CGCT, Cerema, EPIS, narcotrafic : Les maires de Polynésie « globalement satisfaits » de leur mission à Paris

Une partie des maires polynésiens lors de la journée Outre-mer, en amont du congrès des maires ©SPCPF

CGCT, Cerema, EPIS, narcotrafic : Les maires de Polynésie « globalement satisfaits » de leur mission à Paris

À Paris depuis début novembre, les maires de Polynésie française regagnent leur territoire avec le sentiment du devoir accompli. Pendant deux semaines, ils ont fait avancer leurs dossiers prioritaires auprès des interlocuteurs de la Capitale, gouvernement en premier lieu, tout en partageant leurs problématiques, liées notamment à la sécurité et au réchauffement climatique.

Il n’y a pas que la proposition de loi organique visant à modifier l’article 43-2 du statut de la Polynésie française qui a mobilisé l’emploi du temps des « tavana » à Paris. Auprès des ministères des Outre-mer, du Travail, de l’Intérieur, des services du Premier ministre, mais aussi des organismes nationaux et de leurs collègues de l’Hexagone et des Outre-mer, les maires de la Collectivité du Pacifique avaient dans leur feuille de route plusieurs dossiers à évoquer.

À commencer par le Code général des collectivités territoriales (CGCT). Les maires de Polynésie ont obtenu du gouvernement qu’une ordonnance viennent reporter une nouvelle fois l’application du code sur le territoire. « D'ici, je pense au mois de mars, c'est ce qu'ils nous ont donné pour la rédaction de la finalisation de l'ordonnance. Le temps de consulter le conseil d'État et d'autres services » a confirmé Cyril Tetuanui, maire de Tumara’a sur l’île de Raiatea, et président du Syndicat pour la Promotion des Communes de Polynésie (SPCPF).

CGCT : une ordonnance en mars pour un report à 2032

Les tavana ont obtenu un nouveau délai à 2032 pour l’application du CGCT -au même titre que l’ordonnance prise au dernier conseil des ministres et qui repousse à 2032 les nouvelles règles électorales des communes de moins de 1 000 habitants-. Concernant le CGCT, le dernier délai était fixé à décembre 2024, une « impasse » pointent les maires. « Il faudrait que cette ordonnance puisse être prise le plus rapidement possible. Aujourd'hui, s'il y a un problème, si quelqu'un meurt à cause de l'eau, on ne sait pas qui est responsable ».

Les tavana attendent donc d’ici mars 2026 pour voir une première mouture de cette ordonnance. « En mars, normalement, on devrait avoir l'ordonnance pour qu'elle soit applicable, mais il faut une loi d'habilitation ensuite ». Obligatoire « quand on fait une ordonnance de l'article 34 ». « On ne sait pas quand est-ce qu'elle va arriver, mais nous, ce qui nous importe déjà, c'est l'ordonnance pour fixer les choses (…). L'État, pour une fois, a admis que ces délais qui avaient été fixés n'étaient pas atteignables. Que de toute façon, on n'y serait jamais arrivé ».

« On a voulu intégrer aussi dans cette ordonnance la possibilité que le Cerema puisse être implanté aussi en Polynésie » a ajouté le maire de Tumara’a. Établissement public, le Cerema « conseille et propose des solutions aux collectivités dans l’élaboration et la mise en œuvre de projets d’aménagement de leur territoire, dans le cadre d’initiatives locales ou de programmes nationaux », peut-on lire sur son site.

Le Cerema en Polynésie pour s’adapter au changement climatique

Si l’établissement peut intervenir ponctuellement en Polynésie, les communes du territoire n’y sont pas adhérentes. Or, celles-ci sont demandeuses, notamment pour disposer d’outils, de mesures et de données sur l’aménagement futur des îles, face au défi climatique. « Les analyses et la collecte de données concernant le changement climatique, c'est vraiment important. La Polynésie n'est pas citée dans leurs données ».

« Par exemple, à La Réunion, en Martinique, ils sont capables de dire aujourd'hui : si le niveau de la mer augmente de 50 centimètres, quelles sont les zones qui vont être sous l'eau ? Ils ont des projections. Ils savent quelles sont les zones où il va falloir s'adapter (…). En Polynésie, on ne sait toujours pas. Il n'y a aucun outil pour l'instant et il n'y a aucun service pour l'instant », explique Cyril Tetuanui.

Intervenante à la journée des Outre-mer qui a précédé le Congrès des maires de l’AMF, la tavana de l’atoll de Hao, dans l’archipel des Tuamotu, Yseult Butcher, a pu témoigner d’un cas concret, justifiant l’intervention du Cerema en Polynésie. « Le message, c'est que le problème, c'est qu'on n'a pas les moyens », indique la maire. « Nous les maires, on est tous seuls face à ce changement climatique » regrette Yseult Butcher.  

Déplacer les populations des atolls ? Une piste de réflexion

La maire de Hao en appelle à la « solidarité nationale ». « Le sujet du changement climatique, de l'élévation du niveau de l'océan, ce n'est pas un sujet strictement polynésien. On ne peut pas dire : c'est la compétence de la Polynésie, débrouillez-vous. Ça doit être une solidarité nationale ». Sur cet atoll qui culmine à seulement 2 mètres au-dessus du niveau de la mer, la tavana réfléchit déjà aux solutions d’adaptation qui s’impose, jusqu’au déplacement de la population, à l’instar du village de Miquelon, premier village de France à devoir être déplacer avant 2050 en raison de la montée des eaux.

