L’ancienne et l’actuelle ministre des Outre-mer avaient renforcé la prise en compte du CIMM dans la mutation des fonctionnaires ultramarins, lors de la loi EROM en 2017 ©Szwarc / Abaca
Dans une expertise pour Outremers360, Didier Blanc, Professeur de Droit public à l’Université de La Réunion et membre de l’Association des Juristes en Droit public des Outre-mer (AJDOM), revient sur la loi Égalité réelle, la conception même d’égalité entre l’Hexagone et les Outre-mer, et plus spécifiquement, sur l’article 85 « reconnaissant une priorité à l’examen des demandes de mutation des « fonctionnaires qui justifient du CIMM dans une des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie » ».
L’aspiration de l’outre-mer pour l’égalité est ancienne, toutefois elle fut longtemps bridée par une conception stricte de l’égalitarisme républicain adossée à l’unité et à l’indivisibilité de son cadre, qui ne distinguant pas entre l’outre-mer et la métropole là où il y avait lieu de le faire, entretenait de fait un terreau d’inégalités. Progressivement l’idée s’est imposée qu’en raison de ses spécificités, dont un éloignement souvent teinté d’insularité, l’outre-mer devait bénéficier d’un traitement tout aussi spécifique. Adaptation, discrimination positive, différenciation, égalité réelle, quels que soient les masques que revêt cette volonté de dépassement d’une égalité-corset, elle « est pratiquement devenue la règle ». Désormais, elle est destinée à irriguer l’ensemble des relations entre la métropole et ses outre-mer suivant l’ambition affichée par la loi de programmation du 28 février 2017 relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (dite loi EROM).
Sans revenir sur le contexte de cette importante réalisation de la précédente législature, il convient de préciser qu’elle fut portée en particulier par Mme Ericka Bareigts et par Mme George Pau-Langevin, alors respectivement secrétaire d’Etat chargée de l’égalité réelle auprès du Premier ministre et ministre des Outre-mer. On se souvient également qu’elle est le fruit du rapport intitulé : Égalité réelle outre-mer remis par M. Victorin Lurel, député de Guadeloupe, au Premier ministre le 15 mars 2016, quelques jours avant le soixante-dixième anniversaire de la loi de départementalisation de 1946. Bien que tissée d’égalité, cette dernière n’a pas permis, en particulier sur le plan économique, de créer les conditions favorables à une véritable égalité entre l’ensemble des citoyens français. Aussi, la loi EROM affirme-t-elle avec force en ouverture : « La République reconnaît aux populations des outre-mer le droit à l’égalité réelle au sein du peuple français », puis que cet « objectif d’égalité réelle constitue une priorité de la Nation ».
Trop nombreuses sont les lois habillées de vertueuses intentions sans jamais être suivies d’effets, que les observateurs ont accueilli avec une certaine circonspection celle sur l’égalité réelle, quand ils ne se gaussaient pas de sa désignation si peu conforme en apparence avec la tradition républicaine. Il est vrai que ces réalisations tardent parfois, ainsi qu’a pu le relever la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale en juin 2018, quand le pouvoir règlementaire n’en retarde pas sans motifs l’application. En pareille situation, la voie contentieuse s’impose ; suivie par un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, elle donne précisément corps à l’égalité réelle.
Son administration a, par une circulaire du 3 avril 2018 concernant les mouvements de mutation des agents du corps d’encadrement et d’application de la police nationale, fait le choix de reporter à l’année 2019 la mise en œuvre de l’article 85 de la loi EROM reconnaissant une priorité à l’examen des demandes de mutation des « fonctionnaires qui justifient du centre de leurs intérêts matériels et moraux (CIMM) dans une des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie ». Ces CIMM renvoient au lieu où se situent l’essentiel des intérêts personnels (essentiellement la famille) d’un individu. On comprend dans ces conditions l’utilité de leur prise en compte afin de permettre aux fonctionnaires exerçant leurs activités en métropole de rejoindre leur collectivité d’outre-mer où se trouvent de tels intérêts. Rien dans la loi ne laissant à penser que son application puisse être en la matière différée, le Conseil d‘Etat a pu annuler le 18 mars 2019 la circulaire du ministre de l’intérieur.
Cette décision adossée à la loi du 28 février 2017 est susceptible d’avoir des incidences positives sur de douloureuses situations personnelles et témoigne à sa manière de l’« idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité » que la « République reconnaît, au sein du peuple français » aux populations d’outre-mer.
Didier Blanc, Professeur des Universités, Université Toulouse I Capitole, membre associé du CRJ, Université de La Réunion.