Depuis 2013, les produits distribués dans les Outre-mer ne doivent pas être plus sucrés que ceux commercialisés dans l’Hexagone. Pourtant, dans les supermarchés ultramarins, certaines denrées alimentaires le sont toujours. Pour justifier cette pratique, les industriels avancent que les populations ultramarines auraient besoin de plus de sucre. Aucune étude scientifique ne confirme cette hypothèse.
Par Marion Durand
« Dans les Outre-mer les habitants aiment plus le sucre ». Vous avez déjà entendu cette phrase ? Pas étonnant, car l’argument est souvent avancé par les industriels, les producteurs ou même les Ultramarins qui pensent, à tort, que leur organisme a besoin de plus de sucre.
Nous avons analysé des produits vendus dans les territoires d’Outre-mer pour savoir si les denrées distribuées dans les supermarchés ultramarins sont toujours plus sucrées que celles commercialisées dans l’Hexagone.
Si les recettes se sont améliorées depuis plusieurs années, certains producteurs et grandes marques ne respectent pas la loi Lurel qui interdit cette pratique depuis 2013. Selon cette législation, « aucune denrée alimentaire ne peut avoir une teneur en sucres ajoutés supérieure de la même marque distribuée en France hexagonale ».
Selon notre enquête, publiée vendredi 1er décembre, la loi Lurel semble bien respectée par les producteurs de boissons gazeuses. Les quatre sodas étudiés Coca-cola, Fanta, Orangina et Schweppes Indian Tonic ont les mêmes quantités de sucres dans l’Hexagone et dans les régions et départements d’Outre-mer. Le Pacifique fait figure d’exception. En Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, la loi Lurel ne s’applique pas. On trouve dans les commerces des sodas deux fois plus sucrés qu’à Paris, c’est le cas pour le Fanta Orange (13 g de sucre pour 100 ml en Polynésie contre 6,5 g dans l’Hexagone) ou pour le Schweppes Indian Tonic (8,9 g pour 100 ml en Nouvelle-Calédonie et 4,4 g dans l’Hexagone).
Du côté des produits laitiers, la législation semble peu respectée. Une partie des yaourts Yoplait ou Danone distribués dans les Outre-mer affichent des taux de sucre plus importants à La Réunion, en Martinique ou en Guadeloupe.
Une addiction qui touche toutes les populations
Mais comment expliquer ces pratiques alors que les populations ultramarines sont plus obèses et souffrent davantage de maladies liées à une mauvaise alimentation ? « L’argument principal des industriels est de dire qu’ils répondent à la demande. C’est faux, la demande reste corrélée à l’offre. Les Ultramarins n’ont pas besoin de sucre, pas plus que d’autres populations », estime l’anthropologue Christophe Serra-Mallol, auteur d’une thèse sur les pratiques alimentaires et leurs représentations chez les Tahitiens.
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Le président de la Fédération hospitalière de Guadeloupe, le Dr André Atallah confirme : « Aucune étude scientifique ne prouve que les Antillais, les Sud-Américains ou les Mexicains aiment davantage le sucre. Les lobbys du sucre, fabricants de yaourts et grandes marques, ont décidé de croire en cette idée, ça les arrange ». Le cardiologue guadeloupéen a été le premier à mettre en lumière ce problème de santé publique. « Ce qui est prouvé par les études, c’est qu’il existe une addiction au sucre. Si les enfants sont habitués très tôt à manger du sucre, ils y prennent goût et lorsqu’on leur propose des produits moins sucrés, ils les trouvent fades et font la grimace, poursuit-il. Mais dire que les Antillais sont plus branchés sucre… Aucune étude ne le prouve ! »
L’addiction au sucre est universelle, elle ne touche pas davantage les habitants des Outre-mer, mais ces derniers y sont plus exposés puisque les produits proposés dans les supermarchés sont souvent plus sucrés. Pour le docteur André Atallah, les Ultramarins sont aujourd’hui conscients du problème et plus vigilants. « Le lien entre le sucre, le diabète et l’obésité est bien compris. Les consommateurs font attention à réduire les taux de sucre »
« Une prise de conscience collective »
Certains producteurs s’inquiètent qu’une réduction des teneurs en sucre déplaise à la clientèle. « Pour baisser le sucre, il faut le faire progressivement. C’est un vrai travail qu’on a entrepris il y a longtemps et on continue doucement », explique le directeur de la société laitière de Macouria (SOLAM) en Guyane. Pour Bernard Boulanger, ces habitudes alimentaires sont « culturelles » : « Les gens de ma génération ont toujours mangé plus salé et plus sucré, on est habitué à consommer comme ça ». Il dénonce la concurrence des pays voisins : « Tous les produits importés du Brésil et du Suriname ne sont pas concernés (par la loi Lurel). Leurs sodas sont plus sucrés mais ils entrent quand même chez nous. C’est incompréhensible, on demande plus de vigilance ».
En Polynésie, un producteur local de jus de fruit, Rotui, assure n’avoir perdu aucun client en proposant des produits moins sucrés. « Nous avons commencé dès 2017, précise Étienne Houot, directeur commercial et logistique de la marque. Nous sommes passés sous la barre des 10 g de sucre pour 100 ml début 2020 sous l’impulsion d’une taxation du gouvernement polynésien ». En effet, depuis janvier 2020, la taxe de consommation pour la prévention concerne aussi les jus de fruits et légumes contenant des sucres ajoutés ou des édulcorants de synthèse.
« Aujourd’hui, on ne peut pas dire que cette baisse a fait fuir les consommateurs », observe Étienne Houot qui prévoit une nouvelle réduction dans les prochains mois. « On a déjà fait goûter quelques recettes autour de 9,3 g de sucre pour 100 ml. On est confiants, en 2020 quand on a baissé les teneurs en sucre de 20 %, ça n’a pas été sanctionné par les acheteurs ». Pour lui, les industriels, pouvoirs publics et consommateurs sont de plus en plus « sensibilisés à la surabondance de sucre » dans les produits. « Il y a une prise de conscience collective ! »
Cette prise de conscience est-elle suffisante ? Pas selon l’association des diététiciens de Polynésie, interrogée par nos confrères de TNTV : « Il faut aussi peut-être arrêter le lobby du sucre. » L’anthropologue Christophe Serra-Mallol rappelle qu’« il est très difficile de changer les comportements et de mener une politique qui porte ces fruits sur deux ou trois générations. »