Jean-Marie Le Pen, figure de l'extrême droite française, plusieurs fois condamné pour contestation de crime contre l'humanité ou incitation à la haine raciale, et finaliste de la présidentielle de 2002, est mort mardi à l'âge de 96 ans à Garches (Hauts-de-Seine).
« Jean-Marie Le Pen, entouré des siens, a été rappelé à Dieu ce mardi à 12h », a indiqué sa famille dans un communiqué transmis à l'AFP. Provocateur sulfureux obsédé par l'immigration et les juifs, patriarche contrarié par les siens, fondateur du Front national devenu Rassemblement national, Jean-Marie Le Pen a sorti l'extrême droite française de sa marginalité au cours d'une carrière politique qui a marqué la Ve République.
Jean-Marie Le Pen n'a jamais exprimé aucun regret pour ses dérapages, contrôlés ou non, répétés souvent, qui lui ont valu plusieurs condamnations en justice : des chambres à gaz « point de détail de l'histoire », à « l'inégalité des races » (1996), en passant par l'Occupation allemande « pas particulièrement inhumaine » (2005) ou l'agression physique d'une adversaire socialiste (1997). « Je vais te faire courir, moi, tu vas voir, rouquin... Pédé ! », s'en était-il encore pris à un militant hostile.
Éternel provocateur et défricheur des extrêmes droites européennes, Le Pen voulait-il vraiment le pouvoir ? « On ne me l'a jamais apporté sur un plateau », se victimisait-il. Mais « au fond de lui, il ne voulait pas gouverner », croit surtout savoir le journaliste Serge Moati qui a suivi « le diable de la République » pendant 25 ans au gré de documentaires et ouvrages.
« Avoir été considéré comme un réprouvé, un exclu, un antisystème, l'a en fait arrangé et lui a donné paradoxalement une popularité qui s'est traduite progressivement dans les urnes », décrypte le réalisateur. « Un Front (national, ndlr) gentil, ça n'intéresse personne », résumait Le Pen, en ironisant : « avant le « détail », 2,2 millions d'électeurs ; après, 4,4 millions ».
Le plus emblématique de ses succès restera inachevé. Le 21 avril 2002, à 73 ans et pour sa quatrième candidature à l'Élysée, il crée la surprise en se qualifiant pour le second tour de l'élection. Le triomphe a son revers : pendant quinze jours, des millions de personnes défilent contre le racisme et son incarnation politique. Surtout, Jean-Marie Le Pen permet la réélection facile de son ennemi juré Jacques Chirac.
En Outre-mer, le succès est nettement plus difficile, en 2002 comme lors de ses autres candidatures. Dans ces territoires, Jean-Marie Le Pen ne dépasse pas la barre des 5% en 2002, sauf en Nouvelle-Calédonie et à Saint-Pierre et Miquelon où il passe difficilement les 10%. Dans certains territoires, il est même persona non grata. En décembre 1987, Jean-Marie Le Pen prévoyait de tenir un congrès aux Trois-Îlets en Martinique, accompagné de représentants des droites européennes.
Cependant, un mouvement populaire massif s’est opposé à sa venue. Des milliers de personnes ont envahi le tarmac de l’aéroport du Lamentin, empêchant son avion d’atterrir. Cette mobilisation reflétait le rejet de ses idées par une partie significative de la population martiniquaise. Lors de la même tournée en décembre 1987, après l’échec de sa visite en Martinique, Jean-Marie Le Pen a tenté de se rendre en Guadeloupe. Cependant, il a également été confronté à une opposition similaire, avec des manifestants bloquant sa venue, l’obligeant à annuler sa visite.
En décembre 1997, Jean-Marie Le Pen et son épouse, en transit à l’aéroport du Lamentin, ont été violemment pris à partie par des militants indépendantistes. Ces derniers, pensant que le couple souhaitait séjourner en Martinique, les ont agressés verbalement et physiquement. Le Pen a dénoncé le manque de protection policière lors de cet incident. En 2001, Jean-Marie Le Pen s’est rendu à Mayotte, recevant un accueil plutôt froid, contrastant avec celui reçu par sa fille Marine Le Pen sur cet archipel où, depuis quelques années, le FN devenu RN fait ses meilleurs scores Outre-mer.
