Thierry Déau, né en Martinique et fondateur de la société Méridiam, est un acteur engagé de la transition écologique, sociale et environnementale, et des infrastructures publiques durables. Thierry Déau est également considéré comme « le troisième homme » du rachat de Suez par Veolia. Dans ce dossier, lui et sa société Méridiam sont candidats à la reprise des activités « eau » du groupe.
« Il s’agit pour nous de renforcer l’ancienne Lyonnaise des Eaux de manière à ce qu’elle puisse continuer d’assurer une concurrence forte aux autres acteurs présents sur le marché », nous explique le très discret chef d’entreprise dans une interview exclusive. Hissant « l’eau comme un enjeu de la transformation écologique », Thierry Déau entend « apporter (sa) ressource, une technicité et un accompagnement aux salariés de Suez dans une aventure qui ne fait que commencer ». INTERVIEW.
Outremers360 : Thierry Déau, vous êtes né à Fort-de-France, en Martinique. Diplômé de l’École Nationale des Ponts et Chaussées, vous avez travaillé un peu partout dans le monde avant de fonder en 2005 la société Méridiam. Aujourd’hui, vous êtes le troisième homme dans le dossier Suez-Veolia. Racontez-nous votre parcours.
Thierry Déau : Je suis né à Fort-de-France, c’est vrai, mais je suis de Sainte-Marie. Concernant mon parcours, j’ai d’abord travaillé en Malaisie pendant quelques années, pour la Lyonnaise des Eaux d’ailleurs (ndlr : qui deviendra par la suite Suez). Je construisais les stations de traitements des eaux. Après cela je suis rentré en France pour rejoindre le groupe Egis, au sein de la Caisse des Dépôts pour m’intéresser aux concessions autoroutières, mais également aux systèmes de transports. Il s’agissait d’activités d’investissement, d’ingénierie, de vente de systèmes et services d’exploitation de transports aux collectivités. J’y ai passé une dizaine d’années jusqu’à en devenir en 2001 le directeur général.
Je me suis aussi occupé pour le groupe Egis de la partie internationale. Après avoir vécu en Malaisie, j’ai été expatrié aux Philippines, aux États-Unis et dans un certain nombre de pays avant de revenir en 1998 à Paris, que je n’ai plus quitté. En 2005, j’ai fondé Méridiam avec l’envie de créer ma propre entreprise pour faire beaucoup plus que ce je faisais à la Caisse des Dépôts et investir dans tous les services publics essentiels. Méridiam m’a permis de m’intéresser à la fois aux transports, mais également à l’environnement, aux équipements publics de type sociaux comme les hôpitaux et les écoles avec un objectif de gestion opérationnelle de très long terme et de contrôle de ces activités.
Méridiam a commencé avec un premier fond dans lequel était investie la Banque européenne d’Investissement et le Crédit Agricole. Aujourd’hui nous sommes 300 personnes qui développons et investissons dans de nombreux projets et sociétés pour les gérer dans la durée et créer l’impact social économique et environnemental positif qui est notre engagement. Quand la possibilité a été donnée par la loi PACTE de se transformer en société à mission, nous n’avons pas hésité, pour bien mettre en exergue ce que l’on faisait déjà : investir, gérer et en même temps créer un impact positif dans plusieurs domaines environnementaux, sociaux et économiques.
Votre société s’est spécialisée dans le développement, le financement et l’exploitation d’infrastructures publiques… Sur quels grands projets avez-vous travaillé ces dernières années ?
Je peux vous parler de ce projet récemment mené en Finlande, où l’on nous a confié la gestion et la construction des écoles et de crèches de la ville d’Espoo avec un objectif : des infrastructures éducatives de qualités pour les élèves avec un engagement fort sur la qualité de l’air. Pour nous, c’était plutôt un contrat emblématique parce que ce sont vraiment là des missions de service public de proximité. Nous réalisons par ailleurs la même chose pour toute la région du Pays de Galles.
La finance ?? doit jouer un rôle dans la transition vers un modèle➕vert,➕social et surtout➕responsable.
