Cinéma - Jean-Claude Barny : «Fanon, un film tourné vers l'universel»

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Cinéma - Jean-Claude Barny : «Fanon, un film tourné vers l'universel»

Après s'être attaqué à la problématique de la vague migratoire des Antillais à travers le Bumidom dans son long-métrage «Le Gang des Antillais» en 2017, le cinéaste guadeloupéen Jean-Claude Barny est de retour avec un nouveau projet cinématographique « Fanon».  Cette fois, le réalisateur explore la vie du psychiatre martinico-algérien Frantz Fanon en abordant des thèmes comme l'aliénation, l'universalisme. Pour en savoir plus, La rédaction d'Outremers 360 s'est immiscée dans les coulisses du tournage au Luxembourg d'une équipe très internationale.


Dans un hangar de tournage situé dans la campagne luxembourgeoise de Kehlen, le temps s'est figé ! Plongé dans l'Algérie des années 60, un officier de l'armée francaise, le Capitaine Ferrère, questionne dans son bureau son sergent : «T'en penses quoi de ce Fanon? (...) C'est quelqu'un!, lui répond le Sergent Rolland avant de s'en aller. Et Coupez !, s'exclame Jean Claude Barny. Depuis quelques jours au Luxembourg, le réalisateur guadeloupéen tourne les scènes de son dernier long-métrage, sobrement intitulé « Fanon».   

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Une nouvelle œuvre cinématographique longuement réfléchie qui s'inscrit dans la continuité de la filmographie de Jean-Claude Barny. « Dans tous les projets filmiques que j'ai fait, Nèg Maron, Tropiques et Le gangs antillais, il y avait cette idée que Fanon devait arriver à un moment ou un autre. Je pense que j'ai attendu vraiment la maturité à la fois cinématographique et aussi d'avoir assez d'emprise sur mon cinéma pour pouvoir faire un projet de la taille de Frantz Fanon. Mais il est vrai que j'avais vraiment, depuis une petite dizaine d'années, envie de m'attaquer à ce personnage» nous confie Jean-Claude Barny. 

Si plus jeune, Jean-Claude Barny reconnaît avoir fait la connaissance de l'écrivain martiniquais à la lecture de son roman «Peaux noires, Masques Blancs», le réalisateur affirme avoir été séduit et intrigué par le psychiatre Fanon. «Ayant une mère infirmière en psychiatrie, je crois que c'est vraiment la partie médecin psychiatre qui m'a beaucoup plus intéressée, parce que j'étais frappé par ce concept de l'aliénation. Comment, nous Antillais, on est arrivé à un endroit où l'on nous demandait de nous aliéner, de nous déculturer et de nous assimiler. Je pense que Fanon a mis très tôt le doigt dessus sur le fait que l'assimilation, de se déculturer était quelque chose de très dangereux. Aujourd'hui, on est conscient des dégâts mais Fanon l'avait très tôt signalé! »


Aborder l'aliénation, l'univers de la psychiatrie sur grand écran est complexe, elle est d'autant plus compliquée quand s'ajoute la pensée de Fanon. « Il est vrai que la psychiatrie est quelque chose de délicat, d'informel, d'intérieur. Il fallait que l'image puisse à un moment surgir au-delà des mots. Nous avons vraiment pensé à explorer cette partie à travers des images oniriques mais à travers aussi la force salvatrice de la pensée de Fanon, afin que nous trouvons dans ce film cette intériorité».

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Afin d'exploiter cette intériorité dans les moindres détails, le réalisateur Jean-Claude Barny, n'a pas hésité à internationaliser son équipe, ses lieux de tournage face au manque de soutien de productions françaises entre 2019 et 2023. « Je pense que le travail que Sébastien Onomo a fait à travers ce film, est -comme il l'a fait pour Le Gang des  Antillais- de prouver une nouvelle fois que lorsqu'une porte se ferme, une fenêtre peut s'ouvrir, en allant chercher un financement qui n'était pas totalement français, mais plutôt européen. Le destin économique de ce « Fanon»,est que l'on ne sait  pas satisfait des petits deniers que l'on nous donnait en France, mais d'être beaucoup plus exigeants et d'aller chercher l'argent ailleurs, l'argent qui est nécessaire pour faire une production digne de Fanon».

