Le préfet de la Martinique a décrété vendredi 20 septembre l'interdiction des « manifestations, attroupements et autres rassemblements revendicatifs » à Fort-de-France et dans trois autres communes de l'île jusqu'à lundi matin, après plusieurs nuits de violences urbaines.
Les tensions, qui sont vives depuis plusieurs jours, s'inscrivent dans un contexte de mouvement contre la vie chère lancé début septembre en Martinique. « Sauf dérogation expresse accordée par les sous-préfets d'arrondissements, les manifestations, attroupements et autres rassemblements revendicatifs sont interdits sur la voie publique et les voies privées ouvertes à la circulation du public », dispose l'arrêté signé par le préfet Jean-Christophe Bouvier.
Cette interdiction concerne les communes de Fort-de-France, du Lamentin, de Ducos et du Robert. Il court du vendredi 20 septembre à 18h heure locale jusqu'au lundi 23 septembre 08h, est-il encore indiqué dans cet arrêté. Depuis mercredi soir, certains quartiers de Fort-de-France et du Lamentin, commune limitrophe, sont soumis à un couvre-feu, de 21h à 05h, jusqu'à lundi.
Malgré le couvre-feu partiel, la nuit de jeudi à vendredi a de nouveau été « agitée », a précisé la préfecture, évoquant trois barrages « érigés et enflammés au Lamentin » et huit dans le sud de l'île. Quatre personnes ont été interpellées.
Des prix alimentaires 40% plus élevés que dans l'Hexagone
Pour justifier l'interdiction de manifestation, le représentant de l'État en Martinique, a invoqué, dans un communiqué, une mesure destinée à « faire cesser les violences et dégradations commises en réunion, mais aussi les nombreuses entraves à la vie quotidienne et à la liberté de circuler qui pénalisent l'ensemble de la population, notamment pendant le week-end ».
Toutefois, « les manifestations revendicatives régulièrement déclarées auprès des autorités compétentes continueront de pouvoir se dérouler », a ajouté la préfecture. Elle a également annoncé l'organisation, « dans les prochains jours » d'une nouvelle table ronde sur le thème de la vie chère avec l'ensemble des acteurs, « élus, pouvoirs publics, acteurs économiques et associatifs », sans donner de date précise.
Le différentiel des prix entre DROM et l’hexagone est considérable, selon les données de l'Insee en 2022 : +16% en Guadeloupe, +14% en Martinique ou encore +9% à La Réunion. Le fossé est encore plus marqué concernant l'alimentaire, avec des prix 40% plus élevés en Martinique. Sur l’île d’environ 350 000 habitants, 44 300 ménages se situaient en 2020 sous le seuil de pauvreté, soit 27% de la population. Un taux plus élevé d'environ 12 points qu'en France hexagonale, selon l'Insee.
L'octroi de mer est au cœur des critiques. Cette taxe spécifique s'applique aux importations en Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion. Elle « sert théoriquement à protéger la production locale pour autonomiser ces territoires, et surtout à financer les collectivités locales », explique Frédéric Ducarme, secrétaire général de la chaire Outre-mer de Sciences Po.
« Mais lorsque les taux d'octroi de mer s'appliquent à des produits d'importation qui n'ont pas leur équivalent localement, on aboutit à des situations absurdes. Les gens ont besoin d'acheter des produits importés qui sont ceux qui coûtent le plus cher », observe Ivan Odonnat, président de l'Iedom, l'organe de la Banque de France dans les territoires d'Outre-mer.
En 2022, selon la Cour des comptes, cette taxe a généré 1,64 milliard d'euros de recettes pour les cinq DROM, apportant notamment 32% des ressources des communes. Revers de la médaille, cette imposition dope les prix. Bien qu'il n'en soit pas la seule cause, « l'octroi de mer participe de façon significative » à la cherté de la vie, notait le patron de la Cour, Pierre Moscovici.
Les situations de monopoles en Outre-mer sont aussi souvent pointées du doigt. En août 2023, alors en visite en Polynésie, l’ancien ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, avait annoncé une mission sur les monopoles en Outre-mer, pilotée par l’ancien ministre délégué Philippe Vigier. Celle-ci n’a finalement pas aboutie, entre le remaniement du début d’année, puis la dissolution et les législatives anticipées au début de l’été, et l’attente d’un nouvel exécutif.
Avec AFP