L’Hexagone et les Outre-mer sont confrontés à une menace grandissante liée au trafic de stupéfiants. Leur situation géographique, à proximité des principaux pays producteurs de drogues et bénéficiant d'un réseau de transport dense, est devenu un terrain de jeu privilégié pour les organisations criminelles internationales. Ils sont non seulement un marché de consommation important, mais également un carrefour stratégique pour le transit et la redistribution des drogues à travers l'Europe, qui a rapporté environ 3,5 milliards d’euros aux narcotrafiquants en 2023. Les Antilles-Guyane se trouvent notamment en première ligne des trafics transnationaux.
Non loin des pays d'Amérique latine producteurs de cocaïne (Bolivie, Pérou, Colombie) et sur des routes maritimes historiques, la Guyane et les Antilles françaises sont des cibles de choix pour les trafiquants de drogue. La proximité de pays de transit comme Sainte-Lucie, le Guyana ou la République dominicaine a renforcé cette attractivité. La saturation du marché américain ayant poussé les organisations criminelles à se tourner vers l'Europe, les ports français des Caraïbes sont devenus des points d'entrée stratégiques. Le doublement du volume des conteneurs dans ces ports, combiné à des mesures de sécurité encore insuffisantes, constitue une menace grandissante pour la sécurité régionale et européenne.
D’après le rapport de la Cour des comptes sur l’OFAST, « la multiplication des saisies massives témoigne de la vigueur du trafic utilisant les vecteurs maritimes (bateaux de pêche, voiliers, hors-bords, et conteneurs). En 2022, les saisies de cocaïne effectuées aux Antilles au sein des ports de plaisance, mouillages et marinas se sont élevées à près de 1,2 tonne. En 2023, l’antenne OFAST en zone Caraïbes, compétente pour la Guadeloupe, la Martinique et Saint-Martin, a saisi 11 tonnes de stupéfiants. En mars 2024, 1,8 tonne de cocaïne ont été saisies dans la partie française de Saint-Martin, dans un ‘bateau-cigarette’, très prisé des trafiquants pour sa puissance ». À noter aussi que le fret aérien est utilisé. Des « narco-jets » provenant du Venezuela transportent de la cocaïne à destination du Guyana et du Suriname, à proximité immédiate de la Guyane.
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« L’acheminement par mer est la principale voie d’entrée de la cocaïne en France continentale, 55% des quantités saisies en 2023. 55%, soit 6,7 tonnes, de la cocaïne saisie en 2022 provenaient des Antilles et de Guyane », poursuit le document. Cependant, depuis 2012, le trafic aérien de cocaïne, surnommé « trafic fourmis », s'est considérablement développé. Il repose sur des personnes, appelées « mules », qui transportent la drogue sur ou dans leur corps. Souvent recrutées en raison de difficultés financières, ces individus acceptent des risques importants pour des rémunérations allant de 3000 à 10 000 euros. Les filières surinamo-guyanaises jouent un rôle clé dans ce trafic. En 2022, près de 17% de la cocaïne saisie en France était transportée de cette manière.
L’instauration du « plan mules » en octobre 2022 à partir de Cayenne a conduit à une baisse du nombre de passeurs appréhendés entre octobre et décembre 2022, tendance qui s’est poursuivie au cours du premier semestre 2023. « De plus, l’Office pointe l’impact positif d’outils utilisés pour renforcer les contrôles : scanners à ondes millimétriques, procédures simplifiées appliquées par les services répressifs et la douane et déploiement de dispositifs opérationnels (capteurs LAPI7, contrôles avec des équipes cynophiles dans l'aéroport et aux abords, caméras de vidéoprotection) », souligne la Cour des comptes.
Ces mesures dissuasives ont entraîné une évolution des trafics. On constate ainsi un déplacement des activités vers les ports de Fort-de-France et de Pointe-à-Pitre, ainsi qu’un recours accru à de nouveaux modes de transport, notamment les « go fast maritimes ». L’utilisation du fret express et postal pour acheminer la drogue s’est intensifiée. En 2022, le fret représentait 36% des saisies de cocaïne effectuées par les services douaniers de Roissy Fret en provenance de la Guyane.
« La recrudescence des trafics de drogues entretient la criminalité locale et la violence dans les territoires ultramarins. La zone Antilles-Guyane enregistre notamment un taux d’homicide sept fois plus important que celui de l’hexagone (7 pour 100 000 habitants contre 1,1 en France continentale), en partie lié aux règlements de compte entre gangs rivaux », souligne le rapport, qui insiste également sur la complexité géographique de cette zone et la nécessité d’une coopération renforcée entre les États (surveillance, patrouille et intervention).
L’OFAST comporte un réseau de 15 antennes et de 9 détachements. Treize antennes sont rattachées à la Direction générale de la police nationale (Le Havre, Ajaccio, Bordeaux, Cayenne, Fort-de-France, Dijon, Lille, Lyon, Marseille, Orléans, Rennes, Strasbourg et Versailles) et deux à la Direction générale de la gendarmerie nationale (Papeete et Saint-Denis de la Réunion). Les antennes sont chargées de l’animation des Cellules de renseignement opérationnelles sur les stupéfiants (CROSS) situées dans leur périmètre géographique, et de la collecte des renseignements. Elles assistent aussi les autres unités locales en lien avec la lutte contre les trafics. Le rôle des neuf détachements (Bayonne, Grenoble, Montpellier, Mulhouse, Nantes, Perpignan, Pointe-à-Pitre, Toulouse et Saint-Martin), de plus petite taille, est essentiellement celui d’échanges d’informations et d’arbitrage de compétence entre services.
Focus : le crack aux Antilles-Guyane
Liée au transit important de drogues en provenance d’Amérique Latine, la consommation de crack connaît un essor important. La Guyane et les Antilles comptent parmi les territoires français les plus touchés par la consommation de crack, qui concerne essentiellement les populations très précaires. Le prix d’achat du crack y est inférieur à celui des autres produits et le fractionnement des doses (achat possible à la « taff », c’est-à-dire une inspiration unique) le rend plus accessible. Le prix inférieur du crack s’explique aussi par la facilité de sa fabrication locale, à partir de la cocaïne importée des régions voisines. D’après une étude de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), une galette de crack se vendait entre 10 et 15 euros dans la rue à Paris (environ 20 à 30 euros en cité) en 2017, contre moins de 5 euros en Guyane en 2019. (Source : OFAST)
PM