L'OceanXplorer à Mayotte explore les profondeurs du volcan Fani Maoré

© Mayotte Hebdo

L'OceanXplorer à Mayotte explore les profondeurs du volcan Fani Maoré

Pendant deux semaines, le large de Mayotte a vibré au rythme d’une mission scientifique hors du commun. Le navire-laboratoire OceanXplorer, long de 87 mètres, a accueilli quinze scientifiques français pour la campagne Mayotte-2025, une expédition conjointe de l'Institut français de recherche et d'exploitation de la mer (Ifremer) et de l’organisation internationale OceanX. Vendredi 29 août, le navire a mis fin à cette aventure sous-marine exceptionnelle. Détails avec notre partenaire Mayotte Hebdo.

 

" C’est une chance que nous puissions inscrire Mayotte dans la recherche internationale. Ce volcan a toujours été un événement français, aujourd’hui notre patrimoine national devient patrimoine mondial", s’enthousiasme le géographe mahorais Saïd Saïd Hachim, qui avait pressenti, bien avant sa découverte en 2019, la naissance d’un nouveau volcan dans cette zone. À bord du navire américain, une équipe soudée et passionnée, dirigée par Louis Géli et Carla Scalabrin, chercheuse à l’Ifremer spécialisée en acoustique sous-marine : " Je travaille sur l’acoustique colonne d’eau, c’est-à-dire tout ce qui se trouve entre la surface et le fond marin. Poissons, planctons, émissions de gaz ou de fluides qui sortent du fond de la mer sont mes objets d’étude ", explique-t-elle. La campagne avait quatre missions majeures. La première, récupérer des équipements bloqués au fond de l’océan depuis plusieurs années. "Ce sont des stations de collecte de données qui n’étaient jamais remontées. Normalement, quand on leur envoie un ordre acoustique — un bip sonore qu’on envoie dans l’eau et qui déclenche un système mécanique — elles se libèrent de leur lest et remontent doucement à la surface. Ainsi nous pouvons récupérer les données. Mais parfois, le signal n’est pas reçu ou le mécanisme bloque, et l’équipement reste coincé au fond." 

Quatre objectifs pour percer les secrets des profondeurs

 Cette mission a été rendue possible grâce à la venue du navire OceanXplorer, équipé de son ROV Argus. Ce robot sous-marin, est capable de plonger jusqu’à 6 000 mètres avec " un bras hydraulique très précis et puissant, capable aussi bien de saisir un œuf fragile que de soulever des rochers de plusieurs tonnes ", explique Kailani Acosta, biogéochimiste et océanographe biologique à OceanX. L’équipe scientifique a ainsi pu récupérer un sismomètre de fond de mer (OBS) déployé en septembre dernier et qui n’était pas remonté comme prévu en octobre. "Il était en bon état. Surtout, on a pu récupérer ses onze mois d’enregistrement", se félicite Clara Scalabrin avant de poursuivre : "Nous avions aussi deux stations magnétotelluriques déployées en 2021 qui mesurent l’électromagnétisme pour détecter la circulation de magmas liquides. La première avait disparu, il ne restait que les lests. Mais la seconde, à 2 200 mètres de profondeur, a pu être récupérée avec toutes ses données." La deuxième mission consistait à observer l’évolution du volcan Fani Maoré. "Observer une éruption sous-marine en cours est extrêmement rare. Par le passé, il y a eu quelques observations de très petites éruptions, suivies en direct par des équipes américaines ou japonaises dans le Pacifique. L’observation de l’éruption de Fani Maoré est donc assez extraordinaire car c’est la 1ère d’une telle ampleur."

 Après l’éruption spectaculaire de 2018, le volcan est entré dans une phase de calme. Cependant, ses fonds marins continuent de se transformer lentement. La scientifique de l’Ifremer explique : " Depuis fin 2020, il n’y a plus de lave fraîche expulsée dans la zone. Par contre, il y a des modifications superficielles : du matériel a été déposé, certaines zones ont été lessivées par les courants, et la couleur du substrat marin a changé à cause des oxydes de fer. C’est un peu comme la rouille qui se développe au fil du temps. " La zone est devenue un site de recherche unique : " Il n’existe pas d’équivalent. On ne sait donc pas si ces changements d’apparence rapides sont normaux ou non. Bien que ce type d’évolution soit visible dans les milieux océaniques profonds, la différence ici, c’est que, comme il s’agit d’un site entièrement nouveau, nous pouvons observer la transformation de la surface du fond marin. Au départ, c’était complètement vierge. Après cinq ans, on peut constater des changements significatifs. Les oxydes de fer par exemple sont présents un peu partout dans l’océan, mais on les observe ici sur une éruption récente, donc c’est peu profond, c’est vraiment les premiers centimètres du substrat marin de la zone du volcan", souligne la scientifique. 

