La France va répondre « à la misère par la violence » à Mayotte, où le gouvernement a prévu fin avril une vaste opération d'expulsions d'étrangers en situation irrégulière et de destruction de bidonvilles baptisée « Wuambushu », estime dans un entretien avec l'AFP l'avocate Flor Tercero.
A la tête d'une délégation de robes noires, la responsable des Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) va mener une mission d'observation, anticipant que l'opération pilotée par le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer, et prévue à partir de la fin du ramadan (21 avril), se déroule « en dehors du cadre légal », bien que soutenue localement par les élus du Département.
Dans cet entretien à l’AFP, l’avocate fait part des « inquiétudes » de l’ADDE, « fondées sur l'expérience de ce qui se passe déjà à Mayotte, où les « décasages », les destructions de bidonvilles, existent déjà, alors que 40 000 personnes sur les 300 000 habitants de l'île vivent dans un logement informel ». « C'est une opération globale lors de laquelle l'État ne va pas tenir compte des situations individuelles de familles qui ont parfois investi toutes leurs économies dans des logements qui vont être détruits », déplore l’avocate.
« Certaines ont obtenu en justice la suspension de la destruction ou ont obtenu la possibilité d'acheter le terrain qu'elles occupent » rappelle Flor Tercero, dénonçant « des situations illégales et irréparables ». « On a aussi vu par le passé des mineurs se retrouver sans maison, sans parents (expulsés) et déscolarisés de fait », ajoutant ainsi de la misère dans un département où « 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté ».
« Aujourd'hui il est question d'expulser 1 000 personnes par mois. Mais la France a déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) le 25 juin 2020 pour des opérations massives similaires, lors desquelles on a expulsé manu militari des personnes en situation régulière, voire des Français, sans aucune possibilité de recours », a-t-elle également poursuivi.
« On craint ce genre d'expulsions où on ne fait pas dans le détail, en se disant qu'on fera revenir ultérieurement ceux qui avaient le droit de vivre à Mayotte. C'est scandaleux, car cela revient à traiter une population de façon violente et dérogatoire aux principes fondamentaux. Le problème, c'est qu'on a l'impression que Mayotte n'est pas un territoire français. Que c'est un satellite sur lequel on applique des bouts de droit français », dénonce-t-elle encore.
À Mayotte, le droit ne s'y applique que dans une somme de dérogations, en raison du sujet migratoire. « A cela s'ajoute le fait qu'on refuse aux personnes détentrices d'un titre de séjour de venir en métropole, ce qui engendre une surpopulation sur l'île ». Consciente de la « délinquance galopante à Mayotte, des phénomènes de violence des jeunes et de consommation de drogues », Flor Tercero estime que « le problème, c'est que l'État répond à la misère par la violence ». « Je ne pense pas que les personnes vont se laisser faire, et même si j'espère qu'il n'y aura pas de victimes, il va y avoir de la résistance et donc de la violence ».
Sur place, l’ADDE va « observer comment cette opération se déroule, comment les forces de l'ordre agissent, comment l'accès aux droits est assuré ». « Nous porterons assistance si on nous le demande, d'autant que le bâtonnier de Mayotte n'a toujours pas été officiellement informé de cette opération, alors qu'il y aura certainement nombre de personnes présentées devant un juge des libertés et de la détention ».
Pour la délégation d’avocats, « il y a un grand risque que l'opération se déroule en dehors du cadre légal ». « On ne peut pas respecter les droits des personnes en les considérant comme une masse informe. Et puis nous serons attentifs aux conséquences humaines. Nous sommes prêts à saisir la CEDH et les Nations unies, qui ont un droit de regard sur la situation à Mayotte », prévient déjà Flor Tercero.