À quelques jours du départ vers la table ronde sur le nucléaire à Paris, le président de la Polynésie a assuré que la démarche « Reko Tika » pouvait apporter du « concret » sur les conséquences des essais. Regrettant l’absence et les vives critiques des collectifs anti-nucléaires, il estime tout de même que la délégation peut représenter « toute la Polynésie » et porter des revendications « qui préoccupent tout le monde ». Un sujet de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
« Honte », « alibi » et même « collabo »,… Hiro Tefaarere, président de l’associaton Moruroa e Tatou, ou Oscar Temaru, leader du parti indépendantiste, avaient eu des mots durs envers la « table ronde de haut niveau » sur le nucléaire et sur ses participants. Plutôt que la contre-offensive, Édouard Fritch a préféré calmer le jeu, ce jeudi matin, disant « regretter énormément » l’absence des collectifs anti-nucléaire à la réunion du 1er et 2 juillet.
Le président, qui s’envolera samedi soir, deux jours avant l’essentiel de la délégation, s’est même engagé à transmettre « fidèlement » les demandes exprimées à Papeete par les absents. Mais pas question d’accepter la remise en cause de la légitimité de la démarche : même amputée des fers de lance de la lutte anti-nucléaire (Moruroa e Tatou, 193, église protestante Maohi, parti indépendantiste) la délégation, nommée Reko Tika – la parole droite en Paumotu – « portera bien la parole de la Polynésie » à Paris, insiste le chef du gouvernement. Qui répète que le seul objectif de la démarche est d’obtenir « la vérité et la justice » sur les conséquences des essais.
Le « consensus » plutôt que la « cacophonie »
Édouard Fritch veut croire que cette invitation d’Emmanuel Macron, qu’il rappelle avoir appelé de ses vœux « juste après la publication du livre Toxique », peut faire « enfin avancer les choses ». À ceux qui estiment que la réunion n’aurait pas dû se tenir à Paris, il répond que « la vérité n’a pas de frontière », et que la capitale nationale est le meilleur endroit pour lancer des groupes de travail, des expertises juridiques, économiques ou sanitaires.
À ceux, les mêmes, qui préfèrent attendre la venue du chef de l’État en Polynésie, quand « la pression du peuple sera autour de lui », il rappelle que les présidents de la République se sont succédés, les actions de pression aussi, mais que le dossier n’a que peu avancé. « Cela fait 25 ans, c’est très long », pointe le président du Pays, qui estime que « la politique de la chaise vide » a « montré son inefficacité ».
Pour Édouard Fritch, la clé du changement réside dans deux éléments : Emmanuel Macron un jeune président « décidé à tourner cette page », et la « cacophonie » revendicative de la Polynésie a laissé place à la démarche Reko Tika, « qui nous permet de parler d’une même voix ».
Du moins au sein de la délégation. En un mois et demi de préparation, « un consensus a été trouvé » entre les participants sur les doléances qui seront présentées à l’État. Paris a proposé un programme pour la table ronde, qui a été accepté par le Pays : histoire et mémoire le premier jour, conséquence des essais sur la santé des Polynésiens le 2 juillet au matin, puis impact territorial l’après-midi… Pour chaque séquence, des doléances et des porte-paroles. « Chacun a pu exprimer ses opinions, il y a eu des désaccords, des moments plus difficiles, mais on a réussi à aller jusqu’au bout avec ceux qui le voulaient, et ça a été plutôt constructif », explique Joël Allain, le coordinateur de la préparation.
Une énième « réunion », mais des espoirs de concret
Mais qu’attendre concrètement de la table ronde ? Bien entendu, Édouard Fritch ne veut et ne peut s’engager. « Il est vrai que c’est une énième réunion », et « tout ne sera pas résolu en deux jours », concède-t-il, mais il l’a répété ce matin, le Pays « veut du concret », avec a minima un calendrier de travail sur les principales doléances et la mise à disposition d’experts reconnus pour travailler sur chaque sujet et, là encore, « faire avancer les choses ». Évolution de la loi Morin, mesures de réparation et de sauvegarde dans les Tuamotu, remboursement de la dette de l’État à la CPS… « Ce sont des sujets qui nous préoccupent tous », explique le président.
19 personnes dans la délégation
Courant mai le Pays expliquait qu’une trentaine de personnes devaient représenter la Polynésie à Paris. Le président Édouard Fritch, regrettant de nombreux désistements, et expliquant avoir limité la participation à une personne par organisme « pour raison budgétaire », n’a présenté que 19 noms ce matin. On trouve bien sûr le coordinateur de Reko Tika, Joël Allain, ainsi que la déléguée du Pays pour le suivi du dossier nucléaire, Yolande Vernaudon.
La société civile doit être représentée par le nouveau conseiller économique et social national Jean-Marie Yan Tu, par le président du Cesec, Eugène Sommers, par Patrick Bagur pour le patronat, et Patrick Galenon pour les salariés. L’ancien président de la CPS a été choisi parmi les porte-paroles de la délégation sur la thématique santé. S’ajoutent Winiki Sage pour les associations environnementales et Yannick Lowgreen pour Tamarii Moruroa.
Côté politique, l’assemblée ne sera pas représentée par son président Gaston Tong Sang, qui n’est pas vacciné et donc ne peut pas voyager aussi aisément que les autres. Tarahoi sera donc représentée par sa première vice-présidente, Sylvana Puhetini. Les présidents des trois groupes politiques avaient été invités, mais le parti indépendantiste et le Tahoeraa de Gaston Flosse ayant décliné, seul Tepuaraurii Teriitahi sera du voyage.
Côté parlementaires, Maina Sage, Teva Rohfritsch, Lana Tetuanui et Nicole Sanquer font partie du groupe, Moetai Brotherson n’a en revanche pas confirmé sa présence. « S’il décidait de venir, il serait le bienvenu », a précisé Édouard Fritch. Les maires de Arue (Teura Iriti), Rikitea (Vai Gooding) et Hao (Yseult Butcher Ferry) seront aussi présents, la dernière ayant été désignée pour s’exprimer sur les conséquences « territoriales » des essais.
Le président a en outre invité deux « personnalités » à se joindre à la délégation : Patricia Grand, de la Ligue contre le Cancer, qui prendra d’ailleurs la parole sur les questions de santé, et Michel Arakino, dont la candidature avait été appuyée par le Sdiraf. Trésorier et membre fondateur de Moruroa e tatou, l’ancien travailleur du nucléaire, qui a beaucoup parlé de son expérience au CEP, est toutefois présent à titre personnel.
L’association anti-nucléaire, elle n’est pas représentée, pas plus que 193, qui a pourtant participé à une bonne partie des réunions préparatoires. « Nous transmettrons leurs doléances le plus fidèlement possible », assure Édouard Fritch.
Charlie René pour Radio 1 Tahiti