EXPERTISE. La destination Guadeloupe à l'heure des nouveaux enjeux touristiques, par Caroline Romney

© Les Iles de Guadeloupe

EXPERTISE. La destination Guadeloupe à l'heure des nouveaux enjeux touristiques, par Caroline Romney

A l'heure où la crise sanitaire montre des signes encourageants d'affaiblissement, le tourisme mondial est dans les starting-blocks pour redynamiser le secteur. En Guadeloupe, le retour des voyageurs dans la destination est un enjeu crucial. Caroline Romney consultante en tourisme du Cabinet Aiguillage dresse diverses perspectives pour favoriser une reprise efficiente du secteur touristique. Une expertise qu'Outremers 360 vous propose ci-dessous.


Notre destination n’échappe pas aux grands bouleversements mondiaux et doit faire face à de nombreuses mutations qui appellent à une réflexion approfondie pour répondre aux grands enjeux que devra dorénavant relever notre secteur touristique.

La pandémie est toujours vivace et contraint sans cesse les destinations au stop and go, distillant ainsi une défiance auprès de nos prospects qui s’interrogent sur les risques d’être malades avant leur départ (que faire des frais engagés ?) ou durant leur séjour (qu’en est-il de la qualité et du coût des soins prodigués sur place ?).

La guerre en Ukraine, même si elle paraît loin de nos côtes, impacte sensiblement le moral et les finances de nos voyageurs potentiels.

Localement, les nombreuses crises sociales et sociétales nous imposent de nous interroger sur une offre touristique qui répond à la fois aux attentes de nos cibles et à ce que notre population souhaite comme tourisme.

Le tourisme en Guadeloupe pèse 10% du PIB selon l’INSEE (25% selon une étude Atout France) pour plus de 6000 emplois directs. Près d’un milliard d’euros sont injectés chaque année dans notre économie (hors crise sanitaire, environnementale ou sociale) soit quasi autant que les fonds structurels européens. Nous ne pouvons donc passer outre ce secteur ou le considérer comme négligeable pour notre territoire et sa population.

Comment alors un petit archipel de 1 434 km2 peut-il conforter sa place de leader des destinations outre-mer dans un environnement endogène et exogène en pleine mutation ? Comme le déclarait Alexandre de Juniac, président de IATA lors du World Financial Symposium à Singapour « on ne peut pas prévoir le futur mais nous avons besoin d’être préparés à réagir rapidement quand l’environnement change ».

Nous pouvons ainsi dégager sept grandes tendances auxquelles la destination doit se préparer pour demeurer (mieux) compétitive :

Anticiper l'augmentation des prix des billets d'avion

Ce n’est pas une surprise, la guerre en Ukraine fait exploser les prix du pétrole. Le kerozène représente le quart des coûts d’exploitation des compagnies aériennes, un surcoût estimé à 10 millions d’euros pour la compagnie Corsair. Marc Rochet, Directeur Général d’Air Caraïbes, informe que « les compagnies aériennes privées ont déjà relevé leurs tarifs de 8%» (soit 40€ supplémentaires sur les lignes Antilles) et envisagent une augmentation de 15 à 20%... (soit 80 à 100€ de plus sur les billets d’avion…). La Guadeloupe étant une destination long courrier, elle pâtit déjà de cette augmentation significative sur sa desserte aérienne. Rappelons que 90% de la clientèle arrive de France métropolitaine et d’Europe avec un profil majoritairement d’agrément (56%) et affinitaire (45%). Quant à la clientèle affaire (13% en 2019), elle a sensiblement réduit ses déplacements préférant les réunions virtuelles qui se sont imposées durant la pandémie et qui perdurent.

Bien sûr, les compagnies aériennes opérant sur notre destination ont enclenché le virage de la compression de la consommation de carburant. Les avions sont récents, plus légers, moins énergétivores.

Trois propositions émergent : la première : garantir une saine concurrence entre nos trois opérateurs long courrier permet au client final de profiter du meilleur rapport qualité/ prix avec un yield parfaitement maitrisé offrant un éventail de prix répondant à toutes les attentes.

La deuxième : renforcer les mesures d’aides pour les clientèles d’agrément que ce soit au départ de la métropole (congés bonifiés) ou de la Guadeloupe à travers LADOM.

Et surtout la troisième : demeurer une destination attractive pour la clientèle de loisirs et affaires (accentuer le nomadisme digital par exemple) qui fait face à l’augmentation des prix sur toutes les destinations touristiques de plus en plus concurrentes…

Faire face à une concurrence de plus en plus vivace

L’économie touristique est en plein changement. A l’horizon 2030, l’offre mondiale sera multipliée par trois, alors que la demande ne sera multipliée que par deux (Source Organisation Mondiale du Tourisme). Les destinations leader du moment seront dès lors de plus en plus concurrencées. Il s’agit donc d’être très innovant en matière de marketing touristique et de bien tenir compte des changements, qui ce sont notamment traduits par la démocratisation des voyages et l’explosion du nombre de destinations touristiques attrayantes … Pour un voyageur européen indécis, la Guadeloupe est aujourd’hui en concurrence directe avec des destinations comme Dubaï, le Mexique ou la Thaïlande : même prix, vols longs courriers, destinations « lointaines et exotiques », culture foisonnante... La question de la typologie clientèle que nous souhaitons attirer et de l’expérience touristique que nous souhaitons lui faire vivre se pose avec plus d’acuité dans un environnement ultra concurrentiel.

