Le 106e Congrès des maires et des présidents d'intercommunalité de France, qui se déroule à Paris du 18 au 21 novembre 2023, réunit les élus des Outre-mer, et ouvert par David Lisnard, président de l’Association des Maires de France, avec la présence de François-Noël Buffet, ministre des Outre-mer. Il s'est ouvert sur les défis spécifiques auxquels sont confrontées les communes ultramarines. Durant cette première journée, le congrès se concentre notamment sur la gestion de la crise de l'eau et le combat contre la vie chère, des problématiques exacerbées par le changement climatique qui frappe durement ces territoires.
Dans son discours inaugural, David Lisnard, président de l'Association des Maires de France, AMF, a plaidé pour une approche plus technique et réaliste concernant l'octroi de mer, afin de stimuler la production locale et améliorer la logistique des approvisionnements tout en préservant le pouvoir d'achat des habitants. Il a insisté sur la nécessité de réinventer la confiance entre l'État et les collectivités locales et a rappelé le rôle essentiel des élus dans la modernisation de la performance publique. Selon David Lisnard, les Outre-mer sont une ressource précieuse pour la France et il est crucial d’accompagner leur développement pour assurer l’avenir de ces territoires.
Colère face aux promesses non tenues
Lors du congrès, les élus ultramarins ont exprimé leur frustration et leur impuissance face à l'inaction de l'État et la succession de plans nationaux inefficaces, qui n'ont apporté aucune solution concrète à leurs crises persistantes. Ils ont dénoncé un manque de volonté politique et d'investissements durables, maintenant leurs territoires dans une situation de crise chronique, particulièrement en matière de gestion de l'eau à Mayotte, en Martinique, en Guyane et à La Réunion. Les élus appellent à un changement de paradigme, réclamant un droit constitutionnel à l'eau et demandant que la solidarité nationale se traduise enfin par des actions tangibles pour répondre aux besoins urgents de leurs populations.
L'appel d'Estelle Youssouffa à « l'urgence de réponse face à la crise en Outre-mer»
Estelle Youssouffa, députée de Mayotte, a exprimé sa colère face à l’indifférence de l'État envers les besoins urgents des territoires d'Outre-mer : « Les Outre-mer sont à la marge de la République. Les crises successives imposent des choix que nous subissons depuis trop longtemps. Le manque d'investissements chroniques et les coupes budgétaires sont visibles au quotidien » a-t-elle déclaré. À titre d'exemple, elle a critiqué l'omission des Outre-mer dans le discours du ministre Christophe Béchu lors de la présentation du Plan national pour l'eau, qualifiant cette négligence de véritable mépris.
Elle a également précisé que « Les Outre-mer sont aux avants postes de crises qui touchent l’intégralité du pays et Paris ne doit plus détourner les yeux ». Enfin, elle a insisté sur l'urgence de répondre à la crise en Outre-mer avec des solutions systémiques, affirmant que « la France a rendez-vous avec l'histoire en Outre-mer, et il est impératif d'agir ».
Repenser la gestion de l'eau et adapter la législation
Face à la crise climatique, il est crucial de repenser la gouvernance, d'accélérer la modernisation et l'entretien des réseaux, de développer un modèle économique adapté aux besoins de la population, et d'ajuster la législation pour garantir un accès urgent à une eau de qualité. Parmi les solutions proposées, Estelle Youssouffa a plaidé pour l'instauration d'un droit opposable à l'eau, garantissant ainsi à chaque citoyen un accès équitable à cette ressource vitale. Elle a également exprimé des réserves concernant le projet de désalinisation à Mayotte, en raison des coûts élevés liés à des procédés énergivores et de l'impact environnemental négatif sur le lagon de l'île.
Les élus partagent également l'avis qu'il est nécessaire de revoir la législation pour faciliter notamment l'utilisation des eaux de pluie et encourager leur stockage pour une utilisation ménagère, un processus actuellement limité par des régulations inadaptées.
Investir durablement dans des solutions adaptées à chaque territoire
Les représentants des territoires ont plaidé pour des investissements à long terme afin de sortir de la dépendance aux mesures d’urgence. Parmi les solutions proposées :
Les élus de Guyane appellent à repenser la gouvernance pour accélérer la construction et l'entretien des infrastructures, en particulier les réseaux de distribution, afin de mieux s’adapter aux réalités locales.
Justin Pamphile, maire du Lorrain en Martinique signale que face au stress hydrique, la Martinique investit dans des technologies comme l'ultrafiltration au charbon actif qui retiennent notamment les métaux lourds, les pesticides, présents dans l'eau…, tout en cherchant à centraliser la gestion de l'eau pour une distribution plus équitable.