L'équipe de tournage a ainsi posé son set de tournage en Tunisie, Luxembourg, prochainement la Martinique et ensuite le Canada pour la post-production. Une dimension internationale nécessaire selon Jean-Claude Barny. « Nous avons cette passion empirique de partager nos projets au plus grand nombre. La France, est pour moi aujourd'hui qu'un terrain de jeu sur lequel on s'est appuyé pendant très longtemps. Aujourd'hui, il y a d'autres forces, d'autres centres qui nous appellent : l'Europe, les États Unis, les Caraïbes. Nous avons vu les limites de faire des productions franco-caribéenne. Pour que nos cinémas se développent, il faut vraiment que nous pensions aller beaucoup plus loin surtout à l'heure du développement du streaming. Je pense que le cinéma caribéen a des jours beaucoup plus confortables,en termes de production et de financement, en se tournant vers le Luxembourg ou encore la Belgique, ou le Canada. De nouvelles portes s'ouvrent et c'est tant mieux ».  Cette internationalisation a aussi permis de faire connaître l'histoire de Fanon. «Dans ce projet, les personnes qui sont venues nous aider à faire ce film, qui n'avaient pas du tout entendu parler de Fanon sont devenus les premiers fans de ce personnage». 

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Et pour camper le rôle de Frantz Fanon, le réalisateur guadeloupéen a casté le comédien franco-camerounais Alexandre Bouyer et dont le  père est originaire de la Martinique. « Un film ne peut pas se faire sans avoir un vrai choix, une cohérence, une ligne artistique en termes de casting, de décors, des costumes, du stylisme. Pour moi, Fanon devait être quelque chose qui devait me séduire et qui ne devait pas faire débat. Alexandre Bouyer qui m'a époustouflé pendant les castings et par sa présence, par le travail fait pour incarner le personnage. Alexandre comme tous les acteurs qui l'ont accompagné n'ont fait que sublimer les images d'Ariel Metto, de tous les techniciens pour pouvoir donner à ce Fanon une vie sincère. On parle souvent de Fanon à travers ses écrits, mais il y a très peu de gens qui savent comment il respire, comment il a aimé, comment il réfléchissait.  Alexandre a su incarner toutes ces petites choses qui donnent aujourd'hui à Fanon une vraie existence. Je me suis beaucoup appuyé sur les documentaires, beaucoup appuyé sur les choses qui étaient déjà faites autour de Fanon pour comprendre, mais il me manquait toujours quelque chose de très organique. Et Alexandre a apporté ces choses organiques, cette démarche, ce regard, cette précision, cette voix».

«Un challenge de porter, d'incarner un homme aussi important pour l'Histoire»

«C'est un écrivain que j'aime beaucoup et que j'ai découvert très récemment grâce à Jean-Claude Barny. J'ai lu ses œuvres, j'ai eu vent de ses traces, j'ai découvert son combat et tout de suite, j'ai eu envie d'incarner le personnage. Attention, j'ai eu peur de l'incarner, parce que c'est quand même un grand rôle. C'est un rôle qui représente beaucoup pour toute une génération et pour un continent. Il y a quand même une responsabilité qui est assez lourde, qui me faisait un tout petit peu peur, mais très vite, j'ai pu me ressaisir. C'était surtout ce challenge, le fait d'avoir ce poids là sur les épaules, de porter un homme aussi costaud, aussi important pour l'histoire qui m'excitait le plus.», nous confie Alexandre Bouyer.

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Un film «universel»

«C'est un film qui est tourné vers l'universel et pas au sens négatif, mais qui partage une histoire propre de notre communauté à tout le monde, à tous ceux qui ont envie de comprendre aussi où on en est aujourd'hui. Il y a le discours de l'aliénation, il y a le discours de l'intégration et ces deux discours se frottent. A un moment, il faut qu'on prenne la juste mesure de ce qu'on ne veut pas. Pour ma part je ne veux pas d'aliénation, je veux une intégration, et une intégration qui ne déculture pas. Ce film est un projet qui permet à d'autres de réfléchir pourquoi on ne veut pas cette chose-là. On a très peu des fois le débat sur des plateaux télé. On est rarement invités à des discussions. On est exclu totalement de toute discussion sociologique. Il nous reste quand même des fois la culture, la musique et souvent, les écrits, mais le cinéma a aussi quelque chose à dire ! En tant que cinéaste, on déploie un projet qui s'appelle Fanon pour aussi parler de notre époque et dire comment nous avons envie d'avancer» conclut Jean-Claude Barny. 

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Pour en savoir plus :

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