[DECRYPTAGE] Obésité dans les Outre-mer : à qui la faute ?

Illustration ©Dixit Magazine

[DECRYPTAGE] Obésité dans les Outre-mer : à qui la faute ?

Dans les territoires d’Outre-mer, environ 23 % de la population est concernée par l’obésité. La prévalence au diabète est deux fois supérieure dans les régions et départements ultramarins que dans l’Hexagone. Coût de la vie, accès à la malbouffe, éducation, mode de vie, sédentarité… De multiples facteurs expliquent ces taux préoccupants.

Par Marion Durand.

« Nous vivons dans des environnements obésogènes », s’alarme Marie-Elise Sextius. La présidente de l’Association Antilles-Guyane de lutte contre l’obésité, le surpoids et la sédentarité chez l’enfant (Agosse) s’inquiète de l’état de santé des petits antillais. Partout, l’obésité est un problème de santé publique mais dans les Outre-mer les chiffres sont inquiétants.

Selon une étude conduite en 2018 par le Dr André Atallah, cardiologue et président de la Fédération hospitalière de Guadeloupe, 22% des adultes vivant en Martinique sont obèses. Ils sont 22,9% en Guadeloupe, 17,9% en Guyane et 33,1% en Polynésie. Dans ces territoires, environ 32% de la population est en surpoids (en excluant l’obésité). Un rapport de Santé publique France, publié ce mardi 14 novembre dans le cadre de la journée mondiale contre le diabète, montre que la prévalence de cette maladie est deux fois plus importante dans les départements et régions d’outre-mer (DROM) que dans l’Hexagone. 

En 2021, à La Réunion 13,6 % des habitants souffrent de diabète, 12,0 % en Guadeloupe, 11,6 % en Guyane et 11,5 % en Martinique. Le rapport pointe une part importante de cas non traités pharmacologiquement : plus de 4 personnes sur 10 ne bénéficient d’aucune mesure hygiéno-diététique quel que soit le DROM. L’étude rapporte aussi de nombreux cas de diabète méconnu, appelé « petit diabète » (notion d’un début de diabète, considéré comme pas trop grave) par les personnes ne se déclarant pas diabétiques.

Le coût de la vie, un frein au bien manger

Un des premiers facteurs qui explique ces taux d’obésité plus élevés est d’ordre financier. L’alimentation et le niveau socio-économique vont de pair. « Bien manger coûte cher », résume Julie Molins, diététicienne à Pirae (Tahiti). « Acheter des soupes instantanées ou un sac de riz à 100 francs (0,80 €) coûte moins cher que de choisir un paquet de pâtes complètes ». Le choix est vite fait pour les foyers ayant des revenus bas.

En Polynésie et dans les autres territoires ultramarins, où le coût de la vie reste élevé, l’obésité touche davantage les familles défavorisées. Dans les DROM, le taux de pauvreté atteint plus du double de celui de l’Hexagone. « Le chômage constitue un handicap supplémentaire avec des taux deux à trois fois supérieurs à ceux de la France continentale, spécialement à Mayotte et à La Réunion », indique une expertise collective sur la nutrition en Outre-mer menée par l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

Les familles en situation de précarité ont ainsi moins accès à une alimentation favorable : des fruits, des légumes, des produits céréaliers complets, du poisson ou des produits laitiers faibles en lipides. Les foyers défavorisés ont tendance à privilégier des produits moins cher, ayant la plupart du temps des valeurs nutritionnelles plus faibles (boîtes de conserve de viande, de légumes ou des plats préparés). « Ici, si tu ne veux pas te ruiner pour manger, tu te diriges vers de la mal bouffe ! », regrette la diététicienne.

Le Dr André Atallah rappelle que l’obésité « n’est pas un facteur ethnique mais lié à l’environnement ». Même si les statistiques ethniques sont interdites en France, l’anthropologue Christophe Serra-Mallol, spécialiste de l’alimentation, estime que « les populations autochtones sont les plus touchées par le surpoids ou l’obésité. Les personnes d’origines africaines à La Réunion et aux Antilles, Ma'ohi en Polynésie ou Kanak de Nouvelle-Calédonie se situent souvent en bas de l’échelle sociale, avec des revenus et des niveaux d’éducation plus bas que le reste de la population de ces territoires ».

Des snacks-roulottes devant les écoles

L’accès facile à la malbouffe explique aussi le surpoids dans les Outre-mer, notamment chez les enfants. Dans ces départements, 23 % d’entre eux sont en surpoids ou obèses, contre 16 % dans l'Hexagone. En Polynésie, le chiffre s’élève à 50 %.

