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Plus connus sont les illustres Cook et Bougainville lorsqu’on parle des grands explorateurs du Pacifique, peu de personnes connaissent qu’au début du 19ème siècle la majorité des atolls en Polynésie portaient des noms russes, et que de nombreux musées russes comptent des objets polynésiens dans leurs collections, que de nombreuses représentations de guerriers marquisiens ont été faites par des peintres embarqués sur des navires russes …C’est ce que nous explique Lionel Boisseau, le réalisateur du documentaire « Explorateurs russes en Polynésie, l’histoire inconnue » produit par Les Films du Pacifique Tahiti & Merapi Productions sur une idée de Dominique Aurois et de Thierry Bruant, qui sera diffusé sur Polynésie la 1ere ce lundi 14 septembre. Outremers360 a convié Lionel Boisseau à nous raconter ci-dessous ce morceau d’histoire méconnu. A découvrir absolument !
Explorer, découvrir le Pacifique et son immensité et des noms mythiques surgissent immédiatement comme Cook, Bougainville ou encore La Pérouse, ils furent parmi les premiers européens à parcourir le Pacifique, leurs exploits ont été écrits et maintes fois documentés et pourtant ils n’étaient pas les seuls.
Qui sait qu’au début du 19ème siècle la majorité des atolls des Tuamotu en Polynésie portait des noms russes! Qui sait aussi que les premières représentations de guerriers marquisiens ont été faites par des peintres embarqués sur des navires russes! Qui sait encore qu’aujourd’hui de nombreux musées russes comptent des objets polynésiens dans leurs collections!
Trois grandes expéditions russes
Et pourtant entre 1804 et 1825, 3 grandes expéditions russes vont traverser, cartographier et observer la Polynésie et raconter un pan méconnu de l’histoire des archipels.
Notre histoire commence en Russie à St Pétersbourg au début du 19ème siècle, la Russie est alors dirigée par l’empereur Alexandre 1er, ambitieux, il veut redonner du lustre à la grande Russie impériale, un objectif qui passe par des guerres contre Napoléon mais aussi par une présence dans le monde face aux français et aux anglais notamment pour rallier la lointaine Alaska, russe depuis une vingtaine d’année et devenir ainsi une vraie puissance maritime.
C’est à Kronstadt, la ville port de la Russie impériale que tout commence. Fondée en 1710 par Pierre 1er Le Grand et située dans la baie de la Néva au fond du golfe de Finlande, c’est là que les bateaux se prépare pendant plusieurs mois avant le grand départ.
C’est donc le 7 août 1803 que le capitaine de la marine impériale Krusentern, accompagné du lieutenant capitaine Lisianski embarquent à bord de deux bateaux: la Nadejda (qui signifie Espérance) et la Néva. A leurs bords une centaine d’homme, quelques scientifiques et des peintres. Leur but: rallier l’Alaska et surtout revenir sains et saufs.
Après quelques semaines de voyage, ils franchissent le Cap Horn sans encombre avant de remonter le long des côtes chiliennes et d’atteindre Les Marquises.
L’archipel est déjà connu des Européens, notamment des Espagnols dès le 16ème siècle qui lui donneront son nom en 1595. Des Français et des Américains sont aussi déjà passés par là, mais lorsque que Krusentern atteint la baie de Taiohae à Nuku Hiva, pour les Marquisiens, la venue d’Européens reste encore une découverte.
Les Russes sont accueillis par un Anglais Robarts, présent aux Marquises depuis 1798 après avoir fui son bateau, il s’est intégré à la communauté villageoise, il parle la langue et sert de guide. Les Russes vont donc se ravitailler en eau et en vivres puis rejoindre le grand chef de la vallée dans une de ses maisons du bord de mer. A cette époque on estime que 5000 personnes vivent dans cette baie.
Hormis l’anglais Robarts, un autre Européen est installé dans la vallée : le français Kabris, concurrent de l’anglais. Il va aussi aider les Russes. Il est tatoué sur tout le corps et est magnifiquement représenté dans un dessin de Tilésius un des dessinateurs de l’expédition.Le bateau de Krusenstern revient donc à Saint Pétersbourg le 19 août 1806, un peu plus de trois ans après son départ, sans aucune perte humaine, ce qui à l’époque était exceptionnel. Objets ramenés, écrits et gravures deviennent de précieux témoignages de la vie de cette époque dans le Pacifique. Des objets comme cette rare béquille marquisienne conservée dans un musée sont encore aujourd’hui les témoins du passage de Krusenshtern dans cette partie du Pacifique.
