Nouvelle-Calédonie : Dans un marché, un lycée ou à l’Université, Manuel Valls implique la société civile et la jeunesse dans les débats sur l’avenir institutionnel

©Baptiste Gouret / LNC

Nouvelle-Calédonie : Dans un marché, un lycée ou à l’Université, Manuel Valls implique la société civile et la jeunesse dans les débats sur l’avenir institutionnel

Dimanche matin au marché de Moselle pour prendre le pouls de la société calédonienne ; dimanche soir à l’Université de Nouvelle-Calédonie pour échanger avec les associations, enseignants et étudiants ; ou ce lundi matin auprès des lycéens de Nouméa : Manuel Valls a multiplié les échanges avec la société civile de l’archipel, pour l’impliquer dans l’avenir institutionnel, au-delà du seul cercle politique. Récit de notre partenaire Les Nouvelles Calédoniennes.  

Ce lundi 31 mars, à 8 heures, Manuel Valls s’est rendu au lycée Lapérouse, à Nouméa, pour discuter avec la jeunesse. Au lendemain d’une rencontre avec la société civile, cette visite s’inscrivait dans une volonté exprimée par le ministre d’entendre les attentes des Calédoniens, et s’est déroulée à l’abri des caméras et des micros, dans une salle de classe où des lycéens triés sur le volet attendaient le ministre.

Des préoccupations souvent très éloignées des discours politiques. « Ils cherchent à surmonter les différences et à dépasser tout esprit de revanche, de haine ou de violence pour construire une société commune », a salué Manuel Valls. Un message qu’il compte bien « transmettre aux élus ».

« Tout ce que nous faisons ici, c’est-à-dire trouver un accord pour instaurer définitivement la paix civile et pour préparer l’avenir de la Calédonie, c’est pour la jeunesse », a fait valoir le locataire de la rue Oudinot, au terme d’une heure d’échanges avec les lycéens. « Ils représentent le futur, […] ils réfléchissent à comment on peut vivre et réussir ensemble. »

« Il faut vraiment avancer »

Les adolescents ont partagé au ministre leur expérience traumatisante des émeutes survenues en mai 2024. Un échange qualifié de « beau moment d’émotion » par Manuel Valls. « Je pense à ce frère et cette sœur, qui ont vu leur père, en fin de vie, mourir alors qu’il y avait les émeutes et qu’ils ne recevaient pas forcément les soins », ou encore « un autre qui a perdu un frère abattu au moment des violences, et ce cousin, premier mort des émeutes, qui était un lycéen d’ici. »

Charge désormais aux élus de tirer les leçons de cet épisode de violences pour parvenir à un compromis. « Je souhaite un accord pour la Nouvelle-Calédonie et pour ces jeunes. Il faut vraiment avancer. Chacun sera comptable devant la population calédonienne et devant ces jeunes ».

La veille, c’est dans l’enceinte de l’Université de la Nouvelle-Calédonie que le ministre a échangé avec responsables associatifs, enseignants et étudiants. « J’ai besoin d’en savoir plus », a lui-même admis le ministre des Outre-mer, face à un panel de 130 personnes qui se voulait représentatif de la société civile calédonienne, réunies dans le cadre d’une soirée organisée à l’université, dimanche 30 mars. 

« Dites-moi des choses que je ne connais pas, que je ne comprends pas […]. Il est essentiel qu’il y ait une plus grande mobilisation de la société calédonienne sur les grands projets de demain », a poursuivi Manuel Valls, exigeant de son audience un dialogue « le plus direct possible ».

« Je ne connaissais rien de mon pays » 

Les échanges ont duré près de trois heures, guidés par une question centrale posée par le ministre : « C’est quoi, pour vous, être Calédonien ? » Chacun y est allé de sa réponse. « Pour moi, c’est aimer profondément les gens sur cette terre », lui a répondu un étudiant de 28 ans. « Je suis métis Vietnamien, Futunien et Caldoche. Choisir un camp, c’est comme tuer un membre de ma famille ». Le sujet de l’identité et de l’appartenance ethnique s’est révélé un thème crucial du débat. « Je viens de nulle part et de partout à la fois, je pense que c’est ça être Calédonienne », a estimé une étudiante franco-thaïlandaise de 20 ans.

