Le 6 décembre prochain sera célébré le 60ème anniversaire de la mort de Frantz Fanon. Penseur martiniquais et surtout grande figure de l'anticolonialisme et de l'antiracisme, en dépit de sa courte existence, Frantz Fanon aura marqué son époque et reste encore aujourd'hui, grâce à son oeuvre intellectuelle et littéraire, une référence pour tous ceux épris de justice, de liberté et d'émancipation. Hommage.
Est-ce la courte existence du penseur martiniquais, mort à 36 ans, qui a favorisé ce destin si particulier et ce parcours si exceptionnel ? Rien n'est moins sûr. Mais reste que Frantz Fanon aura eu mille vies en une. Une vie trépidante et riche qui l'a amené à faire la guerre avant même de finir ses études et d'exercer le métier qu'il avait choisi. Un métier de médecin-psychiatre qu'il ira pratiquer en Algérie, s'engageant au passage dans le processus de décolonisation entrepris par ce pays.
Très tôt en effet, Frantz Fanon né en 1925 à Fort-de-France, en Martinique et issu d'une fratrie de 8 enfants, est habité par un idéal de justice et de liberté. Des valeurs qui font cruellement défaut à cette époque. Cet idéal le poussera à rallier en 1943 l'armée française de libération et à combattre sous les ordres du général de Lattre de Tassigny. Une guerre au cours de laquelle il sera blessé dans les Vosges. Mais son idéal de justice et de liberté se heurtera assez vite à sa confrontation avec la discrimination ethnique et le racisme.
Après un passage en Martinique où il passera son baccalauréat et s'engagera aux côtés d'Aimé Césaire alors candidat aux législatives de Fort-de-France en 1945, il part poursuivre ses études de médecine à l'université de Lyon. Devenu médecin-psychiatre en 1951, il fera son apprentissage dans un hôpital en Lozère où il rencontre le psychiatre François Tosquelles. Une rencontre déterminante pour Frantz Fanon conforté alors dans ses thèses qui considèrent que l'aliénation prend sa source dans l'histoire et que par conséquent les troubles psychologiques des minorités et des colonisés sont les résultats des traumatismes coloniaux subis. A partir de ces constats et instruit de sa propre expérience de noir minoritaire au sein de la société française, il publie "Peau noire, masques blancs", un pamphlet contre le racisme qui sera mal perçu à sa sortie.
Engagement en faveur de la résistance nationaliste algérienne
Mais Frantz Fanon n'en a cure, à sa demande il sera envoyé en Algérie en tant que médecin-chef où, au grand dam de ses collègues français, il expérimentera des méthodes modernes de psychiatrie adaptées à la culture et au vécu des Algériens avec une volonté de désaliéner et de décoloniser le milieu psychiatrique algérien. Ce travail de désaliénation et de déculturation ne se limitera pas seulement au niveau psychiatrique puisque Fanon prenant fait et cause pour la lutte des Algériens contre le colonialisme français s'engagera aux côtés de la résistance nationaliste.

En rupture de ban avec la France, il remet sa démission de médecin-chef de l'hôpital Blida-Joinville où il exerçait depuis son arrivée en Algérie. Un an plus tard, il est expulsé d'Algérie. Il renonce alors à sa nationalité française et part rejoindre le FLN à Tunis. Plus tard, en 1960, il sera nommé ambassadeur du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Entretemps, il publiera "l'An V de la révolution algérienne" aux éditions François Maspéro.
Les "Damnés de la Terre", source d'inspiration pour les mouvements de libération nationale
Mais sa grande oeuvre sera son manifeste anticolonialiste et tiers-mondiste "Les Damnés de la Terre" qui aura inspiré de nombreux mouvements de libération nationale à travers le monde. Un manifeste préfacé par le philosophe Jean-Paul Sartre que Fanon rencontrera à Rome en 1961 peu avant sa mort. Une rencontre qui bouleversera les deux hommes.
Frantz Fanon décède quelques mois plus tard le 6 décembre 1961, avant la proclamation de l'indépendance de l'Algérie pour laquelle il s'était tant engagé. Il avait 36 ans. Selon ses voeux, il sera inhumé en terre algérienne où aujourd'hui encore son héritage philosophique et politique reste encore très vivace comme d'ailleurs en Martinique, son pays natal, où un mémorial et une avenue soulignent sa stature de héros martiniquais.
En France hexagonale, la pensée de Fanon fait toujours débat à cause de ses prises de positions supposées subversives notamment dans les milieux d'extrême droite. Mais, en dépit de ces exceptions, ses thèses trouvent encore de nos jours un certain écho et il reste aux yeux de beaucoup à travers le monde comme le chantre de l'anticolonialisme et une figure majeure de l'antiracisme. Une reconnaissance ô combien légitime pour celui dont le seul devoir est de "ne pas renier sa liberté au travers de [ses choix]."
E.B.