Polynésie : Les indépendantistes détaillent leur projet de « République fédérale de Ma’ohi Nui »

©Radio 1 Tahiti

Polynésie : Les indépendantistes détaillent leur projet de « République fédérale de Ma’ohi Nui »

Réuni en Congrès ce samedi à Tahiti, le parti indépendantiste de Polynésie française, Tavini Huira’atira, a présenté et fait adopter par ses militants son avant-projet de constitution de « République de Ma’ohi Nui », que le parti bleu-ciel veut défendre en cas de processus d’autodétermination. Un avant-projet, avec des institutions locales et fédérales, aux « choix sophistiqués » et « chers » mais qui peut être simplifié. Détails de notre partenaire Radio 1 Tahiti. 

Un préambule, 11 chapitres, 78 articles, et 43 pages au total. Annoncé comme un des temps fort du congrès annuel du Tavini Huira’atira ce samedi, l’avant-projet de constitution de la République de Ma’ohi Nui a bien été présenté par Richard Tuheiava, ancien avocat et sénateur, aujourd’hui directeur de cabinet du président de l’Assemblée de Polynésie, Antony Géros.

Une découverte pour la plupart des militants, et pour beaucoup d’élus bleu ciel dont le président du Pays Moetai Brotherson. Richard Tuheiava a tenu à rassurer l’assistance : ce document est une « base de référence » et ne demande qu’à être « discuté, modifié, précisé ». Sa présentation était surtout, pour le parti, une façon « d’accélérer » le mouvement et de se montrer prêt à engager le « dialogue de décolonisation » toujours refusé par Paris. « Il fallait qu’on ait cette base pour dire : voilà sur quoi on veut travailler, et sur quoi on veut dialoguer », résume Richard Tuheiava. 

Pas de changement de drapeau, le Tahitien comme langue officielle

Dans la forme, cette proto-constitution est assez classique. Le préambule fixe les grandes valeurs et éléments identitaires de l’état rêvé par le mouvement indépendantiste. Attachement à la terre, lien à l’océan, héritage des ancêtres, « influence judéo-chrétienne » dans le « respect de la diversité des croyances », idéaux de justice, de démocratie, d’inclusion ou de paix, développement durable… Le Tavini y a ajouté un rappel des « impacts graves des politiques coloniales », à commencer par les essais nucléaires, et une réaffirmation du droit des peuples à l’autodétermination.

Si Antony Géros indiquait, mardi encore, que la question de la laïcité du futur État restait à débattre, Richard Tuheiava l’a intégré au cœur du projet. Le document, s’il est présenté en français, désigne le Tahitien comme langue officielle, complété par le Français et les autres langues polynésiennes, dont l’usage officiel sera régi par la loi.

Les symboles actuels de la Polynésie -drapeau, emblème, hymne- ne bougent pas, pas plus que la capitale, Papeete, ou même la monnaie, qui reste le Franc Pacifique de manière « transitoire ». Richard Tuheiava précise que la nationalité du nouvel État serait acquise automatiquement « par tous les résidents permanents avant la date d’indépendance », et que la double nationalité resterait, comme en France, mais contrairement à certains pays comme Fidji ou la Belgique, autorisée.

70 élus d’archipels, 57 députés, 57 sénateurs, un conseil traditionnel

L’organisation institutionnelle s’inspire elle à la fois des traditions françaises et d’autres modèles, notamment américain. Comme les États-Unis, Ma’ohi Nui serait un État fédéral, les cinq archipels -îles du Vent, îles Sous-le-Vent, Marquises, Australes et Tuamotu-Gambier, toujours réunis à moins d’un référendum contraire- constituant ses État fédérés. À chacun son assemblée législative de 14 membres élus à la proportionnelle, son « maire » -le chef de l’exécutif local-, son autonomie financière et budgétaire, et ses compétences propres.

Au niveau fédéral, un président est élu au suffrage universel direct pour deux mandats de 5 ans maximum. C’est ce chef de l’État qui nomme les membres du conseil des ministres, dont un premier ministre, qui, contrairement au président, peut être renversé par le parlement. Et la branche législative a aussi deux têtes : 57 députés élus pour 5 ans à la proportionnelle pour l’Assemblée nationale, 57 sénateurs élus par les assemblées législatives des archipels pour la chambre haute. S’ajoute un « conseil traditionnel » consultatif -principalement sur les questions de coutumes, de patrimoine et de « communautés autochtones »- et réunissant des « chefs traditionnels » ainsi que des anciens « leaders reconnus de chaque État fédéré ».

Des juges locaux nommés par l’exécutif de chaque archipel

La répartition des compétences entre le niveau local et fédéral est déjà fixée, mais là encore pourrait évoluer. L’État central garde la main sur les questions de fiscalité nationale, de libertés fondamentales, la politique étrangère, la défense et l’armée, la justice, la gestion de la ZEE ou de l’espace aérien, ou encore la réglementation financière, monétaire, bancaire ou douanière.

Les compétences sont en revanche conjointes, et les réglementations potentiellement différentes entre archipels, en matière de foncier, d’environnement, d’éducation, de culture, de santé, de droit du travail, entre autres. « La constitution est là pour faire en sorte que les décisions des états fédérés ne viennent pas empiéter sur les compétences de l’état fédéral, c’est très bien fait », assure Richard Tuheiava. Les communes elles, ne disparaîtraient pas complètement, mais seraient redélimitées en « municipalités » sans exécutifs propres. L’autorité locale est exercée au niveau de l’État fédéré, et donc de l’archipel, par les cinq « maires » du pays.

Côté judiciaire, les choix n’ont pas non plus été au plus simple : aux juges locaux nommés par les maires des États fédérés s’ajoutent trois juridictions fédérales, dont les magistrats sont tous nommés par le président avec accord du Sénat : une cour fédérale d’appel, une cour suprême, jouant le rôle de Cour de cassation et de Conseil d’État, et une Cour constitutionnelle de 7 membres nommés pour 5 ans.

« On a pris les options les plus onéreuses »

Parmi les élus qui ont découvert cette architecture pendant le congrès, certains s’étonnent de sa complexité. Richard Tuheiava reconnait avoir choisi les options les « plus sophistiquées » et « les plus chères », et, là encore, veut rassurer. « On peut simplifier tout en fonctionnant très bien : j’aurais pu mettre que deux degrés de juridiction, complètement supprimer les municipalités… », liste l’ancien avocat. « On a pris les options les plus onéreuses pour faire des projections financières. Ensuite si ça ne colle pas, on réduira la voilure ».

Les besoins financiers d’un tel fonctionnement institutionnel n’ont donc pas encore été évalués, cela fait partie des travaux à mener dans les prochains mois au Tavini Huira’atira. Mais le parti veut surtout faire parler de cet avant-projet « désormais adopté par le congrès » … notamment au moment des municipales.

Lire aussi sur le Congrès du parti indépendantiste : 

Charlie René pour Radio 1 Tahiti