Éric Brel, Expert chargé du développement des applications spatiales vers le maritime et les outre-mer au CNES : «Il faut qu'avec les territoires ultramarins, nous puissions construire un moyen de communication efficace»

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Éric Brel, Expert chargé du développement des applications spatiales vers le maritime et les outre-mer au CNES : «Il faut qu'avec les territoires ultramarins, nous puissions construire un moyen de communication efficace»

Mettre le spatial au service de tous les secteurs socio-économiques, c’est l'objectif du programme Connect by CNES, lancé il y a maintenant 4 ans pour faire face à l'arrivée de nouveaux acteurs du digital dans le spatial ou encore à la multiplication de lancements d’applications dans ce secteur. Au Centre national d'études spatiales (CNES), entre 80 et 90 personnes gravitent autour de ce programme, qui a inclus les Outre-mer en janvier de l’année dernière. Éric Brel, expert en application et services, est responsable du volet « Maritime, Outremer et Collectivités » et si l’intégration des Outre-mer s’est faite récemment, la feuille de route pour les prochains mois est chargée. Éric Brel a accordé un entretien à Outremers360.

 

Outremers360 : En quoi consiste votre mission ? 

Éric Brel : Aujourd’hui, une grosse partie de notre travail est d'identifier les besoins des collectivités. Avec le changement climatique, les Outre-mer sont directement impactés. Il nous faut donc bien comprendre ces besoins pour répondre au mieux aux enjeux. Une fois qu'on a réussi à formaliser ces besoins, nous nous tournons vers le secteur économique de ces régions ultramarines pour voir s'il n'y a pas des gens que nous pouvons accompagner pour répondre à ces besoins. C'est-à-dire des personnes qui vont acquérir ou qui ont déjà ces compétences, pour manipuler les produits et services spatiaux : de l'imagerie, en passant par le géopositionnement, la télécommunication... Une fois ces acteurs trouvés, nous les aidons à construire des réponses aux besoins identifiés.

Outremers360 : Quels peuvent être ces besoins ?

Éric Brel : Il fut un temps où il y avait des soucis pour tout ce qui était télémédecine en Polynésie. C’était compliqué de transposer la télémédecine dans toutes les îles. Il y a un service qui existe déjà et qui utilise le spatial, mais pas dans toute son envergure, aussi, nous avons décidé de développer cela un peu plus en Guyane où, du fait de notre présence, il y a déjà des travaux là-dessus. Une fois que nous aurons bien consolidé en Guyane, nous retournerons en Polynésie.

Il peut y avoir des besoins de transferts entre îles : que ce soient des personnes ou du matériel.

Je pense aux territoires comme la Polynésie, mais également la Nouvelle-Calédonie ou dans les Caraïbes. Le transport de colis d'un territoire à un autre pourrait se faire par drones, pour les besoins urgents comme des analyses sanguines, voire des poches de sang. On pourrait développer les hydravions. Il y aura à ce moment-là, un besoin en spatial pour connaître l'état de la mer, par exemple, pour que les avions puissent se poser correctement... Il y a toute cette réflexion qui est en train de se mettre en place et j'espère qu'on pourra commencer à envisager des projets d'ici la fin de l'année. Je pense que ça pourrait intéresser pas mal de monde.

Après, il y a tout ce qui est tous les besoins liés aux trois domaines sur lesquels nous insistons beaucoup, à savoir : le changement climatique, la perte de biodiversité et la pression anthropique, c'est-à-dire les activités de l'homme sur les milieux aussi bien marins que terrestres.

Présentation des programmes “Mer et Espace” par Éric Brel responsAble maritime et Outremer ©  Twitter AlexLuczkiewicz
 

Outremers360 : Concrètement, sur le terrain, comment cela peut-il se traduire ?

