Le Premier ministre François Bayrou a présidé, ce samedi devant la sculpture « Mémoires » à Brest, la cérémonie officielle de la Journée des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition. Il était accompagné par le président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, Jean-Marc Ayrault, le maire du chef-lieu du Finistère, François Cuillandre, et le concepteur de sculpture Max Relouzat.
« L'histoire que cette statue (« Mémoires », ndlr) nous raconte, c'est celle de millions d'hommes, de garçons, d'adultes, de femmes et de jeunes filles pour qui l'Océan signifia la perte de leur liberté, de leur identité et leur réduction à l'esclavage », a rappelé le Premier ministre dans son discours.
« En ce 10 mai (…), c'est à ces hommes, à ces enfants, que nous rendons hommage, et spécialement à ces femmes qui ont porté le combat. Et en regardant (…) cette magnifique œuvre, j'ai observé qu'il y avait deux visages, un visage masculin tourné vers l'océan et un visage féminin tourné vers nous », a-t-il ajouté. « Cette sculpture nous invite à nous mettre à l'écoute de notre histoire. Pas seulement l'histoire des esclaves et de ceux qui portent la responsabilité de leur sort si malheureux, mais notre histoire ».
En tout, a-t-il listé, « 3 321 expéditions négrières partirent de nos côtes » dont « 7 navires prirent le départ depuis le port de Brest ». Et durant toute cette « histoire monstrueuse », « environ 4 millions de femmes, d’hommes et d’enfants ont connu l’esclavage de 1625 à 1848 dans les colonies françaises, la moitié née en Afrique, l’autre dans les colonies. 4 millions de femmes, d’hommes et d’enfants victimes d’un crime contre l’humanité », a souligné le chef du gouvernement, citant ceux qui décédaient durant la traversée, d’autres deux ans après leurs arrivées dans les colonies.
« Ceux qui survivaient, dans un contexte de promiscuité, d'insalubrité et de morbidité, réussirent cependant à surmonter tant ils avaient de vitalité pour développer une culture originale caractérisée par une langue originale, des croyances, des traditions, des rites festifs nouveaux » a rappelé François Bayrou, rendant hommage aussi à ceux qui dirent « non », de Solitude à Victor Schœlcher, en passant par Claire en Guyane, Héva à La Réunion, Toussaint Louverture, Jean-Baptiste Belley, ou encore Félicité de Lamennais.
« Car les esclaves ne se sont pas tus » et « à la voix des esclaves révoltés, se sont jointes celles des « libres de couleur » c’est-à-dire des affranchis et descendants d’affranchis, des blancs, des intellectuels engagés, des philanthropes décidés ». « Nous ne devons pas nous taire » a insisté le chef du gouvernement, appelant à connaître l’Histoire, savoir, « nommer, chiffrer, analyser cette réalité ».
Saluant le travail entrepris par la Fondation pour la mémoire de l’esclavage et de son président Jean-Marc Ayrault, François Bayrou a rappelé qu’un « label va prochainement être créé, afin de rassembler tous ces lieux de mémoires de l’esclavage : les lieux de l’esclavage en tant que tel, principalement dans les outre-mer, et les lieux évoquant les combats pour l’abolition, partout sur le territoire. Par exemple, à Fessenheim, ville de la famille de Victor Schœlcher ». Une annonce déjà faite l’an dernier par Gabriel Attal.
D’autres lieux doivent encore voir le jour, comme le mémorial des victimes de l’esclavage au Trocadéro à Paris, a aussi rappelé le Premier ministre. « Plusieurs expositions se tiendront l’an prochain, à l’occasion des 25 ans de la loi du 10 mai 2001 portée par Christiane Taubira, qui a reconnu la traite et l'esclavage comme des crimes contre l'humanité », a-t-il ajouté.
En cette année marquant le bicentenaire de la reconnaissance de l’indépendance d’Haïti par le roi Charles X, reconnaissance s’accompagnant d’une « très lourde indemnité financière », François Bayrou a rappelé la place de Brest, d’où transitaient les pièces d’or servant à régler cette « double dette » d’Haïti à la France, et salué la commission mixte d’historiens franco-haïtiens chargés d’examiner ce passé commun, annoncé le 17 avril dernier par Emmanuel Macron.
« La France se tient aux côtés de Haïti, particulièrement en ces temps difficiles où le peuple haïtien se retrouve victime des agissements inhumains des gangs » a déclaré François Bayrou qui estime que « cette démarche engagée à Haïti illustre, je crois, le juste rapport que nous devons avoir avec notre passé : un rapport lucide, fondé sur la vérité, qui vise à resserrer les liens entre les vivants ».
« Pendant des siècles, des navires militaires et marchands ont fait la liaison entre Brest et le Nouveau Monde, transportant des soldats, des colons, mais aussi des esclaves. Certains furent enfermés dans le « dépôt de Noirs » de la ville de Brest », ancien centre de rétention, a rappelé, dans son discours, Jean-Marc Ayrault. Il a aussi rappelé que c’est à Brest que Toussaint Louverture, héros de la révolution d’Haïti, arriva dans l’Hexagone, « trahi et déporté par Napoléon Bonaparte ».
Pour l’ancien Premier ministre, cette cérémonie sous la sculpture « Mémoires » de Brest, outre l’esclavage, appelle « d’autres mémoires » : « celles des quatre siècles d’histoire de la France outre-mer, qui après l’esclavage et la colonisation s’est poursuivie dans les promesses de la départementalisation de 1946, dans les exils des années BUMIDOM, et jusqu’à nos jours où la demande d’égalité des outre-mer est plus pressante que jamais ».
Jean-Marc Ayrault a également appelé la Caisse des Dépôts et des Consignations, chargée de récupérer la dette haïtienne à Brest, s’implique dans les efforts des collectivités locales qui s’inscrivent dans un mouvement de mémoire. « La CDC a des liens avec cette histoire (…), et elle est le partenaire naturel des élus pour le développement de leurs territoires : il y a donc là à la fois une raison historique, et une logique institutionnelle » a-t-il déclaré, annonçant avoir fait une demande en ce sens au directeur de l’organisme public.
« La mémoire qui nous réunit aujourd’hui n’est ni une nostalgie mal placée, ni la déploration stérile d’un passé qu’on ne peut pas changer. C’est la conscience vive des combats qui ont nourri nos principes, et c’est la volonté pour notre pays d’être à la hauteur de ces principes dans ses relations avec le monde » a insisté l’ancien Premier ministre, pour qui « la France a plus que jamais besoin de ces moments et de ces lieux de mémoire et de communion, parce qu’ils nous rappellent ce que nous sommes, une Nation de liberté, un pays de diversité présent sur cinq continents, une République sociale et solidaire, où l’égalité n’est jamais un vain mot ».
Le Martiniquais Max Relouzat, concepteur de la sculpture « Mémoires », a lui appelé les jeunes générations à « regarder l'histoire en face pour mieux construire l'avenir ensemble ». « Ce monument doit donc servir de moteur pour aller de l'avant et pas seulement créer le souvenir pour donner bonne conscience. Cette sculpture est aussi un haut lieu de vivre ensemble. Il faut qu'elle serve aux générations futures. Ici commence le chemin pour une humanité nouvelle ».