La troisième mission visait la zone du Fer à Cheval. Située à 15 km à l'est de Petite-Terre, elle a la probabilité la plus élevée d’occurrence d’éruption future. À la différence du volcan Fani Maoré qui s’est stabilisé, ce site est caractérisé par des émissions de CO₂ continues depuis le début de l’événement volcanique. "C’est comme si on observait une zone volcanique terrestre avec des sorties de fumée de plus en plus nombreuses", précise Carla Scalabrin. Bien que les émissions observées actuellement soient stabilisées et ne constituent pas un danger immédiat, le site est particulièrement surveillé "si des signaux précurseurs apparaissent, cette zone pourrait nous donner des informations cruciales", souligne la scientifique. Enfin, à l’aide de sondeurs acoustiques multifaisceaux, l’équipe a pu cartographier tout le système volcanique de Mayotte. "Ce sera très utile pour comprendre la topographie sous-marine et pour identifier le meilleur emplacement pour installer une station permanente de surveillance des risques sismo-volcaniques à Mayotte", explique Kailani Acosta d’OceanX. 

Des images spectaculaires et une faune étonnante 

Au fil des plongées, l’émerveillement est constant. Des coraux profonds, des poissons insolites, trois observations de baleines et… un dumbo, pieuvre emblématique des grandes profondeurs, ont été filmés et photographiés. Toutes ces observations sont désormais transmises au Parc Marin de Mayotte, enrichissant la connaissance de l’écosystème sousmarin local. Pour maximiser la récolte de données, l’activité est permanente à bord de l’OceanXplorer : "À 7h00 du matin, on déploie le ROV ", raconte Carla Scalabrin. "Il reste sous l’eau jusqu’à 18h00, puis est remis à bord, et vers 19h-20h, on commence l’acquisition acoustique de nuit avec des sondeurs multifaisceaux". 

Les équipes se relaient : les opérateurs de ROV de jour, ceux des sondeurs de nuit, et les scientifiques en quarts de 3h, avec au moins deux scientifiques dans la salle de commande à tout moment pour surveiller les équipements et assister les plongées. Pendant la journée, les images sont si spectaculaires que " tous ceux qui ne sont pas en train de se reposer sont à côté du poste de pilotage du ROV ", silencieusement pour profiter des images. " On voit des choses tellement merveilleuses et jolies au fond qu’on a du mal à aller dormir, et quand il nous reste un tout petit peu de temps, on mange très vite, on prend une douche très vite parce qu’on a envie de recommencer. " Cette expédition n’a rien d’ordinaire. La principale difficulté est de disposer d’un ROV capable d’atteindre les 3 500 mètres de profondeur du volcan, ce qui nécessite un "ROV 6000 ", rare dans le monde. "En 2021, nous avions utilisé le ROV Victor de la flotte océanographique française. Il faut du temps pour traiter les données et valider les résultats. Là, on a commencé à les publier, donc il devrait y avoir une nouvelle demande de campagne, mais comme les processus sont longs, ça ne sera pas avant 2030", explique Carla Scalabrin. 

Alors lorsque l’OceanXplorer a proposé de mettre à disposition son navire et ses équipements, l’opportunité était trop belle. " Tout a été planifié en un temps record depuis fin juin", un exploit quand la préparation d’une campagne scientifique classique peut prendre jusqu’à deux ans. Par ailleurs, cette dernière était "sans frais pour la communauté scientifique" : seuls les billets d’avion depuis la métropole ont été à la charge des chercheurs, alors que le coût d’un navire avec ROV est en moyenne de 50 à 60 000 euros par jour. Les ressources proviennent de l’organisation à but non lucratif OceanX, financée par le milliardaire américain Ray Dalio, fondateur de Bridgewater Associates, le plus important fonds d’investissement du monde. Mais plus que la gratuité, c’est la vision commune qui a motivé les scientifiques de l’Ifremer : " On ne fait pas les choses car on ne les paye pas, mais parce qu’on considère que l’équipe d’OceanX et OceanXplorer ont la même philosophie d’approche de ce que doit être la science". 

L’objectif était que les données collectées puissent réellement servir la société, en particulier à Mayotte, pour " mieux comprendre les phénomènes en cours " et aider " les décideurs et l’administration à prendre soin de la population de Mayotte ". Si la mission n’avait pas pour but immédiat l’évaluation des risques pour la population, elle fournit des informations cruciales pour REVOSIMA, le réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte piloté par l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP). Les données collectées permettront d’améliorer les modèles de suivi et d’anticipation des phénomènes volcaniques, offrant ainsi un outil précieux pour la sécurité des Mahorais. 

Retour sur terre et partage des connaissances 

 Après ces quinze jours en mer, l’équipe prévoit de restituer ses observations à travers des conférences et rencontres avec le public : école de voile à Petite-Terre, interventions auprès des étudiants de Dembeni et restitution au Parc Marin. " On fait de la science pour que notre connaissance, pour que les données qu’on collecte, pour que les hypothèses et les résultats qu’on en déduit puissent être utiles à la société et en particulier ici à Mayotte. C’est ça notre passion", insiste Carla Scalabrin. 

Par Mayotte Hebdo