Krusenshtern est reconnu par le tsar, il reçoit maison prix et distinction et devient d’une certaine manière, le parrain de toutes les expéditions russes autour du monde des années suivantes.
Après l’éxpédition Krusenshtern, l’expédition Kotzebue
Pendant les guerres entre les Russes et les Français, les explorations sont interrompues mais après la retraite napoléonienne de Russie en 1812 et surtout la défaite de Waterloo en 1815, les envies de découvertes russes reviennent. C’est un jeune capitaine de 27 ans, Otto Von Kotzebue qui va reprendre la mer. Sa mission: trouver une route nord pour rejoindre l’Alaska et continuer l’exploration du Pacifique.
Kotzebue embarque en juillet 1815 à bord du navire le Rurik, il emmène avec lui entre autres, le poète écrivain et botaniste d’origine française Chamisso et le dessinateur peintre de parents allemands Choris. Pendant ce voyage, le 25 avril 1816 Kotzebue aperçoit un atoll magnifique et impressionnant 27 km de longueur et 19 de large, il le nomme Krusentern du nom de son mentor, un atoll appelé aujourd’hui Tikehau.
Aujourd’hui il ne reste pratiquement plus de noms russes, hormis un petit atoll découvert par Kotzebue et nommé Bellinsghausen sur la commune de Maupiti à 550 km au nord-ouest de Tahiti.
Cette expédition revient le 31 juillet 1818 après 1291 jours dont 700 en mer, le Rurik a fait le plein de découvertes scientifiques et de dessins. L’équipage est récompensé : Kotzebue devient un héros national et il retournera dans le Pacifique quelques années plus tard.
L’Amiral Bellingshausen à la découverte de l’archipel des Tuamotu
La frénésie de découvertes russes ne va pas s’arrêter là moins d’un an plus tard. L’expédition dirigée par l’Amiral Bellingshausen, accompagné de Lazarev, va marquer l’histoire. Les deux navigateurs et leurs bateaux le Mirni et le Vostok vont franchir le cercle polaire antarctique, une découverte qui a marqué les Russes. Un étage d’un musée de Saint Pétersbourg est même consacré à cette aventure.
A bord du navire, des scientifiques mais aussi un peintre qui va documenter l’expédition et dont les tableaux sont devenus célèbres.
Comme son prédécesseur Kotzebue, Bellingshausen va cartographier et découvrir de nouveaux atolls dans les Tuamotu comme Mataiva qu’il nomme Lazarev, ou Fangatau qu’il nomme Arakceev ou encore Amanou qu’il nomme Moller du nom d’un amiral russe et sur lequel il tente de débarquer le 8 juillet 1820.De retour du cercle polaire qu’ils franchissent le 26 janvier 1820, les bateaux remontent ensuite en passant par le Pacifique. Ils arrivent à Tahiti un lieu de ravitaillement important, et l’occasion pour les Russes de rencontrer le roi Pomaré II qui règne alors sur l’île. De retour à Kronstadt le 4 août 1821, au-delà de sa réussite en Antarctique, l’expédition a ramené de nombreux témoignages, dessins et données scientifiques majeures pour la connaissance de la Polynésie.
Sans visée coloniale avec d’autres objectifs que ceux des anglais et des français, les Russes ont donc réussi à cartographier, dessiner et décrire cette Polynésie du début du 19ème siècle, un témoignage unique sur une époque encore peu connue et à documenter.
Lionel Boisseau
Un film écrit et réalisé par Lionel Boisseau, diffusé le lundi 14 septembre à 19 h 40
Produit par Les Films du Pacifique Tahiti & Merapi ProductionsPrincipaux intervenants polynésiens : Jacques Pelleau aux Marquises, l’éditeur Robert Koenig et l’anthropologue Michaël J.Koch
Bibliographie :
– Adalbert von Chamisso,Voyage autour du monde 1815-1818. Editions Le Sycomore
– Louis Choris, Livre de dessins Voyage dans le Pacifique.Editions Chandeigne
– Adam Von krusenstern, Voyage autour du monde.Editions La Lanterne magique
-Otto von Kotzebue, Le voyage du Rurik. L’expédition Romanzov à la découverte du Pacifique : 1815-1818. Editions La lanterne magique