Le 12 juin dernier, la Fédération des entreprises d’Outre-mer (FEDOM) a tenu son assemblée générale annuelle à Paris, au siège de la Fédération nationale des travaux publics, réunissant adhérents, partenaires et institutions autour des enjeux cruciaux du financement des entreprises en Outre-mer, dans un contexte économique tendu. Deux thèmes essentiels ont particulièrement rythmé les échanges : l’urgence d’une réponse assurantielle en Nouvelle-Calédonie et la protection des dispositifs fiscaux clés pour le développement économique des territoires. Pour Outremers360, Hervé Mariton, président de la FEDOM et ancien ministre des Outre-mer, dresse un état des lieux sans détour et propose des pistes concrètes pour relever les défis économiques des territoires ultramarins.
Nouvelle-Calédonie : l'urgence d’une réponse assurantielle
La situation en Nouvelle-Calédonie, après les événements du printemps 2024, met en évidence une urgence absolue : permettre une couverture assurantielle suffisante pour relancer l’activité. Sans assurance, pas de crédit bancaire, et donc pas de reconstruction possible.
C’est en ce sens que la FEDOM appelle Bercy et les assureurs à proposer une solution transitoire dès maintenant, sans attendre l’horizon de 18 mois souvent évoqué : « C’est un enjeu crucial pour assurer un véritable rebond. En effet, il ne peut y avoir de reconstruction sans financement, ni sans couverture assurantielle des sinistres survenus l’an dernier. Par ailleurs, la reconstruction dépend également de l’accès au financement bancaire, or ce dernier est conditionné à une assurance adéquate. Ainsi, pour la Nouvelle-Calédonie, la question de l’assurance est à la fois un défi immédiat et un enjeu pour l’avenir. Aujourd’hui, la capacité à financer les entreprises est directement impactée par la gestion et l’indemnisation des sinistres. », précise Hervé Mariton.
Défiscalisation et LODEOM : des dispositifs clés menacés
Parmi les autres enjeux majeurs, la défiscalisation de l’immobilier commercial sinistré en Nouvelle-Calédonie reste partiellement mise en œuvre. La FEDOM réclame une anticipation de ces dispositifs dans la loi de finances 2026 pour relancer l’investissement privé.
Par ailleurs, l’éventuelle remise en cause des exonérations de charges sociales patronales spécifiques aux Outre-mer, notamment la LODEOM (Loi d’Orientation pour le Développement Économique des Outre-mer) suscite une vive inquiétude : « Ce dispositif a permis de développer l’emploi. Il coûte plus cher parce qu’il fonctionne. Le remettre en cause serait à contretemps, surtout face à la problématique de la vie chère », souligne Hervé Mariton.
En réalité, le coût de ces exonérations ultramarines est de 700 millions d’euros, bien en dessous des 1,5 milliard souvent avancés, une nuance cruciale dans un contexte budgétaire serré.
Projet de loi sur la vie chère : attention aux effets pervers
Enfin, le projet de loi sur la vie chère a été longuement discuté. S’il comprend des avancées, la FEDOM met en garde contre plusieurs mesures à effet contraire. L’autorisation de la vente à perte sur les produits de première nécessité, par exemple, favoriserait les grands groupes capables d’absorber la baisse, au détriment des petits distributeurs, réduisant la concurrence et in fine augmentant les prix. « Cette logique risque d’accélérer la concentration du marché, réduisant à terme la diversité de l’offre et provoquant une hausse des prix. », précise Hervé Mariton.
