La Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat vient de publier un rapport intitulé « La nouvelle posture stratégique du Japon dans l'Indopacifique, quelles opportunités pour la France ? » (par Cédric Perrin, président, Catherine Dumas, Hugues Saury, Mickaël Vallet, Edouard Courtial et Ludovic Haye, rapporteurs). Dans un contexte régional marqué par l’instabilité et des tensions persistantes, la France et le Japon pourraient encore approfondir une coopération bilatérale déjà présente dans de nombreux domaines, notamment militaires. Dans cette perspective, les rapporteurs formulent 18 recommandations.
La région indopacifique, clé du développement mondial (60 % de la population, 50 % du fret maritime et 40 % du produit intérieur brut), est aussi marquée par des tensions accrues en raison de la présence militaire de puissances nucléaires telles que la Russie, la Corée du Nord et la Chine, cette dernière menant des actions hostiles pour revendiquer des territoires.
La menace de confrontation entre la Chine et les Philippines inquiète particulièrement les États-Unis et le Japon, qui renforcent leur coopération militaire, plaçant le Japon au centre de ces tensions. Dans ce contexte, la France, malgré ses moyens limités, pourrait renforcer son influence par un partenariat stratégique avec le Japon, qui s’intéresse à sa stratégie dans la région.
Le rapport constate ainsi que « la présence traditionnelle de la France et de ses points d’appuis se trouvent dans un triangle allant du Moyen-Orient et des terres australes jusqu’à la Polynésie française ; - La triple menace chinoise, nord-coréenne et russe sur la façade ouest du Japon constitue un défi aux intérêts de la France sur un axe qui se trouve très éloigné au Nord des moyens français ; - Dans cette zone de tension, la Corée du Sud, le Japon et les Etats-Unis sont les partenaires de défense en capacité de nous offrir des points d’appui ».
Par ailleurs, le Japon et la France partagent des positions similaires sur des enjeux mondiaux, notamment la situation en Ukraine, les crises au Moyen-Orient, la lutte contre le changement climatique, et la protection des voies maritimes et de la liberté de navigation. « L’année 2023 s’est conclue sur le plan bilatéral par l’adoption d’une feuille de route 2023-2027 franco-japonaise visant à prolonger le « partenariat d’exception » de 2013 par cinq nouveaux piliers : coopération indopacifique ; sécurité et défense ; économie et science ; gouvernance mondiale, culture et éducation », relève le document.
Le texte note une montée en puissance de la coopération militaire opérationnelle bilatérale. Depuis 2023, les trois entités de l’armée française (terre, air, mer) ont engagé un cycle de coopération bilatérale avec les Forces japonaises d’autodéfense qui s’est poursuivi en 2024 avec des opérations inédites : « la mission Pégase 2024 en partenariat avec l’Allemagne et l’Espagne, nations du programme SCAF (système de combat aérien du futur, ndlr) dans le cadre de Pacific skies (juillet) ; l’escale et la relève d’équipage de la Fremm Bretagne à Yokosuka (août) ; l’exercice Brunet-Takamori conduit pour la première fois sur le sol japonais (septembre) ». Ces exercices ont pour ambition de s’inscrire dans le temps long pour maîtriser les différences de doctrine d’emploi et d’environnement juridique.
La Base industrielle et technologique de défense française (BITD, ensemble des industries nationales d'un pays prenant part aux activités de défense, ndlr) reste cependant peu implantée au Japon, malgré un marché prometteur et complémentaire sur le plan technologique. Les commandes annuelles japonaises demeurent modestes, atteignant un total de 700 millions d’euros sur la dernière décennie.
Les principales collaborations ont concerné les mortiers et les avions de surveillance maritime. Les rapporteurs soulignent que « l’agence d’armement japonaise (ATLA) poursuit avec la France une coopération en matière de drones sous-marins et de canons électromagnétiques. L’axe de coopération privilégié semble retenir des modèles de co-développement et de technologies duales, à l’instar de l’unité de production de pièces 3D de l’entreprise française Fives ».
Parmi les 18 recommandations « visant à mieux articuler les stratégies indopacifiques respectives et à saisir de nouvelles opportunités d’influence pour la France », le rapport préconise entre autres d’élargir le cercle de la stratégie Indopacifique de la France vers le Pacifique Nord-Ouest ; de « réitérer la recommandation visant la nomination de secrétaires d’État à vocation géographique pour assurer la représentation à haut niveau de la France ; de pérenniser l’effort de coopération militaire sur la base d’un exercice majeur annuel pour les trois armées (terre, air, mer) ; de proposer la participation des officiers japonais aux cursus proposés par l’Académie de défense de l’École militaire (IHEDN, Institut des hautes études de défense nationale, ndlr, École de guerre, Centre des hautes études militaires, etc.) ».
En outre, il s’agirait d’ « affirmer systématiquement la légitimité de la France comme partenaire des États du Pacifique ; - Renforcer l’action diplomatique de la France en direction des parlementaires et du monde politique japonais par des événements réguliers, à l’exemple britannique ; et Développer une stratégie d’influence active incluant une dimension de communication stratégique sur tous les événements de coopération de défense ».
PM