En déplacement en Guadeloupe il y a quelques mois, le ministre des Outre-mer s’est dit « prêt à débattre de l’autonomie ». En déplacement en Corse il y a quelques jours, le ministre de l’Intérieur s’est dit « prêt à aller jusqu’à l’autonomie ». Dans quelques jours, le Congrès des élus de Guyane se réunit pour discuter d’un « vrai statut d’autonomie ». Ce mot longtemps tabou est désormais utilisé par tous, élus locaux et gouvernement. Mais a-t-il le même sens quand il est employé par les uns et par les autres ? La constitutionnaliste Véronique Bertile et l’avocat publiciste et spécialiste des outre-mer Patrick Lingibé ont accepté de croiser leurs regards sur ce sujet sensible et complexe.
Autonomie et indépendance : une différence de nature
L’autonomie, ce n’est pas l’indépendance. Les deux termes ne sont ni proches ni synonymes : rien à voir. Il y a entre eux une différence de nature : l’autonomie signifie maintien dans la République quand indépendance signifie sortie de la République pour devenir un État souverain.
Autonomie et décentralisation : une différence de degré
Au sens strict (au sens juridique), l’autonomie ce n’est pas non plus la décentralisation. C’est la capacité de prendre ses propres lois : pas uniquement ses propres « normes » mais bel et bien ses propres lois. Dans la hiérarchie des normes, les lois sont inférieures à la Constitution et supérieures aux actes administratifs ; elles sont contrôlées par le Conseil constitutionnel. Il existe une collectivité en droit français – et une seule ! – qui jouit de cette « vraie » autonomie, l’autonomie dite « législative » : il s’agit de la Nouvelle-Calédonie, qui adopte ses propres lois, contrôlées par le Conseil constitutionnel. La Nouvelle-Calédonie relève d’une catégorie de collectivité de niveau constitutionnel alors que les autres collectivités territoriales sont des collectivités de niveau législatif.
Mais dans le sens courant – y compris employé par certains juristes –, l’autonomie est présentée comme une modalité de la décentralisation. Elle serait une décentralisation plus poussée. Le droit français présente ainsi tout un nuancier qui varie en fonction du nombre et de la nature des compétences transférées aux collectivités territoriales. Ainsi, certaines collectivités se sont vu conférer des compétences que n’ont pas leurs homologues de l’Hexagone (la Corse, l’outre-mer). Mais quelle que soit l’étendue de leurs compétences, les délibérations adoptées par toutes ces collectivités sont des actes administratifs, inférieurs aux lois, soumis au contrôle du juge administratif, et plus précisément (parce que la précision a son importance !) par le tribunal administratif.
C’est dans ce sens courant que la Constitution française emploie le mot « autonomie » dans son article 74. Qu’est-ce qui différencie donc une « collectivité autonome » d’une collectivité qui ne l’est pas ? La mention « autonomie » figure dans la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer ayant créé les statuts des collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy sans pour autant donné un contenu effectif à cette autonomie mentionnée.
Disons-le d’emblée : seule la Polynésie française est dotée de cette autonomie effective. Si le champ de compétences qu’elle exerce est effectivement plus étendu que celui des autres collectivités, les actes de l’assemblée de Polynésie – bien qu’abusivement appelés « lois du pays » – restent des actes administratifs. Mais à la différence des actes des autres collectivités territoriales, ils seront contrôlés non pas par le tribunal administratif mais par le Conseil d'État, juge administratif suprême. Pour qui n’est pas juriste, cette nuance peut très légitimement paraître ténue !
Mais en réalité le degré du contrôle (tribunal administratif, Conseil d'État, Conseil constitutionnel) détermine les contraintes qui pèsent sur la collectivité lorsqu’elle adopte un acte. Les normes supérieures à respecter sont plus nombreuses dans le cas d’un contrôle par le juge administratif (règlements, lois, Constitution) que dans le cas d’un contrôle par le Conseil constitutionnel (Constitution uniquement).
En clair, l’autonomie n’est qu’un degré plus accentué de la gestion locale au sein d’un Etat.
Autonomie et unité de la République
L’autonomie menace-t-elle l’unité de la République française ? La réponse est non : n’en déplaise aux derniers jacobins, l’unité n’est pas l’uniformité. On a trop confondu unité et uniformité, particulièrement en outre-mer au point de faire abstraction des réalités des bassins de vie différents de ceux de l’hexagone. L’ensemble de nos pays voisins (à la seule exception du Luxembourg !) ont d’ailleurs reconnu l’autonomie de leurs collectivités sans éclater pour pourtant ! De même, l’autonomie de la Nouvelle-Calédonie depuis 1999 n’a pas conduit à la dislocation de la France.
L’autonomie est encouragée par l’Union européenne et répond aux aspirations légitimes des populations locales de décider par elles-mêmes pour elles-mêmes : c’est le sens même de la démocratie locale. L’unité réside dans les principes et les droits fondamentaux et par l’exercice par l’État des compétences régaliennes (armée, justice, police). L’autonomie n’empêche pas la solidarité nationale, comme ont pu le montrer, en France comme ailleurs, les catastrophes naturelles et autres crises.
Autonomie et consentement populaire
L’autonomie n’est mentionnée dans la Constitution qu’au travers du troisième alinéa de l’article 74 de la Constitution qui prévoit que la loi organique peut également déterminer pour les collectivités qui sont dotées de l’autonomie notamment les conditions de contrôle juridictionnel de ses actes. Pour la Constitution, le statut d’autonomie conféré à une collectivité d'outre-mer ne peut résider que dans l’article 74 de la Constitution. Il s’en suit qu’un département-région d’outre-mer qui voudrait basculer dans une collectivité d’outre-mer dotée de l’autonomie ne pourrait le faire qu’après le consentement des électeurs de la collectivité dont la mutation institutionnelle est envisagée, ce en application de l’article 72-4 de la Constitution.
C’est une difficulté lorsque l’on connait le peu d’appétence de certains corps électoraux ultramarins pour les élections. Une telle transformation, de par ses implications, ne pourrait pas se faire sans le consentement populaire, même si la Constitution était modifiée. Il en serait de même pour la Corse ou de toute autre collectivité de la République. Il convient de noter que l’article L. 4124-1 du Code général des collectivités territoriales prévoit une consultation des électeurs lorsqu’une région et les départements qui la composent demandent à fusionner en une collectivité territoriale unique. Cette consultation doit réunir l’accord du corps électoral d’une double majorité : recueillir d’une part, la majorité absolue des suffrages exprimés et obtenir un nombre de voix au moins égal au quart des électeurs inscrits.
L’autonomie est la voie de l’avenir car elle permettra aux normes de répondre aux attentes et problématiques sociétales de terrain se posant sur des territoires aux antipodes de l’environnement hexagonal et européen. Cela exige avant tout un travail d’explications auprès des populations qui restent à convaincre pour qu’elles participent à changer de paradigme.
Véronique Bertile, Maître de conférences en droit public, Vice-doyenne de la Faculté de Droit de Bordeaux, Membre du conseil scientifique de l’Observatoire des pratiques linguistiques (DGLFLF) et membre de L’AJDOM.
Patrick Lingibé, Avocat spécialiste, Vice-président de la Conférence des bâtonniers et membre de l'AJDOM.