Après avoir rendu public son rapport ce mardi, la commission d’enquête parlementaire sur les conséquences des essais nucléaires en Polynésie française a réuni la presse ce mercredi, pour présenter davantage cet « ouvrage de référence » qui entend ouvrir la porte à plusieurs changements, notamment sur les indemnisations, qui pourraient passer par le législateur.
« C’est un ouvrage de référence » de plusieurs milliers de pages, a salué le président de la commission Didier Le Gac, député EPR du Finistère, qui salue au passage la bonne tenue des auditions et des débats, « sans postures, sans clivages, sans polémiques ». Voté à l’unanimité, mais avec abstention du groupe Rassemblement national, le rapport « n’est pas un procès contre le nucléaire civil ou militaire » assume le député breton.
Il ne s’agit pas non, poursuit-il, de « faire le procès de la dissuasion nucléaire française », ou « de la science et de la médecine ». « Ce rapport à l'exigence de faire connaître l’Histoire de ces essais, d’en décrire tous les aspects, la contribution des Polynésiens et la dette que l’État a à leur égard. La France est éternellement redevable envers les Polynésiens » ajouté le président de la commission d’enquête qui s’interroge : « qui peut encore croire au mythe des essais propres ? », tout en mettant en garde face au sentiment de « rancœur », de « colère » ou de « défiance » que ce sujet peut encore provoquer en Polynésie.
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Si la rapporteure de la commission, la députée de Polynésie Mereana Reid Arbelot (Tavini Huira’atira, GDR) assure que « plusieurs mesures » recommandées par le rapport, notamment sur les relations entre le Civen et les malades polynésiens, la « gestion des archives du CEA » ou « l’usage des données de santé » des Polynésiens et vétérans, « peuvent d’ores et déjà être mises en œuvre sans passer par loi », elle avance toutefois une évolution de celle-ci, « en ce qui concerne le régime d’indemnisation actuelle ».
En ligne de mire de la députée : le seuil d’1 MsV (millisievert) ouvrant droit à une indemnisation, qui s’ajoute aux critères de lieu, de date et de maladies reconnues radio-induites. « Beaucoup de dossiers ont été refusés à cause de ce seuil » regrette la députée. « Il a été reconnu par le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) lui-même que c’est un seuil de gestion, alors qu’au départ il nous a été avancé sa scientificité (…). Il a été utilisé pour aider le Civen à faire le tri dans les dossiers », explique Mereana Reid Arbelot qui rappelle au passage que les Polynésiens et travailleurs du CEP n’étaient pas équipés de dosimètres.
Instauré en 2018, ce seuil remplace la notion de « risque négligeable », supprimé en 2017 par la loi Égalité réelle Outre-mer. Le risque négligeable fermait considérablement la porte aux indemnisations de 2010, date d’adoption de cette loi d’indemnisation (dite Loi Morin), à 2017. Mais sa suppression, vivement réclamée par les associations, avait provoqué une démission des membres du Civen, refusant d’indemniser sans se baser sur un critère scientifique. C’est à ce moment que le gouvernement a introduit ce seuil d'1 MsV, également critiqué par les associations.
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Mereana Reid Arbelot plaide pour un régime d’indemnisation basé sur les seuls critères de lieu, de date et de maladie reconnue radio-induite, donc de passer d’une logique de causalité à une logique d’exposition. Également favorable à « faire sauter ce verrou », Didier Le Gac fait le parallèle avec l’amiante dans les chantiers navals de sa circonscription : « si vous avez été ouvrier de la réparation navale et que votre entreprise est inscrite sur la liste des entreprises en contact avec l’amiante, vous n’avez pas à prouver, si vous avez une maladie en lien avec l’amiante, le caractère de contamination ».
« Une proposition de loi est en cours de rédaction, et elle n’est pas sur le seuil, elle est sans le seuil » abonde la députée. Plutôt qu’un changement de régime, Mereana Reid Arbelot évoque un toilettage de la Loi Morin avec donc la suppression du seuil d’1 MsV et en ajoutant « tout ce qui est indemnisation collective et indemnisation environnementale. Peut-être que cela aboutira à une nouvelle loi mais pour l’instant, on est sur des articles de rajout ou de suppression mais qui se profile probablement vers une nouvelle proposition ».
Concernant une éventuelle demande de pardon, autre point saillant de ce rapport, Mereana Reid Arbelot avance un « geste fort » qui viendrait du Parlement et non de l’Élysée. « Depuis l’arrêt des essais, on a eu quatre présidents de la République, qui certes ont fait inscrire la reconnaissance dans la loi organique de 2004, (…) mais il n’y a pas encore eu ce terme et cette démarche de pardon. Il nous a paru intéressant que ce pardon vienne de la représentation nationale et de proposer une loi organique » pour être cette « demande de pardon » dans le statut de la Polynésie française.
« On ne souhaite pas attacher cette demande à une seule personne » justifie encore la députée pour défendre cette démarche parlementaire du pardon plutôt que présidentielle, afin d’expier « les erreurs, les mensonges avérés » de la période des essais nucléaires. « C’est un chemin différent, non pas pour faire repentance car on n’est pas dans la cristallisation, la victimisation et le fait de rester dans le passé, au contraire, on voudrait avancer avec la Nation et commencer un chemin commun pour envisager l’avenir ».
Pour la députée, la démarche de pardon permettra aussi d’apaiser et réconcilier les colères et les clivages, au sein même de la population polynésienne. « Lors de nos auditions, on a constaté qu’il y quand même des personnes qui sont reconnaissantes des essais nucléaires, qui ont pu pendant cette période payer une maison en dur, payer les études de leurs enfants, qui ont pu améliorer leur niveau social. En face, il y a des personnes qui ont souffert en raison de maladies, ou ont quitté leurs îles pour habiter dans des bidonvilles, … ».
Sur les « dommages collectifs des essais nucléaires », la commission dans son rapport estime « légitime que l’État rembourse la Caisse de prévoyance sociale de Polynésie l’ensemble des frais engagés pour la prise en charge des patients souffrants de pathologies radio-induites ». Mereana Reid Arbelot défend « une indispensable évaluation des coûts passés, présents et futurs ». Elle appelle aussi l’État à « associer la Polynésie français à la gestion des impacts environnementaux du Centre d’expérimentation du Pacifique ». « Ce travail est un premier pas vers une mémoire partagée » plaide la députée.
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En tout, le rapport proposent 45 recommandations, notamment sur les transmissions intergénérationnelles qui nécessitent de la documentation scientifique, l’élaboration de la liste des maladies radio-induites qui « évolue trop lentement » et qui devrait être « assumée » par la Commission consultative de suivi « toute désignée pour remplir ce rôle », l’accès à l’indemnisation des ayant-droits à faciliter tant en allongeant les délais de prescription de 6 à 10 ans qu’en assurant « une réparation intégrale des préjudices subies par les familles des victimes ».
Sur le volet mémoriel, la commission d’enquête recommande de mettre en place une commission d'historiens et de chercheurs pour « mener un travail de fond centré sur l'étude de toutes les archives concernant la politique d'expérimentation nucléaire française en Polynésie française », qui aura vocation à « constituer la matière historique nécessaire à l'enseignement du fait nucléaire et l'assise historique d'une mémoire commune ».