Le Haut-commissaire Éric Spitz était l’Invité de la rédaction de notre partenaire Radio1, ce mardi midi. Il est revenu sur les derniers défis de la préparation de l’épreuve de surf des JO, réaffirmé sa position sur le remboursement de la CPS, ses propositions en matière de construction de logements… Aucun doute, l'État « n’est pas sur la voie du désengagement » et son représentant pense pouvoir avancer efficacement avec l’exécutif de Moetai Brotherson, avec qui il entretiendrait une relation pour l’instant « sans ombre ».
Pas de vacances pour le Haut-commissaire. Entre les commémorations, célébrations, l’accueil des nouveaux gradés et les travaux qui s’intensifient avec le gouvernement, Éric Spitz est sur tous les fronts ces derniers jours. S’ajoute la préparation de la visite ministérielle, désormais confirmée pour la mi-août. Gérald Darmanin, qui sera accompagné de la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra, souhaiterait se rendre aux Marquises, visitera peut-être Hao, mais commencera par un détour par la Tahiti Pro de Teahupo’o, pour parler bien sûr de la préparation de l’épreuve de surf des JO. Un évènement dont l’organisation est répartie entre le Pays, le comité Paris 2024, la Délégation interministérielle aux jeux olympiques et paralympiques (Dijop) et bien sûr l’État, en charge de la sécurité des sites, et qui a déjà investi 873 millions de francs dans les chantiers de préparation. Aménagement de la marina, reconstruction de la passerelle du PK0, nouvelle tour d’arbitrage (350 millions de francs à elle tout de seule, dont 43% payés par l’État), viabilisation du domaine Rose ou alimentation électrique du site… Après quelques mois de dissonances, « tout le monde est sur la même longueur d’onde », assure le Haut-commissaire, « on est sur la bonne voie pour réussir ces Jeux ».
« Une maison des JO » à la Presqu’île ?
Le comité de pilotage « très fructueux » de la semaine dernière aurait tout de même montré que des efforts sont encore à faire en terme « d’acceptabilité », nuance-t-il. « Elle augmente : il y a tout de même 350 familles qui ont signé des baux pour loger les athlètes, il y a déjà des répercussions économiques, avec des restaurants de Taiarapu-Est qui ont déjà doublé leur chiffre d’affaires à un an de l’évènement… » précise le représentant de l’État. Il plaide, pour mieux inclure l’épreuve dans le paysage de la Presqu’île, pour l’installation d’une « maison des JO » qui permettrait aux habitants de Taiarapu-Ouest de ne pas voir les gens « venir le matin et repartir l’après-midi ».
« Des équipes du Pays, de l’Etat et de France 2024 doivent être sur place bien avant les JO pour répondre aux questions » explique le Haussaire, qui a confirmé que le Pays avait été entendu sur la question de l’accès au site de compétition. Cinq bateaux de douze places feront la navette vers la vague, mais devraient accueillir prioritairement « des enfants ou des jeunes issus de milieu défavorisées ».
« L’État vend assez mal ses interventions »
Cette implication dans la préparation des JO a de quoi faire croître les dépenses de l’État en Polynésie, estimée à près de 200 milliards de francs en 2022. D’autres dispositifs poussent la somme à la hausse : le Fonds « Macron » de transition énergétique – un milliard de francs débloqué en 2023, puis 2 à 3 milliards par an en 2024 et 2025 – , le Fonds Vert, qui doit notamment financer des programmes associatifs de protection de la biodiversité, ou la préservation du patrimoine des Marquises, ou encore la réception, par l’armée, de nouveau bateau et équipements. Bref, « l’État n’est pas sur la voie du désengagement », assure Éric Spitz. Les recettes – quelques retours d’indus, une redevance plutôt légère sur les compagnies aériennes, ou les amendes pénales, souvent non honorées pour cause d’insolvabilité – sont elles jugées « infinitésimales ». Le responsable s’étonne donc de la quantité d’incompréhensions et de « rumeurs » sur le sujet. « L’État vend assez mal ses interventions dans la vie polynésienne, note-t-il. Il y a environ 100 milliards pour le Pays, 17 milliards pour les communes, et 83 milliards pour financer les compétences propres de l’État. Ce sont des montants importants si on les compare au budget du Pays qui est de 183 milliards ».