?Avec @ThierryDeau et @FinforTomorrow nous travaillerons ensemble pour mobiliser la Place de Paris sur le reporting extra-financier et la finance à #impact. pic.twitter.com/TA3EEvcnlo
— Olivia Gregoire (@oliviagregoire) October 13, 2020
L’autre projet, très innovant et au cœur de la transition écologique, se passe en Guyane. Il s’agit d’une unité de stockage d’énergie par hydrogène dans la région de Saint-Laurent du Maroni. Même si ce n’est pas une île, la Guyane, comme beaucoup de territoires d’outre-mer, est isolée. Elle n’est pas forcément connectée à ses voisins et ses ressources énergétiques doivent lui permettre d’assurer l’électricité pour tous, et notamment dans les zones les plus reculées. Nous avons donc de petits projets comme ceux-là et en même temps, de très gros projets comme la ligne de TVG entre Tours et Bordeaux ou encore la reprise l’aéroport de La Guardia à New York qui compte 4000 employés, où les services d’eau, d’électricité de chauffage et de climatisation de l’université de l’Iowa, équivalent d’une ville de 30 000 habitants, des investissements de plusieurs milliards d’euros.
Quel regard portez-vous sur les investissements d’infrastructures faits en Outre-mer ?
Je pense qu’il n’y a pas assez d’investissements réalisés en Outre-mer. Pour plein de raisons. Je pense notamment aux infrastructures sociales, de santé… Quand on voit que la Guadeloupe aujourd’hui n’a pas vraiment de CHUcapable de bien servir le territoire ou que la distribution de l’eau y est fréquemment interrompue… Les transports publics ne sont pas suffisamment développés. Il y a des investissements majeurs qu’il faut continuer à faire pour les améliorer et endiguer la congestion et la pollution. L’outremer fait partie des régions de France qui sont les moins bien desservies en termes d’accès simple aux services publics.
Vous faites de la transition écologique, un engagement fort de votre société. À votre avis, comment les Outre-mer peuvent-elles tirer leur épingle du jeu, tout en fournissant des infrastructures à la fois durables, résiliente et de qualité ?
Pour moi, c’est le véritable enjeu des Outre-mer. Adopter et embrasser, si je puis dire, la transition écologique comme une voie pour le développement économique. Leur insularité fréquente fait que les ressources sont limitées. Les modèles économiques qui favorisent la réutilisation, le recyclage, et l’économie des ressources sont fondamentaux. C’est aussi une opportunité de créer des emplois.
Vous priorisez le développement responsable. Vous intégrez dans les schémas économiques le social et les questions environnementales. Comment cela se traduit-il sur le terrain concrètement ?
Selon moi, il n’y a pas de transition écologique sans développement social. Dans nos projets, nous nous assurons que l’écosystème des Petites et Moyennes Entreprises en profite, par exemple. Il faut aussi s’assurer, et c’est ce que nous faisons de manière systématique, que l’emploi par la réinsertion est accompagné. On embauche localement. On forme de façon intensive pour pérenniser l’emploi. C’est important pour nous. Avoir des discussions avec les parties prenantes, localement pour établir un cahier des charges des besoins les plus pressants, avoir un contact direct avec les associations pour orienter les investissements, que ce soit dans les entreprises ou dans les infrastructures publiques, ce sont aussi des priorités.
Votre société Meridiam est candidate à la reprise des activités “Eau” de Suez en cas de succès de l’offre de Veolia. Pourquoi vous lancez-vous dans ce projet ?
Nous apportons une solution à une problématique de concurrence mais pas seulement. Il s’agit pour nous de renforcer l’ancienne Lyonnaise des Eaux de manière à ce qu’elle puisse continuer d’assurer une concurrence forte aux autres acteurs présents sur le marché et garantir un accès à l’eau abordable aux populations. C’est aussi un vrai sujet pour moi de transformation écologique. Je soutiens qu’en France les opérateurs d’eau et les régies, des fois par manque de moyen, ont beaucoup sous investi dans l’eau. En Outre-mer, on recense peut-être les cas les plus graves. Quand on voit que dans certains endroits, il n’y a pas d’eau pendant plusieurs jours…
On voit bien que l’eau comme ressource est un enjeu de la transformation écologique. La sécheresse, les mouvements de populations, la pollution d’eau… Nous avons donc des enjeux liés au changement climatique, liés aux usages, liés à l’agriculture, qui nécessitent d’investir de manière massive sur les questions d’eau potable et d’assainissement. C’est aussi cela notre volonté : apporter notre ressource, une technicité et un accompagnement aux salariés de Suez dans une aventure qui ne fait que commencer, mais pour laquelle nous sommes déjà en retard.
