Au cœur du 106e Congrès des Maires, les élus ultramarins ont pris la parole lors de l'après-midi en partenariat avec la délégation sénatoriale aux Outre-mer, introduit par la presidente Micheline Jacques, pour alerter sur les crises sociales, l'augmentation du coût de la vie et la réforme de l’octroi de mer. Confrontés à des réalités locales de plus en plus difficiles, ils plaident pour un soutien renforcé de l'État et une coopération étroite pour répondre aux enjeux immédiats et futurs de leurs populations.
Au cœur du 106e Congrès des Maires, les élus ultramarins ont pris la parole lors de l'après-midi en partenariat avec la délégation sénatoriale aux Outre-mer, introduit par la presidente Micheline Jacques, pour alerter sur les crises sociales, l'augmentation du coût de la vie et la réforme de l’octroi de mer. Confrontés à des réalités locales de plus en plus difficiles, ils plaident pour un soutien renforcé de l'État et une coopération étroite pour répondre aux enjeux immédiats et futurs de leurs populations.
Les maires en première ligne
Face à l'ampleur des crises sociales qui secouent l’outre-mer, les élus locaux se retrouvent en première ligne pour apaiser des tensions devenues explosives. Samuel Tavernier, maire du François en Martinique, déplore les émeutes, les pillages et les destructions qui laissent des centaines de familles dans la précarité, alors que les élus peinent à répondre aux attentes d'une population désabusée. Madi Madi Souf, président des maires de Mayotte, souligne que malgré l’envoi d'escadrons de gendarmes, l'insécurité demeure. Il critique une approche réactive de l'État, où seuls les blocages semblent attirer l’attention de Paris. Florence Rolland, maire de La Foa en Nouvelle-Calédonie, évoque la détérioration dramatique de la situation sociale, redoutant une « révolte de la faim » alors que plusieurs communes sont en faillite. Pour elle, retisser les liens communautaires et obtenir un soutien financier clair de l'État sont essentiels pour éviter un effondrement social. Enfin, Joël Balandraud, de l'AMF, appelle à renforcer la coopération entre élus locaux pour élaborer des solutions pérennes, insistant sur la nécessité de donner de la visibilité aux actions menées sur le terrain. Ensemble, ces élus plaident pour un accompagnement soutenu de l’État afin de prévenir de nouvelles flambées de violence et de redonner espoir aux citoyens ultramarins.
Vie chère : les élus dénoncent un modèle économique inadapté aux réalités locales
Les territoires d’outre-mer sont confrontés à un coût de la vie particulièrement élevé, impactant sévèrement les familles les plus précaires. Le prix des produits de première nécessité, de l’énergie, des logements et des transports reste hors de portée pour beaucoup, aggravé par des niveaux de vie bien inférieurs à ceux de la métropole. Les dispositifs comme le bouclier qualité-prix et les observatoires des prix, bien qu'utiles, ne suffisent plus. Les élus locaux appellent à des réformes plus ambitieuses et à une adaptation du cadre législatif pour des solutions pérennes.
C’est en ce sens que Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, pourfendeur des méthodes actuelles de modération des prix, inefficaces sur le long terme, car les distributeurs reprennent leurs marges dès la fin des accords, plaide pour un véritable encadrement des prix, inspiré des modèles de la Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française, avec un renforcement des autorités de régulation pour garantir une transparence totale. Ericka Bareigts, ancienne ministre des Outre-mer, maire de Saint-Denis de La Réunion, souligne le manque d’outils juridiques à disposition des maires pour lutter contre la vie chère. Selon elle, les élus locaux sont contraints d’utiliser leurs ressources pour aider les familles à survivre, au détriment d’autres investissements cruciaux comme l’éducation, la culture, et l’environnement. Elle déplore l’injustice que représente l'utilisation des impôts locaux pour pallier des problématiques sociales qui, selon elle, devraient être prises en charge par l’État. Didier Laguerre, maire de Fort-de-France, appelle à une refonte du modèle économique ultramarin, inadapté aux réalités locales. Il prône une relocalisation de la production pour réduire la dépendance aux importations qui alourdissent les coûts. Pour lui, il est urgent d'associer davantage les élus locaux aux décisions, car ils connaissent mieux les besoins de leurs populations. En Polynésie, Simplicio Lissant, maire de Punaauia, fait face à un défi unique : la dispersion géographique des îles augmente considérablement le coût du transport. Avec une vie plus chère de 35 à 50 % par rapport à l'hexagone, il milite pour un développement de l’autonomie alimentaire locale en renforçant l'agriculture et la pêche. Même si ces domaines ne relèvent pas de la compétence communale, les maires n'hésitent pas à agir en dehors des cadres légaux pour soutenir leurs administrés.