Quant aux traitements des fonctionnaires, qui constituent une part non négligeable des dépenses de l’État, ils restent en vaste majorité dans le Pays assure le responsable : « 80 à 90% des fonctionnaires » d’Etat seraient Polynésiens. « Seuls 12 policiers sont aujourd’hui métropolitains, ils sont 18 sur 200 à l’aviation civile, 20 à 25 sur 260 au Haut-commissariat… Il n’y a pas un fossé entre la Polynésie et l’État puisque l’État, c’est des Polynésiens » appuie-t-il.
CPS : 100 milliards, chiffre » plus ou moins fantaisiste »
Parmi les dépenses importantes qui pourraient être rapidement à l’ordre du jour, celle du remboursement de la CPS pour le coût des maladies radio-induites. Un dossier sur lequel François Hollande avait donné un accord de principe.Mais, malgré les nombreux débats sur le sujet ces dernières années, l’État n’a donné un mandat de négociation à son Haut-commissaire que fin 2022. Et le débat semble encore loin d’être résolu sur le fond, ou en tout cas sur les fonds. Car si la CPS a bien transmis au Haussariat, à sa demande, une estimation du coût moyen par patient (71 000 euros, soit 8,74 millions par tête), l’État considère que cette moyenne doit s’appliquer au nombre de victimes polynésiennes des essais reconnues par le Civen. Soit un peu plus de 300 dossiers fin 2022, et jusqu’à 500 dans les années à venir, vu le rythme des demandes. Le président du conseil d’administration de la CPS, lui, en compte 12 000, faisant passer la note de 3,5 à 5 milliards – l’estimation présentée à Paris par Éric Spitz – à 90 ou 100 milliards. « Pas question de mettre sur le dos des essais nucléaires tous les cancers depuis 40 ou 50 ans, répond Éric Spitz. À ce que je sache, il y a des pays sans essais et avec des cancers ». A l’entendre, seul le comité d’indemnisation, dont le fonctionnement est très critiqué par les associations de victimes, peut faire la part des choses.
« Moi j’ai fait des études de droit, d’histoire, d’économie, pas de sciences. Je ne suis pas capable de dire combien de personnes ont été touchées, appuie le représentant de l’État. En revanche il y a des scientifiques qui siègent au Civen, nous avons créé des missions « aller vers » composée de Polynésiens pour aller chercher dans toute la Polynésie les personnes concernées, en faisant du porte à porte et en les aidant à composer des dossiers, et parmi ces personnes, il y a des anciens membres de Moruroa e Tatou, qui n’ont pas toujours été tendres avec l’État. Et bien pour l’instant, ils travaillent avec nous pour la reconnaissance des victimes. Après on peut jeter des chiffres plus ou moins fantaisistes en avant, mais ça n’est pas un travail scientifique ».
Centre de mémoire : « la balle est dans le camp du Pays »
Éric Spitz en profite pour revenir sur les engagements pris par Emmanuel Macron lors de sa visite en 2021 en matière de nucléaire. « Le but du Président de la République c’était de tout mettre sur la table, et l’État a tenu ses engagements : le RSMA à Hao, un calendrier de dépollution, la déclassification de 99,5% des documents secret-défense, la dernière chose, c’est le remboursement… » Et le centre de mémoire ? « Le Pays a demandé à l’État de lui donner un bâtiment et un terrain ce que nous avons fait, mais la maîtrise d’ouvrage, elle est du ressort du Pays. Si on nous demande une aide, notamment au Ministère de la Culture, nous aiderons, mais la balle est dans le camp du Pays », pointe le Haut-commissaire qui avance l’idée d’autres sites de mémoire, par exemple pour rappeler l’existence des blauckhaus détruits dans les îles.
