L’association Moruroa e Tatou, engagée depuis 2001 auprès des victimes des essais nuclaires, et l’Église protestante Ma’ohi ont réaffirmé ce matin leur refus de participer à la table ronde convoquée par Emmanuel Macron le 1er et 2 juillet à Paris. Une « opération de communication » d’où il ne « sortira rien », estiment-ils. Le 2 juillet, c’est dans les rues de Papeete, et d’autres îles de Polynésie que les militants seront mobilisés, avant une éventuelle rencontre avec le chef de l’État lors de son déplacement officiel. Un sujet de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
« Non, c’est non ». Même fermeté chez Moruroa e Tatou et l’Église protestante Maohi, rassemblés ce matin pour une conférence de presse commune. Les deux organisations investies dans le combat contre le nucléaire et la reconnaissance des victimes des essais en Polynésie, ont une nouvelle fois affirmé leur refus de participer à la « table ronde de haut niveau » qui doit avoir lieu à Paris le 1er et 2 juillet.
« Ils nous ont demandé, ils nous ont re-demandé, ils nous ont suppliés, notre réponse n’a pas changé », résume Hiro Tefaarere. Pour le président de Moruroa e Tatou, comme pour celui de l’Église, François Pihaatae, hors de question de « cautionner » la délégation préparée par le Pays sous le nom Reko Tika – vérité et justice » en Paumotu.
Plusieurs représentants de la société civile devraient pourtant en faire partie : Winiki Sage, qui représentera les associations environnementales, Patrick Bagur et Patrick Galenon, pour le patronat et les salariés, Yannick Lowgreen, représentants de Tamarii Moruroa, le président du Cesec, Eugène Sommers et même le trésorier de Moruroa e Tatou, Michel Arakino qui, regrettant cette stratégie de la chaise vide, a demandé sa place dans la délégation au nom du Sdiraf… « Une démarche personnelle » s’agace Hiro Tefaarere, pour qui la délégation, sans Moruroa e Tatou, l’association 193, l’Église protestante ou le parti indépendantiste, n’a « ni crédibilité ni légitimité ».
Au Cesec : « Honte à eux ! »
Le Cesec est particulièrement dans le viseur de l’ancien syndicaliste : « Tout ce monde patronal, tout ce monde salarial a laissé faire pendant des années, et je sais de quoi je parle ». Hiro Tefaarere dénonce avec force le préambule du vœu adopté par la troisième assemblée du pays le 3 juin. « Ces essais ont été décidés au nom de l’idéal de liberté, d’indépendance et du bonheur des populations, permettant la dissuasion nucléaire, exclusivement défensive selon le principe de la légitime défense, qui remplit dès lors une mission éthique, celle d’empêcher une guerre », peut-on y lire.
« C’est l’alibi de l’État ! », lance le président de Moruroa e Tatou. « Honte à eux ! ». Quant aux revendications que la délégation compte défendre à Paris – parmi lesquelles l’élargissement de la reconnaissance et de l’indemnisation des victimes, le remboursement des frais engagés par la CPS pour les maladies radio-induites, la dépollution de Moruroa et Fangataufa ou la prise en charge par l’État du centre d’oncologie de Polynésie – Hiro Tefaarere juge qu’elles font passer « les questions financières avant tout ». « Pour nous, c’est l’éthique qui doit passer en premier », dit-il.
Mais qu’est-ce que le militant demanderait de plus à l’État ? « Avez-vous déjà demandé à un responsable de l'État de dire pardon ? », répond-il, avant de lister des demandes en termes de réparation des dégâts environnementaux et sociaux. Les formuler à Paris « ne servirait à rien », insiste-t-il. « Le livre Toxique ne serait pas paru, jamais M. Macron ou M. Fritch n'auraient pas pris la décision d’organiser cette réunion, et dans ce livre, on se rend compte que trois mots ont guidé l’action de l’État chez nous : le secret, le mensonge et la négligence, jusqu’à aujourd’hui ». Si les responsables parisiens « étaient de bonne foi », la majorité présidentielle aurait voté la proposition de loi de Moetai Brotherson, ajoute-t-il.
Plusieurs mobilisations en juillet
Le 2 juillet, Moruroa e Tatou et l’église protestante, ne seront donc pas à Paris. Mais ils devraient tout de même se faire entendre dans les rues de Papeete, pour commémorer le 55e anniversaire du premier essai nucléaire en Polynésie, Aldébaran. Une manifestation « exceptionnelle », « historique » qui rassemblera « des milliers de Polynésiens », promettent les organisateurs, qui prévoient des cortèges dans plusieurs autres îles.
À Tahiti, des victimes et enfants de victimes doivent prendre la parole sur l’esplanade Tu Marama, en bas de l’avenue Pouvanaa A Oopa à Papeete. L’église appellera aussi ses fidèles au « jeûne thérapeutique », le 4 juillet « en soutien aux victimes », et l’association n’oublie pas non plus l’appel à manifester le 17 juillet lancé par le parti indépendantiste d’Oscar Temaru, Tavini Huiraatira. Une date choisie pour commémorer l’essai Centaure du 17 juillet 1974, dont les retombées auraient atteint Tahiti.
« On sera aussi mobilisé », insiste Hiro Tefaarere, qui estime que le Tahoeraa, malgré les revirements de son chef de file Gaston Flosse sur le nucléaire, a toute sa place dans ces manifestations. Quant aux discussions avec l’État, elles attendront la venue d’Emmanuel Macron au fenua, fin juillet. L’église a officiellement invité le chef de l’État à son synode à Mahina. « C’est nous qui le recevrons, et là on ne sera pas 30 contre 60 millions, on aura le peuple en dehors de la salle pour peser », explique François Pihaatae qui craint qu’un voyage à Paris serait l’occasion de se « faire rouler dans la farine ».
Du côté du gouvernement, pas de changement de cap en vue : la dernière réunion de préparation Reko Tika a eu lieu ce matin. « On a essayé de mettre tout sur la table pour pouvoir parler d’une seule voix », explique un participant. Si personne ne s’attend à une « révolution » dans la position de l’État, beaucoup, dans la délégation, espèrent inspirer des mesures « fortes » et « concrètes » que le président Macron pourrait ensuite amener dans ses valises en Polynésie fin juillet.
Charlie René pour Radio 1 Tahiti