Haïti : Emmanuel Macron annonce une « commission mixte franco-haïtienne », « travail mémoriel commun » pour réparer « la force injuste de l’Histoire »

©Élysée

Haïti : Emmanuel Macron annonce une « commission mixte franco-haïtienne », « travail mémoriel commun » pour réparer « la force injuste de l’Histoire »

Alors que ce 17 avril marque le bicentenaire de l’indépendance d’Haïti, Emmanuel Macron a annoncé dans un communiqué la création d’une « commission mixte franco-haïtienne », composée d’historiens des deux pays chargés d’examiner « deux siècles d’histoire, y compris l’impact de l’indemnité de 1825 sur Haïti » pour « construire un avenir plus apaisé » entre les deux pays.

« En ce jour symbolique, j’entends qu’il soit institué une commission mixte franco-haïtienne chargée d’examiner notre passé commun et d’en éclairer toutes les dimensions » a annoncé le chef de l’État dans un communiqué, ce jeudi 17 avril. La semaine dernière déjà, le gouvernement évoquait « des initiatives » en ce sens et mardi, l’Élysée précisait un travail mémoriel sur la « dette haïtienne », imposée en 1825 par le roi Charles X, alors que le pays avait arraché son indépendance à l’issue d’une expédition militaire napoléonienne infructueuse en 1804. 

« Il nous faut, ici comme ailleurs, regarder cette Histoire en face. Avec lucidité, courage et vérité. Haïti, est né d’une révolution, fidèle à l’esprit de 1789, qui affirmait avec éclat les principes universels de Liberté, d’Égalité et Fraternité. Ce combat d’Haïti, en harmonie avec les idéaux de la Révolution française, aurait dû offrir à la France et Haïti l’opportunité de faire chemin commun. Mais les forces en mouvement de la contre-révolution depuis 1814, la restauration des Bourbons et de la monarchie ont décidé autrement de l’écriture de l’Histoire » écrit le chef de l’État.

Emmanuel Macron pointe aussi cette dette, « lourde charge », 150 millions de francs-or destinés aux anciens propriétaires d'esclaves, « dont le paiement allait s’étaler sur des décennies ». « Cette décision plaçait alors un prix sur la liberté d’une jeune Nation, qui était ainsi confrontée, dès sa constitution, à la force injuste de l’Histoire » ajoute-t-il. Les nouvelles autorités de Haïti acceptèrent cette dette sous la menace des canons de la flotte française et d’un blocus total, soutenu par d’autres nations occidentales.

Incapable d’honorer cette somme, l’île est obligée d’emprunter à la France dans des montages financiers complexes et opaques. En 1838, le roi Louis-Philippe 1er ramène la dette à 90 millions mais Haïti ne finira de rembourser les intérêts qu’en 1952. « Reconnaître la vérité de l’Histoire, c’est refuser l’oubli et l’effacement. C’est aussi, pour la France, assumer sa part de vérité dans la construction de la mémoire, douloureuse pour Haïti, qui s’est initiée en 1825 ».

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Le président de la République assure que cette démarche mémorielle, censée faire ressurgir « la vérité de l’Histoire », « ne doit pas constituer de fracture » mais « au contraire d’être ce pont qui permet d’unir ce qui est épars », et souhaite « dans cet esprit et dans ce but, (…) ouvrir tous les espaces de dialogue et de compréhension mutuelle ».

La commission mixte franco-haïtienne sera plus précisément chargée « d’examiner notre passé commun et d’en éclairer toutes les dimensions ». « Une fois ce travail nécessaire et indispensable accompli, cette commission proposera aux deux gouvernements des recommandations afin d’en tirer les enseignements et construire un avenir plus apaisé ».

Composée d’historiens de France et d’Haïti, elle devra aussi « explorer deux siècles d’histoire, y compris l’impact de l’indemnité de 1825 sur Haïti, d’analyser les représentations et les mémoires croisées de cet épisode entre nos deux pays, et d’aborder les développements de la relation franco-haïtienne au XXème siècle ». Elle sera co-présidée par Yves Saint-Geours et Gusti-Klara Gaillard Pourchet.

« Son travail devra s’inscrire dans une démarche historique de dialogue et d’action. Nous devons penser ensemble les moyens de mieux transmettre cette histoire dans nos deux pays, renforcer la coopération éducative et culturelle, et bâtir une relation renouvelée entre la France et Haïti, fondée sur l’écoute, le respect et la solidarité » ajoute le chef de l’État. « La France est aux côtés d’Haïti face aux multiples défis du temps présent » assure encore Emmanuel Macron, alors que l’île est secouée depuis plusieurs années par une crise sécuritaire sans précédent.

En juillet 2021, le président Jovenel Moïse a été assassiné dans sa résidence privée. Son successeur, l’ancien Premier ministre Ariel Henry, a dû ensuite démissionner de la présidence haïtienne sous la pression des gangs qui ont pris le contrôle de l’île, moyennant enlèvements et assassinats. En 2024, plus de 5 600 personnes ont été tuées par ces gangs et ce, malgré la mise en place d’une mission multinationale de sécurité et du Conseil de transition sous l’égide de l’ONU.

Emmanuel Macron soutiendra « les initiatives en faveur de la sécurité - la priorité absolue à l’heure actuelle - du rétablissement de la justice et de la démocratie, de l’éducation et de la santé, mais aussi du patrimoine et de la culture. Comme la Communauté des Caraïbes et les États-Unis, la France condamne fermement toute tentative de déstabilisation des autorités de transition ».

« Notre dialogue doit être libre, ouvert, sincère et tourné vers l’avenir. C’est dans cet esprit que nous lançons aujourd’hui ce travail mémoriel commun. La mémoire n’est pas une charge qui obscurcit les consciences, mais une force qui éclaire les esprits. La reconnaissance de la vérité de l’Histoire offre aux Nations la chance exceptionnelle de bâtir un avenir commun » a conclu le chef de l’État.

Interrogé ce jeudi matin sur franceinfo, l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage, avait appelé l’État à prendre la tête « d’une coalition de l’espoir ». « Il faut qu'il y ait un geste. Ce geste doit d'abord être un geste de réparation mémorielle parce que cette dette a été payée par les paysans Haïtiens » a estimé Jean-Marc Ayrault, qui estime toutefois encore trop tôt pour évoquer une réparation financière.

« Cette déclaration du président de la République n'est pas la fin de l'histoire. C'est le début d'une nouvelle ère, d'une nouvelle étape qui bien évidemment doit être suivie d'autres. Mais le premier travail qu'il faut faire, c'est un travail de mémoire, de recherches avec peut-être la mise en place d'une commission avec des chercheurs français et haïtiens pour ensuite poser les jalons de ce que pourra être un nouveau départ pour Haïti » a-t-il ajouté.