Sept mois après le passage de Chido, le Parlement s'apprête à adopter définitivement jeudi par un vote au Sénat le projet de loi pour « refonder » Mayotte, département le plus pauvre de France confronté avant même le cyclone à d'immenses défis.
Manuel Valls, le ministre des Outre-mer, vante un texte d'une « ambition politique sans précédent » pour « concrétiser la promesse républicaine » à Mayotte, où les inégalités avec l'Hexagone restent abyssales.
Il décline notamment 4 milliards d'euros d'investissements publics sur six ans et inscrit pour la première fois dans la loi la convergence sociale, c'est à dire l'alignement des droits sociaux avec les montants de l'Hexagone, pour horizon 2031. A Mayotte, 77% de la population vit sous le seuil de pauvreté national, et le RSA, par exemple, y est encore deux fois plus bas que dans l'Hexagone.
Dernier texte du gouvernement à passer les griffes du Parlement avant la pause estivale, il devrait être adopté sans difficulté à la Chambre haute, où domine une alliance de la droite et du centre. Le texte, fruit d'un compromis entre députés et sénateurs, a déjà franchi mercredi le cap de l'Assemblée. Il a bénéficié du soutien de la coalition gouvernementale et de l'extrême droite.
Le Rassemblement national, très mobilisé durant les débats, a même revendiqué « une victoire politique ». Mais pour la gauche, impossible de voter ce texte. Et ce, en dépit de plusieurs avancées comme la convergence sociale. En cause : « l'obsession » du projet de loi pour l'immigration et des mesures « inhumaines » directement inspirées du programme de Marine Le Pen, ont accusé plusieurs députés.
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Dans l'hémicycle, les débats ont souvent été houleux, parfois virulents entre la gauche et les deux députées de Mayotte, Estelle Youssouffa (Liot) et Anchya Bamana (RN), très investies, en particulier sur la question migratoire. Le texte s'attaque en effet à deux « fléaux », la lutte contre l'immigration clandestine et l'habitat illégal, « sans quoi » Mayotte risque d'être reconstruite sur du « sable », selon les mots de Manuel Valls.
Il prévoit par exemple de durcir les conditions d'obtention d'un titre de séjour alors que près de la moitié de la population y est étrangère. Plusieurs dispositions permettent de faciliter la destruction des bidonvilles, alors qu'un tiers de l'habitat est informel. Une mesure permet par exemple de déroger à l'obligation d'une offre de relogement au moment d'une évacuation.
Attentes des Mahorais
Pour Aurélien Taché (LFI), député depuis 2017, il s'agit de la mesure « la plus cruelle » qu'il ait vu adoptée en huit ans : « Cela revient à mettre à la rue des milliers de personnes qui se trouvaient déjà en situation d'extrême précarité ». Le projet de loi prévoit plusieurs mesures très attendues sur l'archipel.
D'abord, la suppression d'ici 2030 du visa territorialisé, qui empêche un détenteur d'un titre de séjour mahorais de venir dans l'Hexagone. Les Mahorais y voient une injustice et un manque de solidarité de la France hexagonale face à l'afflux massif d'immigrés clandestins venus notamment des Comores voisines.
Le recensement exhaustif de la population à Mayotte dès 2025 est aussi inscrit dans la loi. Depuis des années, les élus locaux affirment que la population est sous-estimée avec pour conséquence des collectivités moins bien dotées qu'elles ne devraient l'être et des services publics saturés.
Autre victoire pour les élus mahorais, la suppression de l'article facilitant les expropriations pour permettre la construction d'infrastructures dites essentielles. Cette mesure, ardemment défendue par le gouvernement, a provoqué une levée de boucliers sur l'archipel, les Mahorais s'inquiétant d'une mainmise de l'État sur le foncier. « Inédit », « massif », « historique », les adjectifs laudateurs du gouvernement pour qualifier le texte ne manquent pas. Mais pour certains parlementaires, il passe à côté de nombreux enjeux de développement, notamment sur l'eau et la santé.
La députée mahoraise Anchya Bamana a par exemple rappelé que Mayotte vit toujours sous le régime des coupures d'eau, avant de lancer : « Comment justifier 1 milliard pour se baigner dans la Seine ? Mais rien pour répondre à l'urgence de l'accès à l'eau potable pour les Mahorais ».
L'autre députée de Mayotte, Estelle Youssouffa, tout en saluant les 4 milliards d'euros d'investissements mis sur la table, a réitéré mercredi son avertissement au gouvernement : « A chaque budget, nous vérifierons que pas un euro ne manque pour enfin construire notre île ».
Avec AFP