Avec cette nouvelle Histoire d’outre-mer, le groupe SUEZ nous fait redécouvrir l’engagement des aviateurs de l’escadrille La Fayette avec les interviews de Philip Schyle, maire de Arue, où vécut James Norman Hall, et de Christiane Barody Weiss, maire de Marnes-la-Coquette qui accueille le mémorial de l’escadrille La Fayette.
Tavana (maire) Philip Schyle, vous êtes maire de Arue. Votre commune abrite la maison où James Norman Hall a vécu et écrit avec Charles Bernard Nordhoff la trilogie des Révoltés de la Bounty. Mais qui était cet Américain qui, pendant la Grande Guerre, a servi dans l’escadrille La Fayette ?
James Norman Hall est né à Colfax dans l’Iowa aux États-Unis, le 22 avril 1887. Héros de la Première Guerre mondiale, il s’enrôla tout d’abord dans l’armée britannique, avant de rejoindre les volontaires américains dans l’escadrille La Fayette. En 1918, son avion est abattu au combat. James Norman Hall est retenu prisonnier en Allemagne jusqu’à l’Armistice. Après la guerre, il écrivit avec Charles Bernard Nordhoff l’histoire de cette fameuse escadrille. Ce livre marqua le début de leur collaboration, qui les amena à venir s’installer en Polynésie en 1920.
Ils connurent ensuite dans les années 30 un succès éclatant grâce à leur roman « Les révoltés de la Bounty », qui fut le premier ouvrage de la trilogie de la Bounty. Ce roman fut adapté au cinéma en 1935 par Franck Lloyd et reçut l’Oscar du meilleur film en 1936 avec Clark Gable dans le rôle de Fletcher Christian. Ce rôle fut repris plusieurs années plus tard en 1962 par Marlon Brando dans « Les révoltés du Bounty ». James Norman Hall épousa une Polynésienne, Sarah Winchester, en 1925, dont il eut deux enfants, Conrad Hall et Nancy Hall-Rutgers. Cette dernière s’occupe toujours aujourd’hui du musée « James Norman Hall », installé dans l’ancienne demeure de son père à Arue. James Norman Hall mourut en 1951. Il est enterré aux côtés de sa femme, disparue en 1985, sur la colline derrière le musée qui porte son nom.
Un musée qui fait partie intégrante du patrimoine de la Polynésie française
L’histoire de la demeure de James Norman Hall devenue musée n’a pas été un long fleuve tranquille. C’est en 1991 que la Polynésie acquiert la maison de l’écrivain américain. Après avoir été affectée à la commune, puis à une fédération artisanale, la maison et son jardin sont classés monument historique le 20 juillet 1993, à la demande des descendants de l’écrivain et de la municipalité. Afin que la maison soit davantage valorisée, la famille Hall-Rutgers usa de son influence et d’un lobbying efficace, qui se sont traduits par l’adoption en mars 1994 par le Congrès américain d’une résolution honorant James Norman Hall et reconnaissant sa contribution aux USA et au Pacifique Sud.
Mais, faute de gestion et d’entretien, la maison de l’illustre écrivain s’est délabrée et s’est même retrouvée, un temps, livrée aux mains de squatteurs. Il faudra toute l’opiniâtreté des héritiers Hall, la persévérance de la municipalité, la volonté de plusieurs ministres de la Culture et le soutien financier significatif de l’État pour que cette maison soit finalement reconstruite à l’identique et son jardin restauré. Confiée à la gestion de l’Association des amis du musée James Norman Hall, elle a pu être enfin inaugurée le 17 janvier 2002 pour devenir un musée.
En 2018, le ministère du Tourisme et la commune de Arue ont de nouveau soutenu financièrement l’association, en lui permettant la réalisation d’aménagements complémentaires pour améliorer l’accueil des nombreux visiteurs. Le musée James Norman Hall fait aujourd’hui partie intégrante du patrimoine historique et culturel de la Polynésie.
Que peut-on découvrir lors de la visite du musée ?
Les visiteurs sont tout d’abord surpris par le cadre du jardin, puis par l’authenticité de la maison. Aussitôt franchi le seuil de la demeure en bois, leur regard est captivé par l’aménagement intérieur plutôt simple, par le mobilier en bon état, les objets toujours bien conservés, les gravures et photos qui tapissent les murs. Au fur et à mesure qu’ils progressent par le couloir, dans la salle à manger, le salon et les chambres, les visiteurs s’imprègnent petit à petit des facettes complexes de l’histoire de James Norman Hall. Ils découvrent alors de nombreuses illustrations ou objets personnels du pilote de chasse, héros maintes fois récompensé pour sa bravoure au combat pendant la Grande Guerre, de l’aventurier, de l’écrivain, poète, romancier et essayiste, qui a favorisé la création et le développement du mythe de Tahiti, ainsi que de sa famille tahitienne.
