Plus de trois semaines après le passage du cyclone Chido à Mayotte, les habitants tentent de se reconstruire. Cela passe par la recherche de matériaux pour rebâtir une maison sinistrée ou tout simplement la reprise du travail. Dans le centre-ouest du territoire, dans la commune de Tsingoni, Nasrine Maoulida, médecin généraliste, a repris les consultations après une semaine de fermeture administrative. Celle qui effectue actuellement des remplacements dans un cabinet du village de Combani ne se voit pas partir, au contraire. Face à la crainte de prochains départs, elle milite pour plus de formations locales.
Malgré la catastrophe qui a touché Mayotte le 14 décembre dernier, le cabinet médical où exerce Nasrine Maoulida est peu fréquenté ces derniers jours. « Contrairement à ce qu’on aurait pu s’attendre, il y a moins de monde depuis Chido », explique la jeune médecin qui exerce en remplacement à Combani. « D’habitude, nous avons entre 20 et 30 patients par jour. Ils ne sont qu’une dizaine en ce moment. Peut-être parce qu’ils sont occupés à régler les affaires du quotidien, très compliquées en ce moment… Ou bien parce que l’information n’est pas passée, mais nous sommes bien ouverts. » Le cabinet est ouvert du lundi au vendredi de 7 h à 15 h. « Les pathologies que l’on voit depuis le cyclone ne sont pas très graves. Souvent, ce sont des personnes qui veulent prolonger un arrêt de travail, des petites plaies, mais rien de vraiment inquiétant. Rien à voir avec ce qu’on peut voir dans les dispensaires, de ce que j’ai cru comprendre. » Problème de communication ou priorités revues par les habitants, la jeune médecin émet tout de même une inquiétude : « Ce qu’on appréhende, ce serait pour l’après, parce que les personnes qui ont des traitements chroniques pour le diabète ou l’hypertension ne renouvellent pas leurs traitements. »
Travailler pour avancer
Continuer de travailler est une nécessité pour la Mahoraise. « Quand on est sinistré et qu’on ne travaille pas, on est dans le sinistre 24 heures sur 24. » Pour elle, reprendre les consultations a été une forme de thérapie. « C’est beaucoup plus simple psychologiquement. Ça m’extrait un peu de mon quotidien… Ma maison est aussi sinistrée. » Le cyclone Chido a bouleversé le quotidien de la médecin, tout comme celui de ses patients. Face à cette situation inédite, la communication avec les autres acteurs médicaux est également salutaire. « Ces échanges nous permettent de partager des informations essentielles sur les aides disponibles et sur la manière dont chaque cabinet gère l’après-Chido. » La réalité du terrain reste éprouvante. « Le weekend, on doit s’occuper du logement sinistré pendant des heures, chercher l'eau avec cette interrogation de savoir si on va en trouver ou pas. Et puis il y a toutes ces files d’attente partout… C’est décourageant. Au travail, je suis utile à beaucoup de personnes et je peux m’extirper un peu de tout cela… Heureusement, je ne suis pas seule. J’ai mon compagnon, ma famille, mon entourage au quotidien. »
Former localement pour maintenir les liens
Cet ancrage dans sa famille et dans son territoire, c’est la raison pour laquelle la jeune femme n’a jamais envisagé de partir, même au plus haut de la catastrophe. « Si nous partons, qui restera-t-il ? C’est chez nous, nous avons aussi un rôle à jouer pour notre territoire. » Nasrine Maoulida est convaincue que la solution aux nombreux départs annoncés dans les différents secteurs professionnels à Mayotte réside dans la formation locale. « Il faut instaurer une première année de médecine à Mayotte », martèle-t-elle. Ce serait pour elle, un autre moyen de créer un lien durable entre les étudiants et leur île. « Quand on a une attache familiale ou à l’île, c’est plus évident de rester, et c’est plus facile de revenir par la suite, si l’on décide à un moment donné de partir. »
Originaire de Tsingoni, Nasrine Maoulida a toujours été très proche son île. Après avoir obtenu son bac à Mayotte, elle a poursuivi ses études de médecine à Angers avant de se spécialiser en médecine générale à La Réunion. Ses stages entre les deux départements ont nourri cette proximité.
Pour la jeune médecin, instaurer une première année de médecine à Mayotte ne se limite pas à une question d’accessibilité géographique. Cela permettrait de limiter le décrochage des étudiants mahorais confrontés à l’éloignement et au changement radical que peut représenter l’Hexagone. « Beaucoup abandonnent parce qu’ils se retrouvent seuls, sans réseau de soutien, dans des villes où la vie est très différente de ce qu’ils ont connu ici. Si on peut leur offrir un départ solide à Mayotte, cela changera la donne. »
Au service des autres
Cet engagement pour les autres trouve ses racines dans l’histoire familiale de la jeune Mahoraise. Fille de médecin, elle a grandi en observant son père. « Les patients venaient à la maison », se rappelle-t-elle. « J’ai vu à quel point les gens avaient confiance en lui. C’était inspirant. Je voulais moi aussi être utile de cette façon. » Cette vocation s’est confirmée lors de ses études. Sa thèse écrite sur la contraception naturelle des femmes à Mayotte s’inscrit dans ce combat. « Je me suis demandée en tant que médecin pourquoi certaines femmes choisissaient des méthodes de contraception naturelle. Je me suis rendue compte que les femmes ne manquent pas d’information, mais leur choix reflète souvent une insatisfaction vis-à-vis des options médicales disponibles, parce qu’il y a souvent trop d’effets secondaires. » Cette recherche l’a poussée à encourager les médecins à aborder le sujet des contraceptions naturelles lors des consultations. « Soit nous en parlons, soit elles s’informent ailleurs, parfois à partir de sources peu fiables. Il est crucial que les médecins leur fournissent une information complète pour qu’elles puissent faire un choix éclairé. »
Aujourd’hui, Nasrine Maoulida a plusieurs projets pour l’avenir, notamment l’ouverture de son propre cabinet. « On verra après Chido», glisse-t-elle néanmoins en souriant. « Pour le moment, on reste et on essaie de se reposer un peu pour repartir sur de bonnes bases. »
Abby Said Adinani