
Pourquoi ne pas renforcer les missions, encore légères, de cette « Comcom » plutôt que de demander une collectivité propre ? La réponse tient en un mot : la fiscalité. Les îles Sous-le-Vent, qui captent une bonne part des recettes touristiques de Polynésie grâce à la Perle du Pacifique, estiment depuis longtemps qu’elles ne profitent pas assez des retombées fiscales de ses hôtels.
L’idée est donc de mettre le sujet sur la table, et à Paris plutôt qu’à Papeete. Le projet de courrier propose d’entamer des discussions pour « déterminer d’une part les compétences et moyens dont pourrait disposer cette future collectivité territoriale » et « d’autre part, le calendrier de cette évolution ».
Charlie René pour Radio 1 Tahiti
*La Polynésie française compte sept langues autochtones -tahitien, austral, ra’ivavae, rapa, mangarévien, pa’umotu, et marquisien (du nord et du sud)- et autant de dialectes. L’archipel de la Société, qui comprend Tahiti, Moorea, Huahine, Raiatea, Tahaa, Bora Bora et Maupiti, partage la même langue : le tahitien.