Vous avez été professeur d’histoire et de géographie, passionné par l’histoire des anciens et soucieux de préserver ce lien avec les matahiapo (anciens, personnes âgées). Pourquoi est-ce important de transmettre la mémoire ?
J’estime tout d’abord qu’il est du devoir de chacun d’avoir de la reconnaissance à l’égard des anciens qui nous ont précédé et qui ont posé les premières pierres de ce qui est devenu notre vie aujourd’hui et qui deviendra demain l’histoire de nos propres enfants. C’est donc par gratitude, par respect et souvent par admiration, que je visite régulièrement nos personnes âgées dans la commune. C’est aussi parce qu’elles sont de plus en plus nombreuses et que je souhaite qu’elles vieillissent bien, que j’ai demandé à notre service de l’action sociale d’organiser un programme d’actions annuel en leur faveur.
Ainsi par exemple, un livret rétrospectif est-il en préparation, qui retracera la vie d’une dizaine de personnalités âgées de la commune. Le musée « James Norman Hall » contribue à cette reconnaissance à l’égard des anciens. Il participe en effet à la transmission de la mémoire, ainsi qu’à véhiculer aux générations qui le visitent – surtout aux plus jeunes –, les valeurs de courage, d’abnégation, d’amour de la patrie et aussi le goût de l’écriture.
Dans votre commune vit également un grand Résistant, Yves Degout, dont le père, Noël, s’est vu décerner en 2011 la reconnaissance de « Juste parmi les nations » par l’institut Yad Vashem de Jérusalem. Parlez-nous de lui.
Les Polynésiens connaissent tous l’agence immobilière Degout, ou du moins en ont-ils entendu parler. Elle a été créée par Yves Degout avec Johnny Tefaatau en 1979. Elle est toujours en activité. Yves Degout est en Polynésie française depuis 1956. Il a d’abord été gendarme plus de vingt années durant, à la brigade de Papeete, au haut-commissariat, en passant par la brigade de Raiatea. Yves Degout est entré dans la gendarmerie en août 1946. Il a mené des missions au Togo, en Côte d’Ivoire, en Indre et- Loire, avant de poser ses valises à Tahiti, en mars 1956. Yves a pris sa retraite en 1978. Mais, ayant toujours été un homme très actif, de fil en aiguille, il finit par reconvertir sa buanderie en bureau d’agence immobilière. Le succès est arrivé très vite. L’âge venant, il a bien fallu se résoudre à passer la main.
Mais, par passion, Yves Degout a continué encore à travailler jusqu’en 2008, où on lui demandait encore des expertises. En tout et pour tout, il aura travaillé durant 62 ans, dont 52 pour la Polynésie. Mais si l’homme a réussi en Polynésie, sa jeunesse a été en revanche beaucoup plus tourmentée. Pour ma part, je n’ai découvert cette facette de sa vie que très récemment, tant il a toujours été d’une très grande discrétion sur le sujet. Né le 20 août 1924, Yves Degout a vécu toute son enfance chez ses parents qui tenaient une exploitation à Dienne, dans la Vienne, près de la ligne de démarcation. Son père est l’un des Justes dont l’action a été saluée au plus haut niveau de la France.
Pendant toute la Seconde Guerre mondiale, il s’est en effet consacré à faire passer en zone libre des évadés, des familles juives, etc. Yves a également été mis à contribution. Mais la famille a fini par être dénoncée. Son père a passé trois mois dans les geôles de la Gestapo à Poitiers. Yves y a aussi été enfermé pendant six semaines, où l’un comme l’autre, ont subi des interrogatoires « musclés ». S’ils ont finalement été remis en liberté, l’un des frères d’Yves en revanche a connu un sort plus funeste. Il a été déporté en Allemagne où il décéda.
Loin de freiner son patriotisme, cet épisode traumatisant incita Yves à s’engager contre l’occupant en septembre 1944 ; il venait d’avoir 20 ans. Pendant de nombreux mois, il a été en charge du ravitaillement des maquisards. Il finit par être démobilisé en novembre 1945. En août 1946, il s’engagea dans la gendarmerie, pour arriver en Polynésie 10 ans plus tard.
Arue, une ville d’histoire
« Arue i te arii », c’est en ces termes que la population avait pris l’habitude de saluer son roi Pomare 1er. C’est ainsi que « Arue », qui signifie « louange » en tahitien, est devenue le nom usuel de notre commune. Arue était une chefferie sur laquelle régnait la dynastie des Pomare. De par sa situation géographique privilégiée face à l’entrée de la baie de Matavai, Arue a été une terre d’accueil pour les navigateurs et les missionnaires européens. C’est dans cette baie que sont ainsi venus accoster le découvreur de Tahiti, Samuel Wallis, en 1767, Louis-Antoine de Bougainville en 1768 et le célèbre navigateur anglais James Cook en 1769.
