Branle-bas en mer des Caraïbes, « la chasse est ouverte ». A peine a-t-il quitté son port d'attache que le Ventôse file vers Sainte-Lucie pour tenter de « choper » un bateau empli de cocaïne. L'équipage de la Marine française est au taquet.
« Allez, changement de tenue ! Habits de lumière et c'est parti ! », lance le capitaine de frégate Ollive, alors que la FS Ventôse qu'il commande s'apprête à quitter Fort-de-France (Martinique) pour une opération régulière « Carib Royal » de lutte contre le narcotrafic (mission Narcops).
Unis dans un même dessein, les 120 femmes et hommes à bord du navire gris long de 93 mètres sont en ordre de marche, du boulanger au mécano, en passant par les commandos de marine. La mer est plutôt agitée et l'équipage vient d'achever une évacuation sanitaire de deux blessés d'un bateau de la Marine française quand un renseignement tombe, laconique : « Transbordement à 60 milles nautiques à l'ouest de Sainte-Lucie » (environ 110 km).
Le commandant adjoint en charge des opérations (le Comops) lance immédiatement la planification des actions pour intercepter les trafiquants. Les commandos se préparent pour immobiliser puis monter à bord du bateau cible. Tout comme le pilote de l'hélicoptère Panther, qui aura à son bord un tireur d'élite chargé entre autres du tir au but dans le moteur pour stopper l'embarcation.
Le Ventôse est, avec le Germinal, l'une des deux frégates de surveillance basées en Martinique (respectivement depuis 1993 et 2011) au sein des Forces armées aux Antilles (FAA). Depuis le début des années 2000, le Ventôse a intercepté plus de cinquante navires chargés de drogue. En 2023, il a saisi 4,4 tonnes de cocaïne et 5,1 tonnes 2024.
Rivalité
« Dans cette région des Caraïbes, on observe régulièrement des navires de pêche (bateau-mère) chargés de drogue et qui viennent au large des différentes îles pour ravitailler des go fast (bateau-fille) », explique le Comops.
Le Ventôse est en ébullition. Chacun a en tête les 10 tonnes record saisies par un autre navire, le patrouilleur Antilles-Guyane La Confiance, en août dernier, auquel le Ventôse a prêté assistance tant la prise était énorme. « Il y a toujours cette guéguerre entre chaque bateau, une sorte de rivalité. C'est à celui qui fera le plus de prises », s'amuse le quartier-maître Gaëtan, encore bluffé par le butin saisi par la Confiance.
« Fallait voir comment les gars (les trafiquants) rangeaient ça ! Leur bateau ne payait vraiment pas de mine, il était tellement lourd que le gouvernail n'était pas assez gros. C'était ahurissant », raconte cet équipier sécurité, porté par des missions exaltantes mais exigeantes car l'équipage est « toujours à flux tendu ». La traque des trafiquants à « 60 milles nautiques à l'ouest » est un jeu du chat et de la souris, rythmé par les revirements.
« On est un peu des flics en planque », remarque le Comops, avant de programmer un vol de reconnaissance de sa carte maîtresse, l'hélicoptère, capable de localiser la cible sans se faire repérer des trafiquants qui peuvent jeter une tonne de drogue par-dessus bord en quelques secondes, les ballots ficelés en chapelet.
Alternative des commandos
Mais voilà : l'hélicoptère ne peut pas « partir en chasse » à cause d'un problème technique. Nouvelle tentative de le faire voler en début de soirée. « Échec... », souffle un marin. Les commandos sont l'alternative. A bord de leur Etraco (un semi-rigide puissant), les hommes d'assaut vont blanchir la zone supposée du transbordement.
Le temps presse, minuit approche et la lune éclaire comme un projecteur. « Les dieux de la chasse ne sont pas avec nous. On a un renseignement léger, pas de moyen aérien et une nuit claire », regrette le commandant. Armés lourdement, les commandos s'éloignent du Ventôse et filent droit sur leur ligne à plus de 40 nœuds (environ 75 km/h). En passerelle, la tension est palpable, les marins de quart ont les yeux rivés sur les éléments en vert des radars noirs. Mais après quelques heures, « l'opération fait chou blanc ».
Maître d'hôtel le jour, Maeva assure son quart au poste de barreur cette nuit-là. Elle y a vraiment cru. « C'est décevant tout ce travail. On ne dort pas de la nuit, on est crevé et on n'a pas la récompense d'avoir chopé », argue la femme-marin de 22 ans. Au carré des officiers mariniers, des dessins et des mots sont accrochés sur les murs. Ils ont été faits par des gens interceptés. Retenus à bord, ils reçoivent des soins, des vêtements et prennent les mêmes repas que les marins du bord. Tous ne sont pas des « narcos ».
« Certains disent « merci pour tout ». On a eu un bateau complètement à la dérive, ils n'avaient plus d'eau, plus de nourriture, plus de gasoil, le moteur était cassé », se souvient la commissaire du Ventôse, touchée par les histoires que racontent quelques pêcheurs « contraints » de transporter de la drogue. Entre briefings et exercices constants, le Ventôse poursuit sa chasse sans relâche pour « un petit coup d'épée dans l'eau, peut-être, mais qui fait quand même un peu de mal au narcotrafic », se convainc cette experte juridique de 29 ans.
Avec AFP