L’État, le gouvernement et la justice ont dressé, lundi 24 novembre, un bilan d’étape six ans après le lancement du grenelle contre les violences faites aux femmes. Si ce dispositif a permis une "prise de conscience collective", elle est encore loin d’enrayer ce fléau. Depuis 2019, ce phénomène et celui des violences intrafamiliales ont bondi. Des chiffres alarmants qui sont sans doute le signe, également, d’une libération de la parole et d’une hausse des dépôts de plainte.Détails avec notre partenaire Les Nouvelles Calédoniennes.
Des chiffres toujours plus inquiétants
En 2019, lors du lancement du grenelle calédonien contre les violences faites aux femmes, la Nouvelle-Calédonie était le territoire français le plus touché par ce phénomène, avec un taux de violences contre les femmes judiciarisées qui s’établissait à 3,8 faits pour 1 000 habitants, soit plus du double de l’Hexagone (1,6 fait pour 1 000 habitants). 22 % des Calédoniennes déclaraient avoir été victimes de brutalités physiques. Par ailleurs, une sur huit déclarait avoir subi des violences sexuelles avant l’âge de 15 ans.
Un sombre tableau qu’il semblait difficile de noircir davantage. Et pourtant, les chiffres les plus récents en la matière sont encore pires. Ainsi, les violences intrafamiliales et conjugales ont littéralement explosé entre 2019 et 2023, affichant respectivement des hausses de 91 % et 94 %. En d’autres termes, ces violences se sont accrues, tout comme l’écart avec l’Hexagone, passant, en 2023, à 8,4 faits pour 1 000 habitants sur le Caillou, contre 3,1 faits au niveau national.
Si les chiffres sont en léger recul en 2024, ces données ne sont qu’un trompe l’œil. En effet, la baisse s’explique notamment par la difficulté d’accès pour les victimes lors de la crise insurrectionnelle aux commissariats, brigades et autres lieux de prise en charge et de dépôt de plainte. La preuve en est : cette année, ce phénomène est nettement reparti à la hausse, avec par exemple 2 339 faits de violences intrafamiliales recensés au 31 octobre, soit plus que pour toute l’année 2021 et quasiment autant que l’an passé.
Parmi les autres facteurs alarmants, les autorités constatent une hausse significative sur les mineurs depuis 2023 et plus particulièrement depuis les émeutes, sans doute "en raison des difficultés sociales que connaissent désormais de nombreuses familles", avance Isabelle Champmoreau, la membre du gouvernement chargée de la protection de l’enfance, qui rappelle une autre donnée inquiétante : 14 % des jeunes de 10 à 18 ans ont déjà "sérieusement pensé" au suicide*.
Un échec des politiques publiques ?
Les récents chiffres sur les violences au sein du couple et des foyers peuvent laisser croire à un certain échec des politiques publiques menées en la matière et donc de ce grenelle calédonien. Un argument balayé d’un revers de main par les autorités qui évoquent volontiers "une plus grande prise de conscience collective" accompagnée d’une "libération progressive de la parole". L’une des priorités, en 2019, avait en effet été d’améliorer les conditions d’accueil des plaintes des victimes, en formant notamment les forces de l’ordre en première ligne dans le recueil de ces témoignages et qui, trop souvent, n’étaient pas à la hauteur des enjeux.
"Le grenelle a permis de montrer le caractère inacceptable de ces violences très enracinées dans le pays. Depuis, les victimes poussent de plus en plus les portes des commissariats, des assistantes sociales, etc. insiste le procureur de la République Yves Dupas, qui rappelle que 30 % des déferrements au Parquet et 40 % des détenus au Camp-Est concernent des affaires de violences intrafamiliales. Désormais, même si elles ne se constituent pas forcément partie civile, les victimes viennent jusqu’à l’audience, ne serait-ce que parce qu’elles veulent que leur compagnon se soigne. C’est un travail particulièrement long et qui nécessite encore de la patience pour que les mentalités évoluent."
Quelles avancées et quels défis ?
Mise en place du téléphone grave danger pour alerter en temps réel de menaces, bracelet anti-rapprochement, ouverture d’un centre d’accueil pour les conjoints violents à Nouméa, amélioration de la "bienveillance" lors des dépôts de plainte, suivi accru des victimes via les associations, stage de responsabilisation des auteurs de violences en peine complémentaires (1 750 stages effectués depuis 2021), ouverture de la première unité médico-judiciaire au Médipôle pour mieux appréhender les traumatismes et les lésions des victimes afin d’aider à la résolution des enquêtes… De nombreux dispositifs et structures de lutte contre ce "fléau" qui gangrène la société calédonienne ont vu le jour depuis 2019. "Les outils sont là désormais, mais la problématique reste très forte en Nouvelle-Calédonie, et il est de notre responsabilité collective de les combattre en vue de les éradiquer, martèle Yves Dupas, pour qui cette "prise de conscience doit continuer de s’accompagner d’une politique pénale forte".
Et les priorités en la matière sont encore nombreuses, à en croire Isabelle Champmoreau : "Il a d’abord fallu se focaliser sur la prise en charge des victimes, car c’était vraiment là qu’il y avait urgence, mais maintenant que ce n’est plus tabou et que ces violences tendent à ne plus être banalisées par les femmes elles-mêmes, nous devons élargir notre spectre à l’ensemble de la cellule familiale, estime la membre du gouvernement, qui plaide également pour "un meilleur maillage territorial" afin de lutter contre l’inégalité de service entre les provinces et pour l’ouverture de places supplémentaire, dès l’an prochain, en foyer d’accueil dans le Grand Nouméa et dans le Nord.
Par Les Nouvelles Calédoniennes























