Les Outre-mer et leurs régions : Emancipée de la couronne britannique, la Barbade se rêve d'être la « smart nation » durable de la Caraïbe

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Les Outre-mer et leurs régions : Emancipée de la couronne britannique, la Barbade se rêve d'être la « smart nation » durable de la Caraïbe

Dans l’imaginaire collectif, la Barbade évoque souvent plages paradisiaques et ambiance tropicale. Pourtant, au-delà de cette image de carte postale, l’île caribéenne s’impose depuis plusieurs décennies comme un acteur politique sérieux, stable et engagé, tant sur le plan interne qu’à l’international. Sa culture politique, enracinée dans un héritage britannique mais profondément adaptée aux réalités caribéennes, en fait une démocratie modèle dans la région. Dans ce nouveau numéro de « Les Outre-mer et leurs région», cap sur le bassin caribéen avec la jeune république de la Barbade.

 

Île la plus orientale de l'arc des Petites Antilles, située à 300 km du Venezuela, la Barbade s’étend sur un peu plus de 430 km². Cette ancienne colonie britannique- à une heure de vol de la Guadeloupe et de Martinique- a obtenu son indépendance en 1966.La Barbade reste alors une monarchie parlementaire dirigée symboliquement par la Couronne britannique. Errol Barrow, considéré comme le "père de la nation", devient le premier chef de gouvernement de l’île indépendante. Il pose les bases d’un État moderne, investissant massivement dans l’éducation, la santé et les infrastructures. Toutefois, l’héritage britannique y est encore visible, notamment dans l’architecture de Bridgetown, la capitale classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, ou dans les habitudes locales comme le cricket ou le thé de l’après-midi. Mais c’est bien la culture barbadienne — ou bajan — qui domine, avec sa musique calypso, et sa gastronomie.

Un événement historique survient le 30 novembre 2021, à l’occasion du 55e anniversaire de son indépendance, la Barbade rompt avec la monarchie britannique et devient officiellement une république parlementaire. Sandra Mason, ancienne gouverneure générale, est investie première présidente de la Barbade. Ce changement constitutionnel, souhaité depuis longtemps, est hautement symbolique. Il incarne la volonté du peuple barbadien de s'affranchir totalement de l’héritage colonial et de prendre en main son avenir. La figure de Rihanna, nommée ambassadrice de la Barbade, illustre cette fierté retrouvée et tournée vers l’avenir.

Depuis son indépendance, le pays adopte une démocratie parlementaire stable, fondée sur le modèle de Westminster, et connaît une alternance politique régulière entre les deux grands partis : le Parti travailliste démocratique (DLP) et le Parti travailliste de la Barbade (BLP).Socialement, la Barbade est considérée comme l’un des pays les plus avancés de la Caraïbe. Grâce à une politique volontariste en matière d’éducation publique gratuite et obligatoire, le taux d’alphabétisation dépasse les 98 % en 2022.

Une économie stable et dynamique 

Dans le bassin caribéen, la Barbade se distingue par une équation étonnante : un petit territoire insulaire qui joue dans la cour des grands en matière de développement humain, de stabilité institutionnelle et de diversification économique. Bien que modeste par son PIB global, le pays affiche l’un des niveaux de vie les plus élevés de la Caraïbe et affirme ses ambitions sur la scène régionale. Avec un PIB nominal estimé entre 6 et 7 milliards USD, la Barbade, classée à la  160eme place mondiale, n’est certes pas une puissance économique mondiale, mais elle se classe honorablement à l'échelle caribéenne : 3e parmi les pays indépendants en termes de PIB par habitant, derrière les Bahamas et Trinité-et-Tobago.

Longtemps basée sur l’agriculture, en particulier la canne à sucre, l'économie barbadienne s'est diversifiée au fil des décennies. Aujourd’hui, elle repose principalement sur trois piliers. D'abord, le tourisme représente près de 30% du PIB. Avec sa nature luxuriante et ses plages idylliques, sa capitale Bridgetown inscrite au patrimoine mondiale de l'UNESCO - abritant la plus vieille synagogue des Caraïbes, l'emblématique Cathédrale anglicane de Saint-Michel construire en pierre de corail locale ou encore, ses parcours de golfs et établissements hôteliers haut de gamme, la Barbade dispose d'une offre touristique variée avec une clientèle principalement américaine, britannique et canadienne. Le marché européen est le 4ème marché devant les touristes provenant de la zone CARICOM.