Vous assurez vouloir investir 800 millions d’euros en plus de ce que Suez avait prévu dans les 5 à 7 prochaines années. Suez disposant d’infrastructures en Outre-mer, l’objectif est donc pour vous une meilleure gestion de la ressource de l’eau sur les différents territoires ?
La ressource n’est pas qu’un sujet au niveau de la commune, la communauté de commune et de la métropole qui la gère. C’est aussi un enjeu de bassin et il faut la partager, la gérer. Souvent, deux groupes de communes peuvent partager une même ressource – c’est le cas à la Martinique par exemple – il faut donc la protéger et l’investissement ne peut pas forcément être porté par l’une ou l’autre des collectivités. Il y a une réflexion à avoir. L’investissement sur le très long terme permet d’amortir ce type d’investissements importants sur de très longues durées. Aujourd’hui, il faut savoir comment protéger cette ressource, la développer et la pérenniser. Il faut apporter des réponses à ces problématiques.
Comment peut-on parvenir à une bonne délégation de service public sur cette question tout en rassurant les collectivités locales et populations ?
Je n’ai pas de dogme sur les modes de contractuels. Nous sommes prêts à aider les régies et à investir plus dans la ressource “eau”. Cela peut se faire sur tous les modes contractuels qui conviennent aux élus locaux et aux populations, notamment des SEM ou de SEMOP. Il est certain que tout cela n’est possible que dans un climat de transparence et de confiance. Et c’est aussi pour cela qu’investir massivement, même si ce n’est pas le seul moyen, dans une digitalisation pour apporter plus de transparence opérationnelle sur ce qui est fait et ce qui n’est pas fait au niveau des investissements peut aider. Je pense qu’il y a beaucoup de choses qui ont été faites, mais on peut aller plus loin. Il faut investir massivement et il faut un mode de coopération entre les collectivités et les opérateurs. Mais l’investissement doit devenir une priorité.
Vous êtes aujourd’hui à la tête de Méridiam qui gère 8 milliards de fonds investis. Quels sont vos futurs grands projets ?
Au-delà des 8 milliards, ce sont 65 milliards d’investis et environ 10 000 employés dans notre portefeuille de sociétés que nous gardons dans la très longue durée. C’est cela pour moi le véritable impact. 8 milliards, c’est l’argent qu’on nous confie, et après ce qu’on en fait, c’est autre chose. Nos enjeux futurs c’est d’avoir encore plus d’impact notamment sur l’emploi décent, le climat et la biodiversité. Protéger les ressources naturelles. Nos autres grands projets, si j’osais résumer ce serait d’investir pour monde plus durable et plus juste.
Propos recueillis par Abby Saïd Adinani, avec la participation d’Eline Ulysse et de Jean Faatau
Méridiam :
Meridiam est une société à mission fondée en 2005 par Thierry Déau, spécialisée dans le développement, le financement et l’exploitation d’infrastructures publiques, à long terme (25 ans et au-delà) et de manière durable. La société prône un développement responsable à la fois dans les composantes économiques, financières, sociales, environnementales
Elle propose des infrastructures qui fournissent des services essentiels aux communautés, et améliorent la qualité de vie des populations dans 3 secteurs : la mobilité des biens et des personnes (routes, ports, tunnels, aéroports, lignes ferroviaires, ponts), la transition énergétique et l’environnement, les infrastructures sociales (hôpitaux, écoles…). Meridiam gère actuellement plus de 80 projets à ce jour d’une valeur de plus de 65 Mds €.
Tous ses projets répondent à une même mission : développer, construire, moderniser et exploiter à long terme des infrastructures durables qui améliorent la qualité de vie des populations. Ils contribuent tous concrètement aux Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies et en particulier : lutter contre le changement climatique, bâtir une infrastructure résiliente, et garantir à tous l’accès une énergie propre et à un coût abordable.
Meridiam a pour originalité d’investir dans des projets à impact positif en matière économique, social et environnemental, à la fois en Europe, en Afrique et aux États-Unis. Sa stratégie en matière d’impact cible 5 piliers : Fournir des infrastructures résilientes et développer des villes durables ; accélérer la transition énergétique ; éviter et réduire les émissions de gaz à effet de serre ; promouvoir de bonnes conditions de travail, l’inclusion, la diversité et l’égalité des sexes ; et protéger et améliorer la biodiversité.