Marie-Elise Sextius, présidente de l’Agosse, accompagne cette année 80 jeunes et leurs familles pour les aider à sortir de l’obésité. Pour elle, l’offre alimentaire à destination des jeunes est une aberration. « Tout ce qui est autour de nous favorise l’obésité ! On peut mettre en place tout ce qu’on veut auprès des familles, si autour de lui, l’enfant a accès facilement de la malbouffe on se confronte à un mur. »

Dans la plupart des territoires ultramarins, des roulottes s’installent près des établissements scolaires. Avant la sonnerie ou à l’heure de la récréation, on y vend des confiseries, sandwichs, pizzas, boissons sucrées, barres chocolatées. Un rapport sur la médecine scolaire réalisé par l'Assemblée de Polynésie préconisait l’interdiction des roulottes à moins de 200 mètres des écoles et des lycées. Mais pour l’heure, ces snacks ambulants occupent toujours les abords des écoles.

Les boissons sucrées et soda représentent un réel problème de santé publique dans les Outre-mer. Selon le rapport de l’IRD, les consommations journalières moyennes de boissons sucrées en Guadeloupe et en Martinique sont presque trois fois plus élevées que celles de la France hexagonale. La Guyane est presque au double. De même, un Réunionnais sur cinq consomme des boissons sucrées tous les jours. « Certains produits populaires présentant une teneur moyenne en sucres légèrement supérieure en Outre-mer que dans l’Hexagone » pointe aussi un rapport sénatorial en juin 2022.

Bien manger c’est manger beaucoup

L’éducation joue aussi un rôle important dans le rapport à l’alimentation. « Lorsqu’on questionne les patients sur leur pratique alimentaire, ils nous disent qu’ils consomment un sandwich jambon beurre le matin, du pâté avec du pain ou même un plat complet », remarque Julie Molins. « Pour se justifier, les Polynésiens nous disent ‘on a été élevé comme ça !’ » Difficile de changer les habitudes selon cette diététicienne alors que le rapport au corps est bien différent dans le Pacifique. « Les Tahitiens disent ‘si t’es gros ça veut dire que t’es heureux’ ».

L’anthropologue Christophe Serra-Mallol décrit cette valorisation des corpulences fortes en Polynésie dans son ouvrage Nourritures, abondance et identité. Une socio-anthropologie de l’alimentation à Tahiti. « Dans la culture polynésienne, bien manger c’est manger beaucoup. C’est le volume ingéré, l’impression physique de plaisir que procure la satiété d’un estomac bien rempli, qui guide le mode d’alimentation. »

De son côté, Marie-Elise Sextius pointe des modes de vie de plus en plus sédentaires. « Dans les familles il y a plusieurs voitures, on se gare toujours plus près pour ne pas marcher, on a les yeux rivés sur les écrans. On est une population très sédentaire ! ». Si dans l'Hexagone les mobilités douces sont encouragées, ce n’est pas le cas dans certains territoires ultramarins. « On n’a pas de piste cyclable et l’insécurité routière n’incite pas à prendre son vélo car les aménagements ne sont pas faits pour les cyclistes ».

Pourtant, selon un récent rapport remis au gouvernement pour lutter contre l’obésité, la pratique d’une activité physique régulière chez les adultes est similaire entre les populations des DROM et celles de l’Hexagone. Il remarque cependant que concernant la sédentarité, « les jeunes adultes (15-24 ans) sont plus nombreux à regarder la télévision plus de deux heures par jour que les adultes et séniors ». La pratique du sport est aussi plus onéreuse dans les Outre-mer et les infrastructures y sont moins développées.

Des influences extérieures

L’abondance et la disponibilité alimentaire depuis l’installation du commerce moderne est un des facteurs de surconsommation dans certains territoires d’Outre-mer. Les puissances extérieures ont amené avec elle de nombreux aliments qui constituent aujourd’hui la « malbouffe » : soda, confiserie, biscuits, alcool… « La colonisation a engendré des modifications en termes de style de vie et de mode d’alimentation », estime l’anthropologue.

Les bouleversements rapides des habitudes alimentaires traditionnelles sont également un des déterminants de l’obésité. « La modernité et la mondialisation ont eu des conséquences dans les Antilles. Alors qu’elles étaient autosuffisantes en matière agroalimentaire jusqu’en 1945, la production locale ne couvre aujourd’hui plus que 10 à 15 % des besoins », décrit le Dr André Atallah. Dans les supermarchés, la plupart des aliments disponibles dans les rayons sont importés.

Un rapport parlementaire pointe aussi la difficulté d’accès à des produits frais dans certains territoires. « La question de la chlordécone complique davantage la lutte contre l'obésité aux Antilles ». Ce pesticide, utilisé dans les bananeraies entre 1972 et 1993 a contaminé 20 % des surfaces agricoles en Guadeloupe et 30 % en Martinique. « Cette pollution empêche les populations de favoriser les produits frais locaux et ainsi de mettre en œuvre les schémas de consommation généralement conseillés pour lutter contre l’obésité », peut-on lire dans le rapport.

L’obésité dans les Outre-mer s’explique donc par une convergence de facteurs qui rend la mise en place de politiques publiques plus difficile mais pour les spécialistes interrogées, « il est urgent d'agir ! ».