Narcotrafic : un problème « insuffisamment pris en compte » aux Antilles-Guyane, selon un rapport du Sénat

Les sénateurs Étienne Blanc (à gauche) et Jérôme Durain (à droite), respectivement rapporteur et président du rapport de la Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France ©Sénat

Narcotrafic : un problème « insuffisamment pris en compte » aux Antilles-Guyane, selon un rapport du Sénat

Dans la matinée de ce mardi 14 mai, les sénateurs Jérôme Durain, président (Socialiste, Écologiste et Républicain, Saône-et-Loire), et Étienne Blanc, rapporteur (Les Républicains, Rhône), ont présenté à la presse les conclusions du rapport de la Commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier. Ils ont notamment déploré qu’aux Antilles-Guyane, la menace était « insuffisamment prise en compte ».

 

En France, le narcotrafic touche l’intégralité du territoire, et son chiffre d’affaires représente entre trois et six milliards d’euros par an. Le pays subit notamment une explosion du trafic de cocaïne depuis dix ans et l’arrivée massive de  drogues de synthèse peu onéreuses qui constituent de nouveaux dangers pour la santé publique. Le système s’est « ubérisé », à l’image d’un ultra-capitalisme débridé, ont dit en introduction les auteurs du rapport, au sein duquel la violence et la corruption sont les instruments de base des trafics.

Concernant les Outre-mer, la France et l’Europe se sont dotées d’un bouclier pour se protéger de l’importation, notamment de cocaïne, qui proviennent d’Amérique du Sud. « Toutefois la France, aux Antilles, a insuffisamment pris en compte les conséquences d’une protection », a reconnu le rapporteur Étienne Blanc. « Les réseaux s’organisent aux Antilles pour exporter. Se protéger c’est bien, mais s’intéresser à ce qui se passe en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane c’est aussi important. Sur ces territoires, nous avons des armes qui circulent, il y a un nombre d’homicides et de violence physique qui se développent, des entreprises de narcotrafic sont extrêmement puissantes, qui se livrent à la corruption. Nous constatons aujourd’hui que cela est insuffisamment pris en compte. »

 D’après le rapport, les territoires d’Outre-mer seraient carrément « abandonnés par l’Etat », les effectifs des services d’enquête, des douanes et des magistrats en poste dans les territoires ultramarins, de même que les moyens techniques étant loin d’être suffisants pour faire face à l’intensification du trafic de stupéfiants et de la violence qui en est issue. « Le sous-dimensionnement des moyens humains au regard de l’ampleur du narcotrafic ne permet ni d’exploiter l’ensemble des renseignements disponibles, ni d’absorber la charge d’investigation induite, ni a fortiori de lutter contre la délinquance économique et financière liée au trafic de stupéfiants », note le document.

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 Le rapport souligne que la position stratégique des Outre-mer, proches de l’Amérique latine, forment des zones de « rebond » utilisées par les trafiquants pour accéder au marché européen. « Les territoires ultramarins français (Antilles et Guyane notamment) sont ainsi des lieux stratégiques de transit, de négoce et de stockage pour le cannabis et la cocaïne. Leur espace maritime permet de transporter de grandes quantités de cocaïne à bord de conteneurs ou de bateaux de plaisance vers l’Europe. Le vecteur aérien est également utilisé pour le transport de cocaïne vers la France, essentiellement par l’intermédiaire de passeurs également appelés les « mules ».

La Commission d’enquête préconise de se donner les moyens de la sécurité dans les Outre-mer avec des mesures adaptées. « Proches des États producteurs, convoités par les trafiquants pour leur place stratégique sur la route vers l’Europe, les Outre-mer sont en première ligne face à la menace et ont besoin d’un soutien que le Gouvernement n’a pas su leur apporter », écrivent les rapporteurs. Ces derniers affirment que la doctrine d’intervention de l’État est vouée à l’échec si elle continue à prioriser la lutte contre l’entrée des stupéfiants en Europe au détriment d’une action en amont. « La Commission d’enquête défend une stratégie du bouclier qui doit se traduire aussi et surtout par le repoussement des flux et des réseaux qui tentent de se servir des collectivités d’Outre-mer comme de lieux de stockage et de transit ».

Le rapport recommande que les contrôles à 100% soient pérennisés en Guyane et étendus en Martinique et en Guadeloupe pour déjouer toute tentative des narcotrafiquants : « Cette nouvelle approche offensive suppose également de développer les contrôles à l’intérieur même des territoires ultramarins (contrôles routiers, notamment) au profit de la sécurité locale et d’accélérer le déploiement des moyens techniques qui, promis de longue date, se font toujours attendre (scanners mobiles, renouvellement du parc aéromaritime, scanners de bagages…», précisent les auteurs.

Ils demandent également une rénovation de la politique contre les « mules » avec l’instauration « de manière palliative et provisoire » de nouvelles mesures administratives et la création d’une nouvelle peine complémentaire d’interdiction de vol. « En parallèle, les aéroports ultramarins (dont les importantes failles en matière de sûreté-sécurité offrent aux organisations criminelles des facilités qu’elles n’osaient même pas espérer) doivent être sécurisés », relève le rapport.

 

PM