C’est l’annonce que compte faire le président de la Polynésie française, Moetai Brotherson, à la Conférence des Nations unies sur l’Océan, UNOC-3, qui se tiendra à Nice début juin. La ZEE polynésienne, qui couvre 5,5 millions de kilomètres carrés, passera d’aire marine gérée à aire marine protégée. Un statut plus officiel, qui lui permettra l’accès à une reconnaissance et des financements, sans pour autant « changer la vie » des usagers polynésiens. Explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
« Si vous prenez deux respirations, il y en a une que vous devez à l’océan ». C’est ainsi que Moetai Brotherson répond à la question sur les enjeux de la Conférence des Nations unies sur l’océan, qui doit débuter le 9 juin à Nice. Le président du Pays, ainsi qu’une importante délégation de ministres, représentants locaux de l’État, d’organismes environnementaux, responsables d’associations et scientifiques polynésiens fera le déplacement pour cet équivalent océanique des COP climatiques. Et tous estiment que les questions qui seront abordées par les centaines de dignitaires étatiques ou porte-parole d’ONG qui seront sur place sont « fondamentales pour l’avenir ».
La Polynésie, qui a beaucoup travaillé avec les services de l’État, ainsi qu’avec l’antenne locale de l’Ifrecor, sur la préparation de ce rendez-vous entend mettre en avant le modèle océanien de protection des milieux marins, rappeler les efforts de gestion de la ZEE polynésienne, où la pêche est depuis longtemps régulée et réservées aux palangriers locaux, encourager la communauté internationale à financer les initiatives locales qui vont dans le bon sens, ou à prendre des mesures pour réguler la pêche et les activités extractives dans les zones internationales… Mais le Pays arrivera aussi à Nice avec des annonces, qu’a laissé entrevoir son président sur le plateau de l‘Invité de la rédaction ce jeudi midi.
L’AMG, « un beau concept mais qui ne donne donc pas accès aux financements »
Des annonces qui concernent la ZEE, espace de 5,5 millions de kilomètres carrés entourant les cinq archipels polynésiens, et sur laquelle a été créée en 2018 une gigantesque « aire marine gérée » (AMG), dénommée Tainui Atea. « C’est un beau concept mais qui n’existe nulle part ailleurs et qui n’est pas reconnu par les instances internationales. Il ne donne donc pas accès aux financements nombreux à l’international », regrette Moetai Brotherson sur le plateau de l’Invité de la Rédaction. « Donc l’annonce majeure qui sera faite lors de l’UNOC, c’est celle du passage de cette aire marine gérée en aire marine protégée de classe 6. Fonctionnellement, c’est la même chose, sauf que là on est dans une terminologie et une classification internationale ».
Ces catégories, déterminées par l’Union internationale de protection de la nature (UICN, organisme qui définit aussi les niveaux de menaces sur les espèces en danger), sont classées de 1 -« réserves intégrales » où quasiment aucune activité n’est permise- à 6 pour les « aires protégées pour l’utilisation durable des ressources naturelles ». Si le Pays, sous la mandature précédente, avait préféré la constitution d’une aire marine gérée, c’était d’abord pour signifier, à l’attention d’un secteur de la pêche inquiet, qu’il n’était pas question de mettre sous cloche la ZEE.
C’était aussi pour se laisser de la latitude dans « l’adaptation locale » du concept d’aire marine protégée (AMP), très régulé au niveau national et international. Aujourd’hui, Moetai Brotherson assure que l’AMG et l’AMP de catégorie 6 sont « iso-fonctionnelles ». « Ça, ça ne change rien à la vie des gens tels qu’ils la vivent aujourd’hui », seulement le statut international, et donc le potentiel d’accès à des financements, promis au développement après l’UNOC.
25 à 45% de la ZEE plus durement protégés
Dans un rapport d’observation ciblé sur Tainui Atea en 2022, la Chambre territoriale des comptes (CTC) avait salué les efforts effectués par le Pays et le conseil de gestion de la zone pour allier conservation et exploitation durable des ressources. Mais les magistrats recommandaient aussi de consolider le plan de gestion -un nouveau document a été publié l’année suivante, et court jusqu’à 2037- mieux définir la stratégie maritime du Pays, mieux l’articuler avec les stratégies nationales. La CTC poussait aussi à « délimiter, au sein de la ZEE de Polynésie française, des espaces protégés permettant le respect des engagements nationaux et internationaux de mise en œuvre des objectifs de développement durables » sur la vie aquatique.
C’est ce que compte faire Moetai Brotherson, cette fois plus prudent sur l’annonce qui sera faite devant le concert des Nations à Nice. « On ne fera pas l’annonce complète lors de l’UNOC, puisque nous attendons d’avoir fini les discussions avec nos armateurs et avec l’ensemble des parties prenantes, mais il s’agit de la possibilité d’avoir quatre zones d’aires marines protégées de classe 2, avec des zones où la pêche est interdite », détaille le président du Pays. « L’ensemble, quand on totalise ces quatre zones, pourrait atteindre entre 1,5 et 2,5 millions de kilomètres carrés d’aire marine protégée de classe 2 ».
