En 2020, pour de petits films destinés à marquer les commémorations nationales du mois de mai, la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage avait demandé à des personnes de toutes les générations comment elles avaient entendu parler de l’esclavage pour la première fois. Beaucoup ont cité les grands films hollywoodiens, la série télévisée « Racines » … des œuvres qui parlent de l’histoire des États-Unis… mais rien sur l'histoire française sur le code noir, l'abolition de l'esclavage sous la révolution ou son rétablissement par Napoléon. Rien non plus sur l'histoire de la Guyane, ou de La Réunion.
Partager ces événements encore largement méconnus, évoquer les grandes personnalités qui ont traversé cette histoire, expliquer la diversité des situations dans les différentes colonies françaises, montrer comment le combat pour l’émancipation a nourri la construction de la République : c’est l’ambition de l’exposition itinérante que la FME a conçue en 2021, et qu’elle diffuse depuis dans toute la France.
Un outil simple
« Tout part du fait que nous ne sommes ni un musée, ni un centre de ressources ou d'accueil », indique Nadia Wainstain, la responsable du programme Éducation de la Fondation, qui a coordonné le projet de l’exposition. « Comme on ne peut pas venir chez nous pour appréhender cette histoire, nous avons décidé d’aller au-devant des gens pour la partager, avec un outil léger, synthétique, transportable, qui peut s’installer dans n’importe quel local : bibliothèque, hôtel de ville, établissements scolaire… ».
La forme est on ne peut plus simple : 12 panneaux verticaux déroulables, que la Fondation met à disposition gratuitement de toutes les communes et toutes les institutions qui désirent partager l’histoire française de l’esclavage. Car c’est la gageure que les concepteurs de l’exposition ont relevée : raconter en aussi peu de panneaux une histoire qui débute au 15ème siècle et dont les conséquences se font toujours sentir jusqu’aujourd’hui.
Pour le faire, la FME s’est appuyée sur un comité scientifique formé par les historiennes Dominique Rogers (de l’université des Antilles), Aurélia Michel (université Paris Diderot), l’historien Sébastien Ledoux (université Paris Panthéon-Sorbonne) et la directrice des Archives nationales d’outre-mer, Isabelle Dion. « Les discussions ont été intenses », rappelle Nadia Wainstain. « Mais nous sommes parvenus à concentrer le propos en construisant des panneaux à plusieurs niveaux de lecture, autour d'une chronologie simple ».
Incarner l'histoire de l'esclavage
L’exposition se découpe en effet en quatre séquences : deux panneaux pour planter le décor, trois panneaux pour parler de la violence et de la complexité des sociétés esclavagistes, trois panneaux pour aborder la fin difficile de l’esclavage entre 1789 et 1848, et deux panneaux sur les suites jusqu’à nos jours, entre colonisation, décolonisation et mémoire.
Les informations sont nombreuses, mais toujours ordonnées, entre textes, chiffres et visuels, comme l’explique Nadia Wainstain : « Nous avons construit l'exposition sur deux principes : le premier, c’est l’incarnation. Chaque panneau présente des personnes, célèbres ou anonymes, montre leurs visages ou leurs silhouettes, raconte leurs combats. Le deuxième, c’était de montrer qu'il y a toujours eu des résistances à l'esclavage, sous différentes formes, à différents niveaux. L’exposition présente ainsi un petit panthéon des grandes figures l’émancipation, avec des figures connues (Toussaint Louverture, Victor Schoelcher, Louis Delgrès) et d’autres qui le sont moins, mais que nous voulons faire connaitre (Sanité Belair, les sœurs Nardal…). Mais elle évoque aussi les combats des anonymes, ou encore les résistances à travers les pratiques culturelles, comme le maloya à La Réunion. »
Une chose saute aux yeux en parcourant l’exposition : c’est l’importance de la Révolution française dans l’histoire du combat contre l’esclavage. C’est en effet à ce moment que survient la plus grande révolte d’esclaves de l’histoire mondiale, à Saint-Domingue, la plus riche colonie à l’époque. Les esclaves insurgés arracheront la première abolition en 1793 (généralisée à toutes les colonies françaises en 1794), puis leur indépendance sous le nom de Haïti en 1804, après avoir battu les troupes de Bonaparte qui avait décidé de rétablir l’esclavage.
« Ces quinze années, de 1789 à 1804, sont vraiment la matrice de nos valeurs universalistes », relève Nadia Wainstain, « parce qu’elles ont mis les révolutionnaires qui avaient voté la déclaration des droits de l’homme et du citoyen au défi d’appliquer ces principes dans les colonies, où régnait l’esclavage. C’est vraiment le message de l’exposition, qu’on peut résumer avec les titres de son premier et de son dernier panneau : « #CESTNOTREHISTOIRE », et « Liberté Égalité Fraternité ».
Déclinaisons locales
Déployée dans une quarantaine de lieux en 2021, l’exposition de la FME sera de nouveau présentée cette année dans de nombreuses communes dans toute la France, hexagone et Outre-mer compris. Avec cette année plusieurs nouveautés. A l’occasion du 2020ème anniversaire de sa mort et du 50ème anniversaire de la parution du roman qu’André Schwarz-Bart lui a consacré, un panneau est dédié à Solitude, cette Guadeloupéenne, ancienne esclave, qui est morte pour s’être opposée au rétablissement de l’esclavage par Bonaparte. Et la Fondation a travaillé avec les archives des collectivités d’outre-mer pour créer un panneau propre à l’histoire de chaque territoire. La première déclinaison a été présentée à Mayotte le 27 avril dernier.
« Nous souhaitons faire cela chaque année : multiplier les angles et les déclinaisons locales, pour en faire un vrai outil de transmission d’un récit national qui soit à la fois incarné et ancré dans les territoires », conclut Nadia Wainstain. « Il en faudra plus pour remplacer les images fortes des films hollywoodiens dans les imaginaires. Mais, qui sait, peut-être qu’un cinéaste trouvera dans ces panneaux l’idée d’un grand film sur l’esclavage en France ? »
Les choses bougent déjà : Abd-Al Malik a annoncé l’année dernière qu’il travaillait à une adaptation de la vie de Furcy Madeleine, ce Réunionnais réduit en esclavage qui a demandé pendant presque trente ans aux tribunaux de le reconnaître libre, et qui a fini par gagner son procès en 1843. Son portrait figure dans l’exposition de la FME.
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