Plus globalement, la FEDOM dénonce une logique de sur-administration qui déstabilise les entreprises et envoie un signal contre-productif aux investisseurs et aux acteurs économiques locaux. Pour l’ancien ministre des Outre-mer, il ne suffit pas de multiplier les « effets d’annonce » pour lutter contre la vie chère. Il appelle à des solutions structurelles, économiques et sociales, afin d’agir sur les causes profondes du problème : « Il faut absolument éviter les fausses voies. Ce n’est pas en déstabilisant le monde économique qu’on avancera. »

Face à ces défis, Hervé Mariton plaide pour renforcer des leviers techniques efficaces, tels que l’Autorité de la concurrence, la transparence des prix via la publication des comptes, et le renforcement des observatoires de prix. Mais il insiste : ces mesures ne porteront leurs fruits qu’à condition d’améliorer le cadre général de stabilité et de confiance. « Ce projet de loi semble parfois considérer que les entreprises sont les ennemis des consommateurs. Il n’y a pas de consommateurs sans entreprise, ni d’entreprises sans consommateurs. »
Sécurité, mobilité, déclin démographique : des menaces économiques majeures
Au-delà des dispositifs législatifs, d’autres facteurs jouent un rôle déterminant dans le pouvoir d’achat. L’insécurité, particulièrement en Nouvelle-Calédonie et aux Antilles, engendre des coûts supplémentaires pour les entreprises « L’insécurité en outre-mer, ce sont des frais de gardiennage en plus, c’est un frein pour les investisseurs », souligne Hervé Mariton.
L’enjeu des transports est également central : « Quand les embouteillages deviennent quotidiens, ils nuisent au pouvoir d’achat, à la qualité de vie et à l’efficacité économique. » Un meilleur système de transport, estime-t-il, réduirait les dépenses liées à l’automobile et rendrait l’économie plus fluide.
Le recul démographique dans plusieurs territoires ultramarins constitue un facteur aggravant. Non seulement il affaiblit la base de consommation, mais il réduit aussi le vivier de compétences disponibles localement : « Si les jeunes formés ailleurs ne souhaitent pas revenir, c’est aussi faute de stabilité, d’emplois et d’un cadre de vie attractif. » Pour inverser la tendance, il faut créer les conditions du retour des jeunes formés dans l'Hexagone : emploi, logement, infrastructures, transports… « On ne donne pas envie de revenir en rendant la vie plus chère et plus compliquée. Il faut une politique globale d’attractivité. » plaide Hervé Mariton.
Innovation : accélérer la dynamique et mobiliser les financements
La montée en puissance des startups dans les Outre-mer est un phénomène prometteur. « On observe un réel dynamisme, mais les conditions d’accompagnement restent encore trop faibles ». Selon Hervé Mariton, il est urgent de passer « à la vitesse supérieure » sur le plan du financement en incitant les entreprises traditionnelles à s’impliquer davantage dans le soutien aux jeunes entrepreneurs, au même titre que le secteur financier. « Il faut aussi mieux mobiliser les outils existants, comme France 2030, qui restent encore largement sous-exploités », ajoute-t-il.
Faire naître le réflexe Outre-mer
Pour conclure, Hervé Mariton insiste sur le moment à saisir : « Les outre-mer sont aujourd’hui plus présents dans le débat national, parfois pour de bonnes raisons, parfois pour des sujets de tension. Mais il faut faire en sorte que le positif l’emporte. » Il appelle à sortir du schéma de « l’exception » pour faire naître un véritable « réflexe outre-mer » dans toutes les politiques économiques.« L’écosystème économique doit être encouragé, non pas lesté par des charges nouvelles ou des contraintes supplémentaires. »
Dans cette dynamique, la FEDOM intensifie son action de terrain dans tous les bassins ultramarins pour identifier et lever les blocages spécifiques au développement des entreprises « Le tissu entrepreneurial des Outre-mer est sous-capitalisé. Il y a souvent un problème de fonds propres, des enjeux de transmission encore plus difficiles que dans l’Hexagone, un accès au crédit bancaire limité, des difficultés d’ingénierie financière… Et l’accès aux financements européens est trop souvent complexe. » insiste Hervé Mariton.
C’est pourquoi la Fedom mise sur un dialogue renforcé avec les acteurs locaux, notamment à travers un cycle de séminaires territoriaux, dont la prochaine étape est prévue en Guadeloupe en septembre.
EG