La catégorie 2 d’aire marine protégée désigne les zones priorisant la « protection des écosystèmes », mais incluant des activités de « récréation et d’éducation ». Ce sont ce type de zone qui constituent généralement le cœur des parcs nationaux français. Une protection supplémentaire qui pourrait donc toucher 25 à 45% de la ZEE.
Un zonage déjà annoncé, mais pas concrétisé
Ce genre de zonage avait déjà été évoqué par le passé. Et fait même l’objet d’une grande annonce lors d’un rendez-vous international, début 2022. Édouard Fritch, qui participait alors en tant que président du Pays au « One Ocean Summit » de Brest avait déclaré sur scène, aux côtés d’Emmanuel Macron et se relayant au pupitre avec John Kerry, que la Polynésie allait « s’engager sur plus d’un million de kilomètres carré, plus de deux fois la superficie de la France de l’Hexagone ».
500 000 kilomètres carrés de « zonages côtiers » devaient être protégés avant la fin 2022 autour des Australes et des Marquises, avec interdiction des activités de pêche autre que la pêche artisanale et vivrière. « Cette protection côtière marque un retrait de 20% des zones de pêche professionnelle actuelles, et je vous rappelle qu’en Polynésie, la pêche professionnelle est réservée uniquement aux Polynésiens », précisait alors le président autonomiste.
Des engagements étaient aussi pris sur l’extension des réserves de la biosphère, et la protection de « toutes les espèces de coraux », là aussi « avant la fin de l’année ». Édouard Fritch promettait en outre de finaliser « avant 2030 », la création d’une nouvelle aire marine protégée de 500 000 mètres carrés au sud-est de la ZEE.
Des engagements qui n’ont « jamais abouti », explique aujourd’hui Moetai Brotherson. Entre autres du fait de l’opposition des pêcheurs hauturiers qui disaient, au lendemain du sommet de Brest de 2022 avoir une « grosse surprise » lors de cette annonce. Le président du Pays est donc conscient du caractère sensible de telles annonces, mais espère pouvoir aboutir rapidement à un accord sur ces « quatre zones », dont certaines recouperont celles qui avaient été tracées sous la mandature précédente.
« On n’est pas là pour jeter ce que nos prédécesseurs ont fait à la poubelle », assure-t-il. « On a fait évoluer certains dossiers, puisque tout n’était pas fait. Notamment aux Marquises : il y a eu beaucoup de discussions avec les maires et les populations ». Les élus des Marquises précisent qu’ils ne s’étaient pas opposés au projet de zonage de 2022, et discutent aujourd’hui avec intérêt du nouveau projet.
Objectif : « Devenir l’un des leaders de la conservation océanique »
La délégation polynésienne, forte d’une trentaine de personnes issues du Pays, des services de l’État, d’associations ou d’organismes scientifiques, partira vers Nice dès le 2 juin prochain pour un retour des derniers participants prévu le 14. Si les séances plénières de l’UNOC sont réservées aux chefs d’États, le président et les ministres du Pays doivent intervenir dans des « action panels » de la « Zone bleue », réservée aux délégations officielles accréditées par l’ONU.
À Moetai Brotherson le panel sur la conservation et la restauration des écosystèmes marins, à Taivini Teai, ministre en charge des ressources marines et de l’Environnement, celui sur l’interface science-politique. Objectif : « devenir l’un des leaders de la conservation océanique en participant substantiellement à l’atteinte de l’objectif mondial « 30×30 », visant à protéger efficacement 30 % des océans d’ici 2030 ». Le reclassement de la ZEE et les nouvelles zones qui vont y être créées abondent dans ce sens, et participent au passage à remplir les engagements nationaux en la matière.
La délégation participera aussi, comme le précise le gouvernement dans un communiqué, à plusieurs « side events » thématiques. Elle co-organisera un évènement sur les grands fonds marins du Pacifique, animera un espace polynésien de plus 100 mètres carrés et des conférences thématiques sur les initiatives locales, comme les aires marines éducatives ou les rahui, pratiques ancestrales polynésiennes, visant à protéger une zone définie sur une période définie, permettant notamment de régénérer les ressources.
Moetai Brotherson doit aussi participer à un « Sommet de la coalition sur la montée des océans et la résilience côtière », tandis que Jordy Chan, présent en tant que ministre en charge des transports maritimes, se concentrera sur le « Blue Economy and Finance Forum », prévu les 7 et 8 juin à Monaco. Le président du Pays conclura cette nouvelle visite hexagonale par le Sommet Pacifique-France, le 11 juin.
Charlie René pour Radio 1 Tahiti