Guyane : L’enquête de mémoire sur l’histoire des Ka’linas exposés dans des zoos humains continue

© Association Moliko Alet+po

Guyane : L’enquête de mémoire sur l’histoire des Ka’linas exposés dans des zoos humains continue

En 1882 et en 1892, ce sont 47 Amérindiens qui ont quitté de force la Guyane, transportés vers l’Hexagone, pour y être exposés au jardin zoologique d’acclimatation de Paris. Depuis deux ans, l’Association Moliko Alet Po effectue des recherches afin de retracer la vie de ces Amérindiens. Après cinq mois de travail en Guyane, la fondatrice et présidente de l’association, Corinne Toka Devilliers, revient sur les avancées majeures des recherches au micro de nos partenaires de Radio Péyi.



Une page de l’Histoire méconnue, remise en lumière par le travail de fond de l’association Moliko Alet Po, sous la houlette de Corinne Toka Devilliers. À la fin du 19e siècle jusqu’au début du 20e siècle, le jardin zoologique d’acclimatation de Paris a accueillis 22 expositions d’êtres humains, parmi lesquels des Africains, Indiens, Lapons, Cosaques, Kanaks, mais aussi des Amérindiens Ka’linas, amenés de force en 1882 puis en 1892.
Aujourd’hui, une équipe dirigée par Corinne Toka Devilliers, elle-même descendante d’une de ces femmes amérindiennes, nommée Moliko, et qui a donné son nom à l’association Moliko Alet Po, qui signifie les « Descendants de Moliko », s’attèle à retracer l’histoire de ces hommes et femmes, victimes d’une des pages les plus sombre de l’Histoire française.

Après 5 mois de travail, des avancées majeures ont été réalisées, explique Corinne Toka Devilliers, au micro de Radio Péyi : « L’association est pleinement satisfaite, je ne dirais pas à 100 %, mais quasi. On a fait un beau travail sur le terrain, on a continué à sensibiliser la population de la Guyane par de nombreuses conférences, des déplacements dans les villages. Toute cette transmission des recherches que nous avons effectuées l’année dernière et en début d’année, notamment avec la découverte de restes humains qui se trouvent actuellement au musée de l’Homme. Ça c’était quelque chose qui était vraiment une priorité au niveau de cette information à donner à la Guyane, aux chefs coutumiers, au personnes concernées pour la suite de l’histoire et du travail, et puis de très belles rencontres avec les élus, la concrétisation et la délibération de la mairie d’Iracoubo pour que ce premier monument, ce mémorial au nom de ces 47 exhibés puissent se réaliser l’année prochaine, tout cela renforce le travail pour la suite ».


Ce travail a d’ores-et-déjà permis d’identifier un certain nombre de ces exhibés, et de retrouver leurs descendants, poursuit la fondatrice et présidente de l’association Moliko Alet Po : « Aujourd’hui, en 2023, quand je suis revenue au mois d’avril, de plus en plus de gens connaissent cette histoire, et les gens viennent vers moi en me disant, « c’est super ce que tu fais, et grâce à toi, on connaît notre histoire ». Il y a des demandes de personnes âgées, et ces personnes sont à l’affût de ma rencontre pour pouvoir donner leur témoignage, pour que nous puissions continuer et apporter d’autres éléments pour les recherches, pour les identifications. Sur les 33 exhibés, 26 ont été identifiés, on a pu mettre des visages sur les morts, des noms, et un petit peu leur histoire. Il y a d’autres témoignages que nous allons décortiquer, réécouter, une fois rentrés dans l’Hexagone. L’Histoire, c’est ça, c’est la mise à jour en permanence, à partir de chaque élément que nous découvrons sur le terrain ».

S’il reste encore des zones d’ombre que les recherches vont tenter d’éclaircir, le travail déjà abattu permet une vraie libération de la parole des familles, descendantes de ces exilés, qui trouvent un espace pour apporter leur témoignage, poursuit Corinne Toka Devilliers : « Il y avait toute une famille, une veuve et sa fratrie du côté d’Iracoubo – Sinamary, et jusqu’à présent nous avions très peu d’information sur ses descendants, et dernièrement nous avons pu cadrer un calendrier pour aller à la rencontre de ces personnes qui réclamaient qu’on entende leur témoignage. Et quand cette grand-mère a témoigné et a raconté l’histoire de ce départ, que son père lui avait conté, c’était comme un puzzle qui se construisait devant nous, et aujourd’hui on peut dire que nous avons retrouvé une partie des descendants du premier voyage de 1882. Ça symbolise beaucoup aujourd’hui puisque vu qu’il y a le projet de mémorial à Iracoubo l’année prochaine, ces personnes-là seront vraiment mises en lumière (…) c’est vraiment le plus beau cadeau qu’on puisse avoir durant ces 5 mois de recherche sur le terrain ».

Corinne Toka Devilliers souhaite en parallèle mener un autre combat, celui de la restitution des « restes humains », puisque huit corps de Ka’linas font aujourd’hui partie des collections d’un musée à Paris. La présidente de Moliko Alet Po a réitéré son souhait qu’ils reviennent en Guyane, « d’où ils n’auraient jamais dû partir ». 


 

Damien CHAILLOT