INTERVIEW. L’Agence Qualité Construction propose un « forum inter-outre-mer » pour « unir les forces des territoires » et « renforcer un enrichissement mutuel »

INTERVIEW. L’Agence Qualité Construction propose un « forum inter-outre-mer » pour « unir les forces des territoires » et « renforcer un enrichissement mutuel »

Au lendemain de ses assises en 2024, l’Agence Qualité Construction (AQC) a proposé, dans un Livre blanc, la création d’un « forum inter-outre-mer qui permettrait d'unir les forces des différents territoires et de renforcer un enrichissement mutuel ». Une recommandation en complément de la création de « cellules locales » et d’une « véritable feuille de route pour l'écriture de normes adaptées par et pour les professionnels ultramarins ». Le président de l’AQC Philippe Rozier, qui salue au passage le vote au Sénat de la loi d’Audrey Bélim sur l’amélioration de l’habitat en Outre-mer, explique dans cette interview ses recommandations pour la construction ultramarine.

Bonjour Philippe Rozier, vous êtes directeur général de l'Agence Qualité Construction. Pouvez-vous nous parler de votre association et de vos actions à l’adresse des Outre-mer notamment sur l'adaptation des normes ?

L’Agence Qualité Construction, ou AQC, est une association créée en 1982 à l’initiative des acteurs du bâtiment et des assurances après la loi Spinetta de 1978 sur l’assurance construction. Notre mission est d’améliorer la qualité des constructions et de prévenir les désordres qui peuvent affecter les ouvrages.

Nous disposons de plusieurs bases de données sur la qualité de la construction répondant à des objectifs ciblés (connaissance des pathologies récurrentes dans les constructions, anticipation des sinistres sériels…). Partant de cette observation à l’échelle nationale, toutes nos actions et les nombreux outils que nous élaborons ont pour fonction d’aider les professionnels sur le terrain dans leurs pratiques quotidiennes et de participer aux progrès collectifs du monde du bâtiment. 

Depuis 2015, nous pilotons pour le compte de la filière des programmes dédiés comme PACTE (Programme d’Action pour la qualité de la Construction et la Transition Énergétique) puis OMBREE (programme Outre-Mer pour des Bâtiments Résilients et Économes en Énergie), qui accompagnent des projets ultramarins et valorisent l’expertise locale. Ces initiatives ont permis, par exemple, d’élaborer les recommandations professionnelles pour la couverture en tôle ondulée et nervurée après l’ouragan Irma, afin de renforcer la résistance des toitures aux vents extrêmes. 

En février 2024 nous avons organisé les Assises de la construction en Outre-mer, dans la continuité des travaux déjà menés dès 2017 par la délégation Sénatoriale aux Outre-mer présidée aujourd’hui par Micheline Jacques.

Ce rendez-vous clé a rassemblé les acteurs du secteur représentant l’ensemble des territoires ultramarins pour partager les leurs retours d’expérience et co-construire une feuille de route avec des actions concrètes qui permettront aux filières locales de mieux contribuer de façon pérenne à la production de normes qui les concernent.

Pouvez-vous rappeler les conclusions de ces Assises ?

Les assises ont abouti à la rédaction collégiale du Livre blanc de la construction durable en Outre-mer. Celui-ci propose une véritable feuille de route pour l'écriture de normes adaptées par et pour les professionnels ultramarins. Concernant les points clefs, le Livre blanc propose la création de cellules locales, également évoquées dans des travaux antérieurs menés par la FEDOM. Ces cellules locales constituées de professionnels de la filière construction des différents territoires, pourront réfléchir à des règles adaptées, soutenir des innovations et initier des travaux avec les pays voisins.

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En complément de cette préconisation, il est proposé également la création d'un forum inter-outre-mer qui permettrait d'unir les forces des différents territoires et de renforcer un enrichissement mutuel.

Avec le vote au Sénat à l'unanimité de la loi proposée par la sénatrice Audrey Bélim, les préconisations que vous évoquez semblent être en bonne voie de réalisation. Comment avez-vous vécu ce vote ?

C'est évidemment une très bonne nouvelle pour les professionnels ultramarins. La création et la pérennisation des cellules locales baptisées « comité référentiels construction » vont vraiment permettre aux territoires de formuler des réponses adaptées à leurs contextes. Je pense notamment à la mesure relative à l'exemption du marquage CE, qui entrera prochainement en vigueur en France. Cette mesure ouvre des nouvelles opportunités que seules des cellules locales sont en mesure d’exploiter et de mettre en œuvre.

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Les moyens donnés à ces cellules leur permettront de proposer aux instances nationales chargées de la normalisation, des textes qui en fin de processus obtiendront la légitimité et la reconnaissance nécessaire pour répondre à la réglementation et assurer les ouvrages. On ne peut que saluer le travail de concertation réalisé par. Audrey Bélim qui a mobilisé les assureurs, les acteurs ultramarins et des instances nationales pour la proposition du texte de loi.

Quel rôle l'agence qualité construction pourrait jouer dans le nouveau dispositif qui se met en place ?

Avant tout il s’agit de renforcer les capacités locales, l’AQC ne peut se positionner qu’en accompagnement et soutien aux dynamiques locales. Comme proposé dans le Livre blanc, il semble important de mettre en place un lieu de rencontre et d’échange des différentes instances, avant tout locales, mais également nationales. C’est le FORUM Inter-outre-mer que j’ai évoqué plus haut. Ce FORUM permettrait d'unir les forces des différentes cellules, en assurant un bon niveau de communication et d’information entre les différents territoires.

Par ailleurs, beaucoup de travaux en commun seront nécessaires afin d'objectiver certains sujets aujourd'hui peu étudiés pour les territoires. C’est le cas par exemple, de la détermination des valeurs seuils et plafonds correspondants à la réalité des conditions climatiques Outre-mer, de la mise en œuvre d’un système d’évaluation des performances des produits et procédés étrangers vis-à-vis la réglementation française ou encore l’échange et la transposition de méthodologies d’un territoire à l'autre (accompagnement de l’innovation, processus de certification de produits étrangers, mise en œuvre d’enquêtes sur les modes d’habiter…).

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En cohérence avec le travail de coordination des programmes PACTE et OMBREE et l’organisation des Assises, l’AQC est prête à jouer un rôle de secrétariat technique du FORUM. Celui-ci permettra d’avancer assez vite sur un certain nombre de projets en s’assurant qu’aucun territoire ne soit en marge des travaux susceptibles de l’intéresser.

Cette loi va passer au vote à l'Assemblée nationale prochainement, êtes-vous confiant ?

Il est vrai que cette loi votée à l'unanimité a l’avantage d’être une proposition transpartisane soutenue par le gouvernement. Les planètes semblent alignées pour qu’elle soit adoptée. Pour autant, nous ne pouvons pas préjuger de ce qui se passera lors du vote à l’Assemblée.

Si le vote est favorable, un grand chantier sur l'écriture des décrets d'application s’ouvrira. Même si des pistes sont avancées, il faudra définir avec précision la gouvernance des comités référentiels construction, leurs intégrations aux processus de production de référentiels nationaux, ainsi que leurs articulations avec les instances locales et nationales.

Autant de sujets cruciaux qui garantiront l’opérationnalité de ce nouveau dispositif. Les professionnels ultramarins sont impatients de travailler sur ces sujets, tant il est important pour eux de prendre les choses en main.