« Avec l’arrivée des indépendantistes au pouvoir, il y a une page d’histoire à écrire »
Ces dernières semaines ont aussi été rythmées par des discours très remarqués du Haut-commissaire, lors de visite inédite à la stèle de Tavararo le 29 juin ou lors des célébrations du 14 juillet. Des discours dans lesquels il louait la relation forte et les valeurs communes de la Polynésie et la France mais dans lesquelles il revenait aussi sur les ombres et les traumatismes de la colonisation, comme la « déculturation ». Adresser ce passé, sans « y rester bloquer » ce serait une forme « d’apaisement » pour au final servir un message « républicain » et « de réconciliation ». « Avec l’arrivée des indépendantistes au pouvoir, il y a une page d’histoire à écrire ». Avec Moetai Brotherson, mais aussi le président de l’assemblée Tony Géros ou le leader bleu ciel Oscar Temaru, « On a une page blanche, autant de faire du beau boulot », reprend le Haut-commissaire qui a toujours dit « pouvoir travailler avec tout le monde ». Est-ce que la minute de silence du Pays et les drapeaux en berne le 3 juillet, au lendemain de l’anniversaire du premier essai, sont allés dans le sens de l’apaisement ? « C’est un geste qui va dans le sens de la mémoire collective, d’un événement qui s’est produit, et nul ne peut le nier ». Ce qu’avait déclaré, en somme Moetai Brotherson avec qui Eric Spitz a un « contact très régulier, très fréquent, sur la base d’échanges républicains ». « Et pour l’instant, il n’y pas une ombre entre nous ».
Négociation à l’ONU : Paris « balancé » sur le dossier de la Polynésie
Reste que dans ce changement de ton, le mouvement indépendantiste espère surtout voir les prémices d’un changement de position de l’État sur le dossier polynésien à l’ONU avant la réunion du comité de décolonisation en octobre. Fin de la politique de la « chaise vide » en vue ? Le Haut-commissaire n’a bien sûr pas la main sur ce dossier, mais il prévient tout de même que la position de Paris est pour l’instant nuancée. « J’ai lu une note du Quai d’Orsay qui est très balancée. Je ne sais pas quelle sera la décision qui sera prise par l’État. Elle ne sera sans doute pas irrémédiable quoiqu’il arrive. C’est pas parce qu’on ne siège pas en octobre 2023 qu’on ne siègera pas en octobre 2024, reprend Éric Spitz. Je crois aussi qu’il faut qu’on clarifie nos responsabilités respectives dans le domaine international. L’État a accepté que la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie siègent dans le Forum des îles du Pacifique, et qu’à ce titre ils puissent s’exprimer, mais seulement à ce titre ».
Pour Paris, qui voit d’un mauvais œil les initiatives diplomatiques de ses collectivités du Pacifique, ce n’est pas un changement de statut qui est à l’horizon, mais des « discussions » nécessaires. Elles pourraient avancer dès le mois d’août, lors de la visite de Gérald Darmanin.
On peut multiplier par trois ou quatre le nombre de logements construits
Autre rendez-vous important des prochains mois pour le Haut-commissariat et le gouvernement, la renégociation des conventions sur le développement, la santé, la culture, ou le sport… « La quasi-totalité des politiques publiques du Pays sont concernées » par ces conventions qui fixent la participation de l’État. Éric Spitz « a bon espoir » que ces discussions importantes, qui doivent faire l’objet d’une lettre de cadrage imminente de Paris, se passent sans accrocs. Il fera en sorte de pousser des sujets qui lui semblent prioritaires : « J’aimerais qu’on construise avec le Pays un modèle de construction de logements intermédiaires qui manque cruellement. J’en ai encore parlé ce matin au président, il va falloir travailler avec la Caisse des dépôts, sans doute modifier des lois du Pays, notamment celles qui permettent de revendre les logements au bout de 5 ans c’est beaucoup trop court, explique le représentant de l’État. Il faudra aussi que le Pays accorde sa garantie aux prêts de la Caisse des dépôts et consignation. Tout ça peut avoir un effet levier considérable, on peut multiplier par trois ou quatre le nombre de logements construits ».
Par Charlie René pour Radio 1