Les îles de Guadeloupe regorgent d’atouts uniques capables de rivaliser avec les plus grandes destinations mondiales : qui sait que c’est en Guadeloupe que se trouve la plus grande barrière de corail des petites Antilles, le plus haut volcan des petites Antilles, les plus hautes cascades, La Désirade est la plus ancienne île des Antilles et la seule réserve naturelle avec les îles de Petites Terres, ne dit-on pas que les îles de Guadeloupe sont un grand jardin créole à préserver et à valoriser ?… et puis tous nos labels, chartes et marques témoignent de la qualité internationale de notre offre que ce soit en termes de biodiversité, de gastronomie, de loisirs, de restauration et d’hébergements…. Bref, ne soyons pas timides de tout ce que nous sommes et de tout ce que nous créons, bien au contraire, faisons largement savoir que la Guadeloupe est une île-monde…

Répondre à la prise de conscience environnementale

En tout état de cause, les clientèles touristiques sont aujourd’hui particulièrement sensibilisées à la durabilité de leurs activités, qu’elles soient professionnelles, familiales, sportives et ludiques. Les destinations touristiques mondiales structurent désormais leurs offres en les déclinant autour de la durabilité. Les acteurs touristiques publics et privés mobilisent des labels, Chartes et certifications comme levier de communication et guides de bonnes pratiques pour l’accueil de leurs visiteurs.

La demande touristique a changé.

Les derniers objectifs de la destination France sont de « devenir la première destination durable du monde » et désormais de « passer d’une réflexion quantitative à une réflexion plus qualitative » du tourisme en France et ses régions. (Plan Destination France, Novembre 2021).

L’Organisation Mondiale du Tourisme martelle que « la durabilité ne doit plus être un créneau du tourisme mais doit être la nouvelle norme pour chaque partie de notre secteur ».

C’est dire si la durabilité touristique et sa déclinaison écotouristique durable devient un pilier majeur de l’offre touristique mondiale. Face à une concurrence sans cesse renouvelée, la Guadeloupe doit se démarquer en déployant tout son potentiel pour devenir une destination écotouristique durable « sea, sun and green culture » en valorisant les sites et les acteurs touristiques qui s’engagent pleinement en faveur d’une offre plus respectueuse de l’environnement et de l’humain. C’est un changement de paradigme qui s’installe durablement….

Associer la population aux retombées du tourisme

L’activité touristique est un formidable levier de croissance économique, de mieux-être social et de créativité aussi. Elle « peut favoriser la tolérance et l’entente interculturelle et interconfessionnelle ».

Aujourd’hui, la clientèle touristique recherche davantage d’expériences au contact de la population et dans le respect des destinations. Une étude Booking révèle que 56% des voyageurs français souhaitent « vivre des expériences authentiques et représentatives de la culture de la destination ». Ce taux passe à 71% chez les millenials (25 – 35 ans). Ce contact entre populations touristiques et populations locales est important à tous les niveaux et permet d’assurer de meilleures retombées économiques, sociales, sociétales, culturelles, image et contribue à fidéliser nos cibles.

En Guadeloupe, l’activité touristique se « démocratise » faisant émerger de nouveaux entrepreneurs que ce soit dans les filières d’hébergement, de restauration ou de loisirs sportifs et culturels. Le tourisme permet ainsi de réduire les inégalités dès lors qu’il met à contribution les populations locales et toutes les principales parties prenantes à son développement.

En outre, les retombées économiques du tourisme permettent d’améliorer la qualité de vie des populations, notamment en optimisant la gestion des déchets ou la distribution de l’eau et son assainissement… Ce qui est bon pour le touriste est aussi bon pour l’habitant.

Structurer l’offre évènementielle pour fidéliser la clientèle et en attirer de nouvelles

Nous l’avons vu, pour rester compétitive la Guadeloupe doit s’adapter aux nouvelles demandes de clientèles sans cesse en mutation. Pour cela, elle doit innover en renouvelant son offre touristique tout en maintenant son positionnement originel. Pas simple.

L’offre en évènementiels paraît alors être le support le plus flexible pour rester compétitif, fidéliser notre clientèle, en attirer de nouvelles, renforcer l’image de la destination sur les différents marchés et assurer des revenus complémentaires à nos acteurs touristiques. La Guadeloupe foisonne d’activités évènementiels sur l’ensemble de l’archipel, il n’y a qu’à voir la programmation des divers agendas diffusés sur les médias locaux et réseaux sociaux. Certes ces évènementiels sont de qualité inégale, tous ne relèvent pas d’un intérêt touristique majeur, mais en structurant cette offre, en l’organisant en filières, c’est un marché d’emplois et de retombées économiques et images que nous assurons à la destination.