Sidoleine Papaya, maire de Salazie à La Réunion revient sur souligne la nécessité d’une solidarité régionale pour redistribuer les ressources vers les zones du sud et de l'ouest, tout en développant de nouveaux systèmes de captage.
Mayotte traverse une période de sécheresse prolongée, avec une situation vitale en urgence, selon Ibrahim Aboubacar, directeur général des Services du Syndicat Mixte d'Eau et d'Assainissement de Mayotte, récemment rebaptisé « Les Eaux de Mayotte ». Confrontée à une sécheresse chronique, l’île explore des solutions comme le forage, la construction de retenues collinaires, et le développement de projets de désalinisation. Toutefois, ces projets nécessitent d'importants investissements à long terme pour répondre à une croissance démographique rapide.
Prise de conscience nationale
Les élus des Outre-mer appellent à une prise de conscience immédiate de l'État face à la crise de l'eau qui affecte leurs territoires. Bien que les problèmes varient d'un territoire à l'autre, ils insistent sur la nécessité d’adopter des approches différenciées : des politiques communes mais des solutions adaptées à la réalité de chaque région.
À Mayotte, la saison des pluies a diminué, ne durant plus que trois mois au lieu de six, aggravant ainsi la sécheresse. Aux Antilles, le prix élevé de l'eau, avec un pack de six bouteilles pouvant atteindre 12 euros, pèse sur le pouvoir d'achat et la santé des habitants. La situation est d'autant plus préoccupante avec des problèmes de déforestation, des villages asphyxiés par le manque d'eau, une distribution inégale et une gestion de la ressource qui peine à suivre l’augmentation des besoins.
Jocelyn Sapotille, maire de Lamentin, rappelle que la gestion de l’eau relève des collectivités locales, mais que réussir cette mission sans un soutien financier et technique adéquat de l'État reste difficile. Il appelle à une réglementation spécifique, tenant compte des réalités locales, et à sortir des solutions génériques pour répondre efficacement à l'urgence de la raréfaction de l’eau.
François-Noël Buffet favorable à des réformes mesurées et adaptées
Lors de son intervention de clôture, le ministre des Outre-mer François-Noël Buffet a souligné la nécessité de clarifier la situation des Outre-mer. Bien qu’il existe des réussites, il a reconnu des échecs et des impacts souvent sous-estimés, notamment sur le coût de la vie. Selon lui, il est essentiel d’établir un état des lieux honnête, avec pour objectif un bilan clair d’ici le premier trimestre 2025. Le ministre a cité l'exemple de l'octroi de mer pour souligner la complexité des réformes. Bien que de nombreux appels à réformer ce dispositif se fassent entendre, il a insisté sur le fait que cet impôt joue un rôle crucial dans le soutien économique des collectivités locales, en particulier des communes. Avant d'envisager toute réforme, il est primordial de bien comprendre son fonctionnement et ses conséquences. C'est pourquoi la réforme de l'octroi de mer ne sera pas mise en œuvre dès 2025, afin de laisser le temps nécessaire à une réflexion approfondie.
François-Noël Buffet a également abordé l'importance des dispositifs comme les contrats de convergence territoriaux (CCT) et les contrats Corom, qui sont cruciaux pour financer les investissements et soutenir la commande publique. Il a insisté sur le maintien de l’engagement de l’État dans ces mécanismes. En ce qui concerne la fiscalité locale, il a mentionné un prélèvement prévu en 2025 sur les communes et collectivités locales dont les dépenses de fonctionnement dépassent 30 millions d’euros, mais a précisé que des discussions sont en cours pour exonérer certaines collectivités ultramarines en raison de leurs spécificités financières.
Le ministre a évoqué le débat sur la réforme institutionnelle, soulignant qu’une évolution n’était pas nécessairement la solution aux problèmes des territoires ultramarins. Il a plaidé en faveur de projets concrets et structurés, qui, si besoin, pourraient être accompagnés d’adaptations institutionnelles. La réforme doit ainsi être un moyen d’accompagner les projets, et non un objectif en soi.
Enfin, il a rappelé l’importance du rapport des experts Frédéric Montlouis Felicité et Pierre Egea, qui doit orienter les discussions sur la gestion des territoires ultramarins. Ce rapport est particulièrement attendu pour alimenter les débats et les décisions. Le ministre a également annoncé que le prochain Comité interministériel des Outre-mer (CIOM), prévu pour mars 2025, sera un moment clé pour structurer les projets à venir et engager des discussions avec les élus locaux. Concernant la situation budgétaire des Outre-mer, il a reconnu la complexité de la situation, soulignant que bien que l’État respecte ses engagements financiers, l’effort fiscal nécessaire doit rester soutenable pour éviter de lourdes charges fiscales, tout en permettant de mener à bien les politiques publiques.
EG