Éric Brel : Sur la question du changement climatique, c’est le suivi du trait de côte et des submersions. Au niveau de la biodiversité, nous avons des acteurs en mer, qui s'engagent dans une mesure plus fine de la topographie sous-marine et de l'état du suivi de l'état des écosystèmes. Sur la pression anthropique, on peut donner 3 exemples : il y a dans les lagons, l'impact de toutes les activités des pêcheurs, des plongeurs. Il y a aussi plus largement en pleine mer, la surveillance de tout ce qui relève de la pêche illégale. On arrive avec le spatial à repérer très facilement des navires qui vont dans des endroits où ils n'ont pas le droit de pêcher. Nous sommes en train de travailler sur l'identification plus fine de ces navires pour apporter une justification juridique plus forte afin de pouvoir plus facilement contrecarrer ces pêches illégales. Et puis, le dernier point, c’est l’aspect des infrastructures touchant au littoral. S’il y a besoin de développer une digue pour un port, par exemple, nous pouvons plus facilement prédire l’impact de cette construction sur l’évolution de l’écosystème.

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Outremers360 : Est-ce que vous comptez ouvrir des antennes dans les Outre-mer ?

Éric Brel :  Pour l’instant, il n'y aura personne du CNES qui ira dans ces territoires. En revanche, nous avons mis en place avec les régions de l’Hexagone un outil que nous sommes en train de tester. Il s’agit d’avoir des correspondants au niveau des régions qui seraient formés à nos techniques, qui comprendraient un peu notre organisation la répartition de nos compétences. Ces personnes seraient les facilitateurs du spatial au niveau de la région. Dans la première convention que nous avons signée avec la Nouvelle-Calédonie, c’est ce que nous leur avons proposé, mais la Nouvelle-Calédonie, avec la Polynésie française et Wallis-et-Futuna, veulent aller plus loin. Ils l’ont exprimé fin novembre, à Nouméa : ils veulent une certaine autonomie du spatial. Donc, ça ne va pas juste être une compétence, une personne, au niveau de la région qui serait facilitateur… Eux, ce qu’ils veulent, c’est quelque chose qui ressemblerait à une agence du spatial pour traiter des besoins des territoires du Pacifique. Nous, ainsi que d’autres organismes, allons les accompagner. On va amener notre expertise pour développer des projets, mais aussi les aider à construire cette entité qui serait un plus costaud que juste une compétence de facilitation. Ça, c'est pour le Pacifique. Pour les autres zones, nous n'avons pas abandonné notre idée d'avoir une facilitation. Quand on va construire un partenariat avec ces territoires, cela sera mis sur la table et nous pousserons pour que cela soit en place. En effet, je suis seul en charge des Outre-mer. Je ne me vois pas faire le tour de la planète chaque année pour aller travailler avec toutes les régions.  Donc, il faut qu'avec les territoires ultramarins, nous puissions construire un moyen de communication efficace.

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Signature de convention Adecal Technopole-Connect by Cnes à Nouméa © Adecal Technopole

Outremers360 : C’est un appel que vous lancez ?

Éric Brel : Tout à fait. Ce sera à discuter avec chaque territoire dans le cadre des propositions que l’on fera. Mais nous avons besoin de gens qui connaissent aussi bien le secteur économique que les besoins de gestion du territoire ; un peu du spatial et qui sont conscients des grands enjeux de ces territoires. Dans l’océan Indien, on peut faire beaucoup de choses dans les domaines maritimes et terrestres. Côté Caraïbe, il y a tous ces besoins et le premier d'entre eux, c'est essayer d'aller plus loin, d'être beaucoup plus performant et efficace dans la gestion des sargasses. Nous avons commencé à travailler dessus.

Télédétection des algues sargasses par satellite © Méteo France

Quels sont vos futurs grands événements à venir ?

Éric Brel : On voudrait signer la convention avec la Polynésie française au premier trimestre. On a également un événement, qu’on aimerait mettre en place avec la structure Outre-mer Network. On essaye de construire une autre convention avec l’océan Indien, et notamment la Réunion. Enfin, nous nous challengeons pour mettre en place rapidement des projets pour aller plus loin dans la gestion des sargasses.

Abby Said Adinani