Celle qui fut surnommée « la petite Angleterre des Caraïbes » ne  se repose pas uniquement sur ses atouts balnéaires. Depuis les années 1990, elle a développé un secteur financier offshore qui représente une source importante de revenus en devises. Assurances, fonds d’investissement, sociétés internationales : le pays s’est positionné comme une place financière attrayante, bien qu’elle reste sous la surveillance d’organismes internationaux concernant la transparence fiscale.

La Barbade exporte peu – essentiellement du rhum, du sucre et des services touristiques – et importe beaucoup : carburants, produits alimentaires, équipements.  La dette de la Barbade, qui avait explosé à plus de 150 % du PIB, a été restructurée avec l’appui du Fonds monétaire international (FMI). Aujourd’hui, le pays suit un programme d’ajustement visant à restaurer la stabilité budgétaire tout en préservant les investissements publics. Et les résultats sont visibles : selon les données récentes de la Banque centrale de Barbade sur le premier semestre 2025, le pays a connu une croissance de 2,5% du PIB poussé par le tourisme, la construction (+5,8 %) et les services aux entreprises et le commerce de détail. La Barbade a vu sa dette publique s'échelonner à 102 % du PIB, en baisse de 0,9 point et un  taux de chômage s'établissant à 6,3 %, un niveau historiquement bas.

Ces bonnes performances n'occultent pas le fait que l'économie barbadienne reste exposée aux risques climatiques, aux fluctuations du tourisme mondial et à la volatilité des marchés internationaux. La Barbade cherche à se diversifier. Le gouvernement encourage les initiatives dans les technologies, l’agriculture locale et surtout les énergies renouvelables.

Durabilité, digitalisation, les nouvelles perspectives économiques

La Barbade s’est engagée dans une stratégie ambitieuse pour devenir une "smart nation". Elle a mis en place plusieurs initiatives majeures dans le domaine numérique notamment. Le territoire investit massivement dans la fibre optique et le haut débit, avec des vitesses moyennes de 97 Mbps, parmi les plus rapides de la région. Des zones Wi-Fi gratuites apparaissent et se multiplient dans les écoles, parcs et places publiques, tandis que la connectivité satellitaire étend le réseau aux villages isolés.

Avec le plan Mission Barbados, le gouvernement entend faire du digital un pilier de développement économique, social et environnemental, et ce d’ici 2030. Lancé par la Première ministre Mia Mottley, Mission Barbados vise à répondre à six grands défis :  moderniser l’État avec des services publics 100 % en ligne d’ici 2026, Doper la croissance en soutenant l’économie numérique et les start-up locales,anticiper les crises climatiques grâce aux données et à la technologie, réinventer santé et éducation via la télémédecine et l’enseignement à distance, Garantir l’inclusion numérique et financière pour tous les citoyens et former la main-d’œuvre aux métiers digitaux du futur.

La sécurité des données n'est pas oubliée. Un Data Protection Act renforcé, un futur Cybercrime Bill et la création d’une agence nationale de cybersécurité complètent l’arsenal pour protéger données et infrastructures.

Sur le plan de l'environnement et de la durabilité, la Barbade est un acteur régional de premier plan dans la lutte contre le changement climatique. Son gouvernement a annoncé des objectifs ambitieux. L'île s'est engagée à atteindre la neutralité carbone d’ici 2030 : elle a intensifié l’usage des énergies renouvelables, modernisé ses transports publics via l’électromobilité, et interdit les plastiques à usage unique pour protéger ses écosystèmes marins.

Un programme Roof to Reefs a été lancé en s'appuyant sur une approche intégrée pour protéger les maisons, les infrastructures critiques et les systèmes côtiers. Le pays investit également dans la planification spatiale marine, établissant de nouvelles zones protégées pour sauvegarder coraux et biodiversité.

Barbade innove avec des mécanismes financiers qui renforcent sa résilience : en décembre 2024, elle a réalisé la première conversion de dette en investissements climatiques au monde, libérant 125 millions de dollars pour renforcer l’assainissement, la sécurité hydrique et alimentaire. Ce modèle novateur permet de financer l’adaptation sans alourdir le fardeau de la dette publique. Un précédent jalon avait déjà été franchi en juillet 2024, avec un swap dette-climat soutenu par la Banque européenne d’investissement et la BID, permettant d’émettre 295 millions de dollars de dettes liées à la durabilité, dont une partie sert à moderniser le réseau d’assainissement pour réduire la pollution. 

Sur la scène internationale, la Barbade promeut l’Initiative Bridgetown, qui prône une refonte du financement climatique mondial à travers la dette, de nouveaux emprunts, et des investissements privés dédiés à la résilience climatique. Un effort loué comme “historique” dans la lutte pour la justice climatique.