Réformer l’octroi de mer : un suicide financier pour les collectivités
L’octroi de mer, bien qu’essentiel au financement des services publics et à la protection des productions locales, suscite régulièrement des critiques pour son supposé impact sur la vie chère dans les territoires ultramarins. Cependant, de nombreux élus soulignent son rôle crucial dans le financement des collectivités locales, dont les ressources dépendent en grande partie de cette taxe.
La question de la vie chère dans les territoires ultramarins ne peut être réduite à celle des prix des produits de consommation. En effet, d'autres facteurs comme les coûts des services essentiels tels que les hôpitaux, les transports, et les infrastructures jouent un rôle clé. En 2022, l'INSEE a mis en lumière des écarts de prix significatifs avec l'Hexagone, atteignant +16 % pour les produits alimentaires et jusqu’à +42 % dans certaines régions d’outre-mer.
Pour Georges Patient, sénateur de Guyane, réformer l’octroi de mer serait un « suicide financier » pour les communes ultramarines, car il s’agit d’une source de revenus réguliers. Sophie Charles, maire de Saint-Laurent du Maroni, explique que cette taxe peut représenter entre 20 % et 70 % des recettes locales et qu’y toucher mettrait en péril le budget de nombreuses collectivités. Serge Hoareau, maire de Petite-Île à La Réunion, renforce ce point de vue en précisant que, pour sa commune de 12 700 habitants, l’octroi de mer constitue 40 % des 20 000 000 d’euros de recettes de fonctionnement, utilisées notamment pour les infrastructures et les services publics. Il estime que supprimer cette taxe sous prétexte de lutter contre la vie chère serait une illusion : « Faire porter la cherté de la vie sur l’octroi de mer, c’est enfumer nos populations », affirme-t-il.
Nadia Damardji, directrice d’étude et dirigeante d’Action Publique Conseil et en charge de l’étude sur l’octroi de mer commandé pae l ACCD'OM précise qu’il reste difficile d’évaluer précisément l’impact de l’octroi de mer sur ces prix. Selon les études disponibles, cette taxe n’expliquerait qu'un maximum de 9 % de l’augmentation des prix, bien inférieur aux marges ajoutées par les distributeurs. Ceci soulève un paradoxe : malgré la perception généralisée de son rôle dans la cherté de la vie, son effet direct semble relativement limité. Elle insiste sur l’important écart de revenus au sein des territoires ultramarins. Les prix sont souvent fixés en fonction des revenus plus élevés de ceux qui bénéficient de primes, au détriment des populations les plus précaires. Enfin, le traitement de l’octroi de mer pose également des questions juridiques et économiques. Actuellement, le législateur considère cette taxe comme un droit de douane. Une fois appliquée au port d’entrée, elle devient un prélèvement douanier plutôt qu’une simple taxe. Cette distinction entraîne des conséquences sur les marges et la taxation en aval, rendant encore plus complexe la transparence des prix pour les consommateurs. Une solution avancée est d’afficher cette taxe directement sur les factures, comme la TVA, afin d'éviter les marges cumulatives.
Malgré l'annonce faite ce matin par le ministre que la réforme de l’octroi de mer ne sera finalement pas mise en œuvre dès 2025, les élus ultramarins persistent à défendre ce dispositif essentiel. Pour eux, il ne s'agit pas de s'attaquer aveuglément à une taxe vitale pour le financement des collectivités locales, mais plutôt de démontrer son importance tout en cherchant à maîtriser son impact sur le coût de la vie. Plutôt que d'envisager une suppression brutale, les élus prônent une approche nuancée : améliorer la transparence, ajuster son application, et trouver un juste équilibre entre préservation des ressources des territoires et maîtrise des prix pour les consommateurs.