« C'est pour ça qu'on demande à ce que le Cerema puisse agir tout de suite. Pour dire à la population qu'il y aura un déplacement, il faut que quelqu’un nous donne les données exactes. Pour l'instant, on n'a pas les données », insiste Yseult Butcher. « Il va falloir préparer notre génération qu’il aura un déplacement, peut-être dans 50, 100 ans ». Et pour la maire, le temps presse, car sur place, « c'est visible ».

Et aux Tuamotu, un grand archipel principalement composé d’atolls, les solutions de déplacement sont limitées. Les bandes de terres habitables font à peine 400 à 500 mètres de large, et l’absence de relief laisse peu de place à l’optimisme. Sans compter les conséquences économiques, déjà concrètes, sur la culture du coprah. « Il y a une salinité qui monte aussi. Notre cocoteraie se meurt. On a un atoll qui a un exemple flagrant, c'est celui de Puka Puka ».

L’implantation du Cerema est donc une urgence pour les îles. Les maires de Polynésie l’assurent, leurs interlocuteurs, autant le gouvernement que la direction de l’établissement, « sont favorables ». « Il faut commencer à s'adapter maintenant » , a martelé Cyril Tetuanui. « On sait que ça va monter, on ne va pas pouvoir ralentir cette montée. Maintenant, il faut s'adapter. Mais pour s'adapter, encore faut-il savoir ce qui va se passer ».

Lutte contre la « ice » : vers des pouvoirs élargis pour les « muto’i oire »

Autre sujet discuté à la journée des Outre-mer, et qui concerne l’ensemble de la Nation : la sécurité et le narcotrafic. Avec une particularité pour la Polynésie : la lutte contre la méthamphétamine, « ice », qui a pris une ampleur dramatique ces dernières années. Pour se faire, les maires polynésiens soutiennent le projet de loi sur l'extension des prérogatives des polices municipales, présenté par le gouvernement en conseil des ministres.

« C'est une bonne chose », concèdent les maires de Polynésie. « Au moins pour fouiller, pour demander des pièces d'identité. Ça peut aider pour lutter contre la ice ». Les tavana rappellent d’ailleurs que toutes les îles du territoire ne disposent pas de gendarmerie, habilitée, avec la Police nationale, de la compétence de police judiciaire. « C'est pour ça qu'on demande à ce que nos muto’i oire (policiers municipaux, ndlr) puissent intervenir », renchérit la maire de Hiva Oa Joëlle Frébault, qui cite l’exemple des voiliers -sans en faire une généralité- mais parmi les moyens de transite de la drogue en Polynésie.

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En juillet dernier, un voilier avait été fouillé sur son île, avec à son bord pas moins de 2 tonnes de drogue et des armes à feu, en direction de l’Australie. Une fouille suite, raconte-t-elle, à une dispute entre les occupants du navire sur le quai. « Heureusement, à Hiva Oa, nous avons une Gendarmerie ». « Le gros sujet national, ça fait longtemps qu'il y a ce sujet-là, c'est qu'il y a un recul des forces de l'État parce qu’il n'a pas les moyens, donc les forces de l'ordre, globalement, sont en recul », regrettent les maires. « Face au manque d'effectifs des services de l'État, il y a de plus en plus de violences, de plus en plus de délinquances, et ce sont les policiers municipaux qui sont en première ligne ».

« Dans le projet de loi qui est en train d'être étudié, les maires, s'ils le veulent par délibération, vont pouvoir accepter que leurs policiers municipaux aient des pouvoirs de police judiciaire. Et du coup, le policier municipal sera sous une double responsabilité : celle du maire pour une police de proximité et de prévention, et celle du procureur pour une police judiciaire ». Ainsi, un policier municipal « pourra agir sur le narcotrafic, il va pouvoir arrêter des gens, il va pouvoir fouiller, il va pouvoir aller beaucoup plus loin que ce qu'il peut faire maintenant ».

Epis : après les municipales ?

Autre sujet important pour les maires polynésiens : l’Établissement public d’incendie et de secours (Epis), impliquant État, Pays et communes, créé par ordonnance en 2006 mais qui n’a jamais vu le jour. En cause : des désaccords successifs entre les différents acteurs. « Le message qu'on voulait faire passer ici à Paris, c'est que les travailleurs veulent attendre après les élections communales pour la mise en place de cette structure-là, parce qu'il y aura peut-être des nouveaux maires. Il faut que tout le monde soit impliqué pour la mise en place de cet Epis », explique Cyril Tetuanui.

« Ensuite, notre souci aussi, c'est le financement. Qui va financer ? Là aussi, l'État n'est pas très clair avec le pays. C'est encore des discussions qu'il faut faire aboutir. C'est pour ça qu'on m'a demandé de pousser ça après les élections communales. L'État nous a entendus. Ils vont prendre le décret, il me semble. Après, on va voir », ajoute le président du SPCPF qui, à ce sujet, ne repart pas avec un engagement clair du gouvernement.

Deux partenariats avec l’OiEau

À Paris, le Syndicat pour la Promotion des communes et le Centre de Gestion et de Formation (CGF) de Polynésie ont signé deux conventions de partenariat avec l’Organisation internationale de l’Eau. Avec le SPCPF, l’OiEau « interviendra pour soutenir les équipes locales et les futures mandatures dans la prise de décision, l’établissement de stratégies opérationnelles, et la structuration des services ».

Avec le CGF, l’organisation mettra l’accent sur « la formation professionnelle technique des équipes communales et la co-construction de modules adaptés aux besoins spécifiques des services hydrauliques polynésiens ». « L’OiEau élaborera et réalisera des formations (théorie et pratique), mettra à disposition des moyens pédagogiques et logistiques, et participera à des réseaux professionnels pour renforcer leur coordination ».