Le marché des MICE (Meetings, Incentives, Conferences, Expositions), les grands évènementiels comme le carnaval, le tour cycliste, les raids, rallyes, régates mais aussi de plus petits comme les foires et salons, ateliers de Bien-être, Bien – manger, concours de barmen ou de DJ’S... sont de formidables témoins du dynamisme des îles de Guadeloupe. Une récente étude menée par le cabinet Ernst&Young révèle que « les évènements d’entreprises et d’institutionnels représentent 32Md€ de retombées économiques et 335 000 emplois à temps plein crées ou maintenus en France en 2018 ». De quoi nous inciter à prendre notre part… 

Régionaliser notre destination

Ne dépendre que d’un ou deux marchés nous rend particulièrement fragiles pour résister aux grandes crises et mutations que nous subissons régulièrement. La pandémie nous a « contraint » à nous tourner plus fortement vers la cible locale et martiniquaise pour atténuer l’hémorragie financière que nous vivions. La guerre en Ukraine relativise les déplacements long courrier par incertitude des lendemains et l’augmentation des prix des billets d’avion. « Pour mieux maîtriser et développer les flux vers sa destination » la République dominicaine, grande puissance touristique, vient de décider de créer sa propre compagnie aérienne moyen - courrier. Chez nous, Air Antilles tente depuis près de quatre ans, de structurer une alliance régionale des compagnies aériennes « Caribsky » pour optimiser et fluidifier les flux inter-îles. Cette saison, la Guadeloupe n’a jamais été autant desservie par des compagnies opérant sur des liaisons vers Montréal, Miami et New-York. Cette régionalisation s’appuie aussi sur de nombreuses initiatives locales privées par exemple celle tissée par la Maison de l’Architecture de la Guadeloupe qui a fait appel à des jurés quasi exclusivement caribéen pour son Prix d’architecture, des partenariats sont en place avec l’école caribéenne d’architecture de la Jamaïque, des écoles sportives aussi. En matière d’initiative publique le Conseil Départemental déroule son projet patrimonial et touristique CARIFORTS, pour valoriser les forts de sept îles partenaires de Guadeloupe, Martinique, Antigua, St Kitts, Cuba, Porto-Rico et Haïti… mais les projets, bien que nombreux, restent encore insuffisants pour ancrer la Guadeloupe dans son environnement régional…

Pourtant, la régionalisation s’impose à la mondialisation qui a montré ses limites. Intégrer plus fortement les organisations caribéennes du tourisme telles la CTO (Caribbean Tourism Organization) ou la CHTA (Caribbean Hotel and Tourism Association), identifier les cibles de prospects de notre bassin avec nos produits « french caribbean » nous permettrait notamment de mieux connaître les nouveaux process de marketing pour mieux sensibiliser à notre destination les marchés américains (nord – centre – sud) et caribéens que nous connaissons encore si peu.

Renforcer les outils de résilience

La Guadeloupe est une terre de résilience, une destination touristique résiliente aussi. Alors que les images des violences sociales tournaient en boucle sur les chaînes d’info nationales au moment même de la période de réservation des séjours touristiques, la clientèle n’a pas boudé les îles de Guadeloupe. Certes nous sommes en deçà de la fréquentation exceptionnelle de l’année 2019 (-20% premier trimestre 2022VS2019), mais nous n’avons pas non plus subi le grand effondrement que l’on redoutait. C’est dire si la Guadeloupe jouit d’une attractivité qui reste forte en dépit des crises et évènements majeurs qui la touchent directement.

Cette résilience, définie comme la capacité pour une destination à résister, s’adapter et rebondir lors d’une crise (politique, sociale, environnementale, sociétale…) devrait pouvoir faire l’objet de modélisation afin d’en extraire les outils les plus performants qui pourraient être rapidement mobilisés. En définitive, nous devrions passer d’une résilience innée à une résilience acquise dotée d’une boîte à outils performante à la disposition des acteurs privés et institutionnels de la destination. C’est un chantier que l’ACCDOM (l’Association des Communes et Collectivités d’Outre-Mer) a ouvert avec les autres territoires des Outre-mer qui partagent les mêmes besoins et avec lesquels nous avons tant en commun.

En conclusion, la destination Les îles de Guadeloupe possède tous les atouts naturels et humains indispensables pour relever les grands défis qui s’imposent à elle. Cependant, face à la rapidité des mutations mondiales, à leur complexité et à leur impact sur la population, il apparaît qu’un nouveau paradigme doit prendre forme, plus intégré, plus personnalisé, plus horizontal, bref, plus profitable à tous et durable.

Caroline ROMNEY 

Consultante en tourisme 

Cabinet AIGUILLAGE