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À la COP29, la première ministre Mia Mottley a proposé des taxes de solidarité sur les carburants fossiles, le transport aérien et maritime, ainsi que sur les grandes fortunes, les cryptomonnaies et les transactions financières. 

Mia Mottley, chef d'orchestre du rayonnement de la Barbade 

Première femme à diriger le pays depuis l'indépendance, Mia Mottley, âgée de 59 ans,  a profondément marqué la politique nationale et internationale depuis son arrivée au pouvoir en 2018. Sous son impulsion, la Barbade est devenue l’une des voix les plus audibles du Sud global, en particulier sur les enjeux de justice climatique, de dette souveraine et de réforme des institutions financières internationales. Un activisme qui lui permet d'être classée dans la liste des 100 personnalités les plus influentes du monde en 2022 par le Times Magazine. L'année précédente, Mia Mottley a été auréolée du titre de « Champions de la Terre», la distinction environnementale la plus prestigieuse décernée par les Nations unies.

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Chez les Mottley, l'engagement politique est une affaire de famille. Mia Mottley est la petite-fille d'Ernest Deighton Mottley, qui fut maire de Bridgetown. Son père, Elliot, a exercé comme avocat, consul général à New York. A la fin des années 1960, il est élu représentant du Parlement de Bridgetown. Diplômée de la  London School of Economics, elle entame une carrière d'avocate. Au cours des années 1990, Mia Mottley va sièger comme membre du Parlement avant de rejoindre le gouvernement en tant que ministre de l'Éducation en 2000, puis les fonctions de Vice-Première ministre et de procureure générale, devenant la première femme à occuper ce poste dans l'histoire de la Barbade. 

Avant d'accéder aux fonctions de première ministre de la Barbade, elle va occuper le rôle de cheffe d'opposition durant sept ans. Réélue en 2022, elle bénéficie d’une forte légitimité populaire.

Sous ses mandats de Première Ministre, elle a durant six mois exercé la présidence de la Caricom en 2020 et en 2025 où elle militera pour une plus grande intégration régionale, tant économique que politique, et pour la mutualisation des ressources (sécurité alimentaire, réponse aux catastrophes naturelles, énergie, etc.).C'est notamment sous sa seconde présidence de cette institution caribéenne, que la Martinique signera son accord d'adhésion en tant que membre associé de la Caricom. Pour rappel, le siège de la cour de justice de la  CARICOM est implanté à la Barbade, signe du leadership de cet État de la Caraïbe sur la scène régionale et internationale. 

Une diplomatie ambitieuse 

Membre actif de la CARICOM, la Barbade appartient également à l’Association des États de la Caraïbe (AEC), à l’Organisation des États Américains (OEA) et au Commonwealth. Depuis plusieurs années, le pays mène une diplomatie à portée mondiale, en plaçant au premier plan ses relations avec les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni — des liens nourris à la fois par le poids du tourisme dans son économie et par l’importance de sa diaspora. Cette ouverture traditionnelle s’accompagne d’un renforcement de la coopération avec Cuba, notamment dans le domaine de la santé publique, ainsi qu’avec la Chine, l’Inde et, plus récemment, avec l’Afrique subsaharienne et le Moyen-Orient, où l’île a ouvert de nouvelles ambassades.

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Sur le plan régional, la diplomatie barbadienne s’inscrit pleinement dans la dynamique d’intégration de la CARICOM. L’île a rejoint dès janvier 2006 le Marché unique caribéen (Caribbean Single Market and Economy), mais a décliné l’adhésion à l’initiative Petrocaribe ainsi qu’à l’Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO) et à sa monnaie unique, préférant conserver le dollar barbadien.

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La Barbade est signataire de l’Accord de partenariat économique (APE) entre le CARIFORUM et l’Union européenne, signé à Bridgetown le 15 octobre 2008. Elle accueille d’ailleurs le siège régional de la Délégation de l’UE pour la Caraïbe orientale. Dans le cadre du XIe Fonds européen de développement (2014-2020), elle a bénéficié d’une enveloppe de 3,5 millions d’euros destinée à financer des projets en énergies renouvelables et à soutenir la société civile. Les discussions se poursuivent pour la prochaine phase de ce programme.

Petite par sa taille mais grande par ses ambitions, la Barbade incarne une nouvelle génération de pays caribéens tournés vers l’avenir. Forte de son héritage historique, d’un système politique stable et d’une économie en mutation, elle s’affirme comme un modèle régional de gouvernance, d’innovation et de résilience face aux défis du XXIᵒ siècle.