Arue est également un haut lieu de l’histoire religieuse de la Polynésie. Le roi Pomare II y fut baptisé par le pasteur Henri Nott, de la London Missionnary Society. Il devint ainsi le premier monarque chrétien de Polynésie et contribua à l’évangélisation des Polynésiens. Tous les rois ayant marqué l’histoire de Arue et de la Polynésie reposent dans la nécropole de la famille Pomare. Le dernier roi de Tahiti, Pomare V, est quant à lui inhumé à l’intérieur d’un mausolée connu sous le nom de « Tombeau du roi » à la pointe Outu’ai’ai. L’histoire de Arue fut aussi marquée par l’arrivée de la Bounty en 1787 et son retour en 1792 sous le commandement de William Bligh, revenu à Tahiti chercher des arbres à pain pour les transplanter aux Antilles.
168 ans plus tard, une réplique de la Bounty a rapporté un rejet de ces arbres à sa terre d’origine. L’histoire de la fameuse Bounty et de ses mutins est encore attachée à la commune de Arue, puisque l’acteur américain Marlon Brando, qui incarna Christian Fletcher dans le film, fit l’acquisition de l’atoll de Tetiaroa, situé sur le territoire de Arue. Enfin, concernant le bâtiment de l’hôtel de ville, la commune a fait son acquisition en 1978 et l’a inauguré en 1979, en présence du président de la République Valéry Giscard d’Estaing.
Ce bâtiment est une ancienne demeure coloniale, construite en 1892 et appelée « la Saintonge » par son propriétaire originel, Victor Raoulx, un commerçant, premier adjoint au maire de Papeete, né sur l’île d’Oléron en Charente-Maritime. La Saintonge a vu par la suite se succéder d’autres propriétaires, illustres notables de l’île : notamment Hippolyte Malardé, qui a été maire de Papeete, et Marcel Krainer, qui a été consul d’Autriche. Cette bâtisse est aujourd’hui une des plus anciennes maisons coloniales en bois de Polynésie.
L’escadrille La Fayette : De Verdun à Marnes-La-Coquette
Inauguré le 4 juillet 1928, le mémorial La Fayette de Marnes-la-Coquette honore le service et le sacrifice des aviateurs américains volontaires de l’escadrille La Fayette. Rencontre avec la maire de Marnes-la-Coquette, Mme Christiane Barody Weiss.
Édifié en 1928 sur notre commune, le mémorial de l’escadrille rend hommage aux aviateurs américains qui ont servi aux côtés des forces françaises avant l’entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale et après. Dès la fin de la Grande Guerre, une souscription internationale est lancée à l’initiative d’Edgar Guerard Hamilton, pilote américain du La Fayette Flying Corps, pour construire un mémorial. L’État français fait don d’un terrain de quatre hectares dans le parc de Saint-Cloud, sur la commune de Marnes-la-Coquette. Achevé en 1928, le mémorial est constitué d’un arc de triomphe flanqué de portiques donnant accès à la crypte souterraine. Sur les 269pilotes américains engagés, 68 d’entre eux – morts pendant la guerre ou des suites de leurs blessures – reposent dans la crypte, aux côtés de deux de leurs commandants français, le général Brocard et le lieutenant-colonel Thénault.
En 1930 est créée une fondation franco-américaine pour gérer le mémorial. Son objectif : garder vivant dans le cœur des hommes l’idéal qui inspira les pilotes de l’escadrille et rendre hommage aux Américains qui se portèrent volontaires pour servir la cause de la Liberté sous le drapeau français avant que leur pays n’entre en guerre. Depuis le 9 janvier 2019, le monument de l’escadrille La Fayette est géré par l’American Battle Monuments Commission (ABMC), comme le cimetière américain de Suresnes, en liaison avec l’association des amis du mémorial de l’escadrille La Fayette ». Chaque 11 novembre, chaque Memorial Day, une cérémonie est organisée au cours de laquelle madame le maire ne manque jamais de rappeler que « nous devons notre Liberté à l’engagement de ces valeureux soldats ». En ce 11 novembre 2019, Keith Stadler, surintendant des cimetières américains de Marnes-la- Coquette et de Suresnes a inauguré un centre d’accueil pour les visiteurs du mémorial.
Encadré :
Avec cette 13ème Histoire d’outre-mer, le groupe SUEZ poursuit son initiative originale pour mieux faire connaître l’histoire de nos outre-mer.
Par Titania Redon, directrice de la communication outre-mer du Groupe.
« Tahitienne, je suis descendante de 2 anciens combattants du Premier Bataillon du Pacifique, mon arrière grand-oncle Pouvana’a a Oopa et Ferdinand Peltzer, et de trois anciens de la Seconde Guerre mondiale, Marcel Marcantoni Oopa, fils de Pouvana’a, dans le Bataillon du Pacifique et deux commandos parachutistes du Special Air Service, Albert et Etienne Colombani.
L’histoire de nos outre-mer est encore malheureusement peu connue et la rubrique « Histoire d’outre-mer » fait partie des engagements de notre Groupe envers les départements et collectivités où nous sommes présents.