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« Je ne sais déjà pas ce que c’est que d’être une femme kanak dans cette société, alors une Calédonienne… », a exprimé Qatrenë, ancienne étudiante de l’UNC. Une quête d’identité inachevée que la jeune femme attribue à ses propres lacunes sur l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. « C’est ici, à l’UNC, que j’ai découvert que je ne connaissais rien de mon pays ». Des propos partagés par une enseignante de lycée, témoin privilégiée de lycéens qui « ne connaissent rien à l’histoire de la Nouvelle-Calédonie ».

Surdité de la classe politique calédonienne

De quoi participer à un manque de repères qui, pour certains, a mené aux événements de mai 2024. « J’étais dans les quartiers, avec les jeunes, le 13 mai », a raconté Jules Tufele, vice-président de l’association Action génération NC. « Ce qui s’est passé relève plus du social que de l’identitaire. J’avais prévenu les institutions quelques mois avant : on voyait des jeunes électrons libres, complètement délaissés, qui n’attendaient qu’un message pour exploser. Certains les ont manipulés en leur disant qu’ils pouvaient désormais servir une cause. C’est tout ce qu'il leur fallait ».

Un constat partagé par une grande partie des acteurs de la société civile présents dimanche soir. « Je vis au Val-Plaisance, ça n’a rien à voir avec Rivière-Salée », a témoigné un étudiant, évoquant une « ségrégation géographique » qui sévit dans l’agglomération. « Le rééquilibrage a fonctionné pour une toute petite partie de la population », a également affirmé Pierre Welepa, président du conseil d’administration de la Fédération des œuvres laïques (FOL). « Dans nos quartiers, des jeunes diplômés ne trouvent déjà pas de boulot, alors imaginez ceux qui ne le sont pas », a repris Jules Tufele.

Pour la plupart des participants au débat, cette situation est aussi la responsabilité d’une classe politique calédonienne sourde aux propositions citoyennes et aveuglée par ses propres divisions. « On assiste depuis dix-douze ans à une absence de dialogue », a analysé Thierry Granier, auditeur financier. « Depuis 2014, les élus n’ont pas réussi à se mettre d’accord et le monde politique s’est mis à jouer sur des émotions plutôt qu’à parler du fond. »

« Sortir du seul débat sur l’indépendance »

Pour Pierre Welepa, « les responsables politiques ont confisqué le débat », offrant comme seul choix aux Calédoniens « la bipolarité » des projets indépendantiste et loyaliste et étouffant par la même occasion les propositions de la société civile, en premier lieu les associations.

« Je veux vous intégrer dans la discussion et que l’étau se desserre pour sortir du seul débat sur l’indépendance », a réagi Manuel Valls. Le ministre a fait part de sa volonté de voir naître un projet de société « qui traite des questions de fond » et s’avère essentiel à l’acceptation d’un éventuel accord politique. « Mais ce n’est pas moi qui peux le définir », a souligné Manuel Valls, attribuant cette mission aux acteurs de la société civile. « Je suis persuadé qu’il y a une force extraordinaire dans la société calédonienne. C’est le moment de bouger, de pousser pour qu’il y ait un accord et de faire en sorte que les radicaux soient marginalisés. »

Dimanche matin, c’est au marché de Moselle que Manuel Valls a tenté de s’extraire des cercles très fermés du débat politique pour sonder une opinion publique calédonienne dont les aspirations semblent souvent éloignées de celles de leurs représentants. Les discussions politiques ont, elles, repris ce lundi à 10h30 (locale), au haut-commissariat. Elles ont duré toute la journée.

Baptiste Gouret pour Les Nouvelles Calédoniennes