Entre 1984 et 1986, rappelle La 1ère Outre-mer, le parti de Jean-Marie Le Pen obtient son premier député ultramarin. Le Réunionnais Jean Fontaine, siégeant à l’UDR de 1968 à 1984, rejoint le Front national. Le député réunionnais ne se représentera pas en 1986, date à laquelle le FN obtient 35 sièges au palais Bourbon. Mais il faudra attendre 2024 pour que le parti d'extrême-droite obtienne de nouveau des députés Outre-mer, à Mayotte et à La Réunion.
Reste qu'au fil de soixante ans de carrière et cinq présidentielles, Le Pen a réveillé une extrême droite française jusqu'alors disqualifiée par la Collaboration. Né le 20 juin 1928, à La Trinité-sur-Mer (Morbihan), le Breton devient pupille de la Nation à 14 ans quand son père, patron pêcheur, meurt en mer en sautant sur une mine. Étudiant en droit à Paris, Le Pen s'engage ensuite en Indochine. En 1956, à 27 ans, il devient benjamin de l'Assemblée nationale sur les listes poujadistes, dans une IVe République déclinante. Puis il repart, en Algérie cette fois, où il sera accusé de tortures - ce qu'il conteste.
Anticommuniste viscéral, Jean-Marie Le Pen dirige en 1965 la campagne présidentielle de l'avocat d'extrême droite Jean-Louis Tixier-Vignancour puis est désigné en 1972 à la tête d'un nouveau parti qui réunit des néofascistes : le Front national, dont le logo, une flamme, est inspiré de l'emblème du MSI, le parti italien resté fidèle à Mussolini. En 2011, la benjamine de la fratrie Le Pen, Marine, est désignée pour reprendre le flambeau. Devenue présidente du FN, Le Pen fille se veut loyale : « Je prends l'ensemble de l'histoire de mon parti et j'assume tout ». Jean-Marie Le Pen restera président d’honneur du parti.
« Durafour... crématoire »
Le passif est pourtant lourd, Le Pen père ayant notamment montré tout au long de sa carrière une obsession pour les juifs. En 1958, il avait pointé à l'endroit de l'ancien chef du gouvernement Pierre Mendès France « un certain nombre de répulsions patriotiques et presque physiques ». Condamné à la fin des années 60 pour apologie de crime de guerre après avoir édité un disque de chants du IIIe Reich, c'est en 1987 qu'il compare pour la première fois la Shoah à « un détail de l'Histoire ». Un an plus tard, il ose un jeu de mot avec le nom du ministre Michel Durafour, « ...crématoire ! ».
« Un certain nombre de juifs considèrent qu'ils ont une immunité qui est liée à ce trait et que les autres leur doivent en quelque sorte une révérence, certains même une prosternation particulière », déplore-t-il en 1991. Dans ses Mémoires, il enfonce : « L'antisémitisme garantit l'homogénéité du groupe juif, les sionistes le savent ».
Mais lorsqu'en 2015, Jean-Marie Le Pen promet une prochaine « fournée » à Patrick Bruel, Marine Le Pen estime que le « président d'honneur » du Front national va à l'encontre de la stratégie de dédiabolisation du parti. Car la « lepénisation des esprits » trouve ses limites : certes, le Menhir s'est imposé dans le paysage politique français et a ouvert la voie à l'essor de mouvements nationalistes et populistes en Europe.
Mais ses outrances l'ont inexorablement marginalisé, empêchant toute alliance, tant dans l'Hexagone qu'au Parlement de Strasbourg. Marine Le Pen exclut finalement son père du mouvement qu'il avait fondé quarante-trois ans plus tôt - aux côtés d'un ancien Waffen-SS, Pierre Bousquet - puis renomme le parti en Rassemblement national. « Un suicide », commente Le Pen, en fustigeant les purges contre les éléments les plus radicaux du mouvement, lui qui avait théorisé le rassemblement de toutes les extrêmes droites, des catholiques traditionalistes aux néo-païens, nostalgiques de Vichy voire néo-nazis compris.
Avec AFP