L’Autorité internationale des fonds marins, une des agences de l’ONU, a autorisé une start-up canadienne à collecter des nodules polymétalliques à des fins expérimentales dans la zone de fracture Clarion-Clipperton de l’océan Pacifique. Une décision qui a réveillé la colère de plusieurs ONG, d’autant que l’entreprise soutenue par Nauru a déjà été à l’origine d’un fiasco en Papouasie Nouvelle-Guinée. Explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
C’est l’une des filiales de la start-up minière canadienne The Metals Company, Nauru Ocean Resources Inc. (Nauru a sponsorisé la demande de la société), qui a obtenu un permis d’exploration de l’International Seabed Authority (ISA). La campagne d’essais sera réalisée avec les moyens techniques de Allseas, un important constructeur sous-marin ; elle doit commencer à la fin du mois et se conclure au 4e trimestre. Elle projette d’extraire 3 600 tonnes de nodules polymétalliques de la zone Clarion-Clipperton, entre Hawaii et le Mexique.
Les essais seront surveillés par des scientifiques indépendants, issus notamment d’organismes officiels de Nouvelle-Zélande et d’Australie, pour analyser l’impact environnemental du véhicule collecteur de nodules et du système de colonne montante pour remonter les nodules à la surface. The Metals Company et Allseas avaient fait état, lors du dépôt de leur dossier à l’ISA en mars 2022, de la réussite de tests similaires dans l’océan Atlantique par environ 2 500 mètres de fond, et en Mer du Nord. La vidéo promotionnelle ci-dessous, pour The Metals Company, fait pudiquement l’impasse sur la trace que laisse inévitablement cet imposant véhicule à chenilles sur les fonds marins.
Une zone déjà abimée par les précédentes explorations
La zone Clarion-Clipperton, dans les eaux internationales, est réputée l’une des plus riches en nodules polymétalliques. Une étude européenne en 2016 avait montré la présence d’une faune riche et abondante, et deux fois plus importante dans les zones denses en nodules. Elle avait aussi révélé que sur les sites dragués auparavant, la faune avait été profondément affaiblie et n’avait pas recolonisé les lieux, même 30 ans après. Onze entités détiennent des permis d’exploration valides dans cette zone, et c’est le dernier en date qui a réveillé la colère des défenseurs de l’océan.
Greenpeace Aotearoa proteste : « L’ISA a été créée par les Nations Unies pour réguler les fonds océaniques, avec pour mission de les protéger. Au lieu de cela, ils permettent l’extraction minière. La commission juridique et technique qui a approuvé cette expérience se réunit à huis clos, sans que la société civile puisse la tenir responsable. Ce mécanisme est tout simplement inacceptable », dit l’activiste néo-zélandais James Hita. L’ISA ne délivre pour l’instant que des permis d’exploration : elle n’est toujours pas parvenue à établir un règlement sur l’exploitation, pourtant annoncé pour 2020.
Le double jeu de plusieurs pays du Pacifique
Cette autorisation d’ « exploration » plus invasive que les précédentes arrive à un moment où plusieurs pays s’opposent à toute exploitation minière sous-marine. En 2019 le Forum des îles du Pacifique avait demandé un moratoire de 10 ans. Mais Nauru, Kiribati, Tonga et les îles Cook sponsorisent chacun un projet d’exploration validé par l’ISA, dans une sorte de double jeu qui met à mal le fameux « Pacific Way », le consensus que les pays de la région sont supposés porter. L’an dernier, un collectif international de 653 scientifiques avait publié une déclaration identique. Emmanuel Macron, ainsi que les chefs des gouvernements portugais et chiliens, en ont également exprimé le souhait. L’assemblée de la Polynésie s’apprête elle aussi à voter une délibération dans ce sens, déjà approuvée par le Cesec.
Une startup pas très nette
À cela s’ajoutent les doutes sur The Metals Company, dont la communication mise sur la transition écologique, est accusée de greenwashing, et son dirigeant Gerard Barron a laissé de très mauvais souvenirs avec Nautilus Minerals, liquidée en 2019 en laissant une ardoise de 106,426 millions d’euros au gouvernement de la Papouasie Nouvelle-Guinée.
Rien n’a changé dans cette nouvelle incarnation, dit le Dr Helen Rosenbaum de la Deep Sea Mining Campaign : « même fondateur, et même mode opératoire. Le business plan de TMC, comme celui de Nautilus, est bourré de risques juridiques, financiers, d’impossibilités d’assurances, d’incertitudes des marchés sur les métaux qu’elle prévoit d’extraire, et d’énormes interrogations sur la faisabilité technique et financière. Les documents transmis à la SEC (le gendarme de la bourse américaine, ndr) montrent clairement que les fondamentaux comme les revenus attendus, les coûts d’opération, la valeur et la taille des réserves minérales sont basés sur la spéculation ».
Si le cours de son action en bourse est orienté à la hausse après l’annonce de l’obtention du permis, sa capitalisation encore très faible pour un projet de cette envergure – 243 millions USD – n’est pas de nature à rassurer.
Caroline Perdrix pour Radio 1 Tahiti